Science

Une première description du microbiome des Inuits

À Montréal, on l’appelle Catherine Girard – une étudiante au doctorat en biologie environnementale à l’Université de Montréal. Mais à Resolute, dans l’extrême nord du Canada, elle est connue sous le surnom de… « dame caca ». C’est que la chercheuse y a collecté des échantillons de selles afin de dresser la toute première description du microbiome des Inuits. Portrait.

Au Nunavut, on ne cogne pas aux portes, on entre directement dans les maisons. Et Catherine Girard a appris une chose : quand on y fait irruption pour demander les selles des occupants, on a intérêt à laisser sa timidité derrière et à faire preuve d’humour.

« On s’entend, le sujet est dégoûtant, lance d’emblée la doctorante de 28 ans. C’est gênant, c’est étrange. Mais ça casse la glace et c’est facile de faire des blagues là-dessus. Je n’ai pas eu à convaincre les gens. Soit ils trouvaient ça répugnant et refusaient, soit ils trouvaient ça drôle et acceptaient par curiosité. »

Mme Girard avait l’avantage d’être connue dans ce petit village d’à peine plus de 200 habitants du Nunavut : elle s’y rend chaque été depuis 2010 pour y faire des travaux scientifiques. Pour ses collectes de selles, elle a fait des campagnes à la radio et placé des affiches à la coop et au bureau de poste.

« J’ai développé une certaine notoriété, lance la jeune femme en riant. On m’appelait “dame caca”. Et quand les gens me croisaient, ils me disaient : “Ah, c’est toi qui as le boulot de merde !” »

La chercheuse a fini par obtenir 19 échantillons de selles, un chiffre très élevé, considérant le petit nombre d’habitants qui répondaient à ses critères de recherche.

« Le support de la communauté a été génial, et les gens ont été très généreux. »

— Catherine Girard, étudiante au doctorat en biologie environnementale

« L’aspect social est souvent négligé dans ce genre d’études, mais il faut se rappeler que ce sont des gens qui donnent les échantillons et ce sont eux qui comptent », tient-elle à souligner.

système digestif

Si Catherine Girard se préoccupe des selles des Inuits, c’est qu’elle s’intéresse à leur microbiome – un concept particulièrement à la mode qui fait courir les chercheurs et vendre des livres par les temps qui courent. 

Le microbiome est l’ensemble des bactéries qui vivent dans notre système digestif. On sait aujourd’hui qu’il influe sur notre système immunitaire, joue un rôle dans des conditions comme l’obésité et le diabète, et régule même nos émotions. Le microbiome varie beaucoup selon l’alimentation des individus. Mme Girard, qui travaille sous la direction des professeurs Jesse Shapiro et Marc Amyot, voulait savoir à quel point celui des Inuits diffère de celui des habitants du sud du pays. Ses travaux, publiés dans la revue mSphere, représentent la première description scientifique du microbiome des Inuits.

En comparant leur microbiome avec celui des Montréalais, Catherine Girard a eu une surprise : ils sont si similaires qu’il est pratiquement impossible de les distinguer. Des travaux avaient déjà montré que les microbiomes de populations indigènes d’Afrique et d’Amérique du Sud sont très différents de ceux des Occidentaux, mais ces chasseurs-cueilleurs mangent beaucoup de fruits et de légumes. Les Inuits, au contraire, ont une diète traditionnelle riche en gras et en protéines animales (poissons, phoque, caribou) et mangent aussi beaucoup de produits transformés en provenance du Sud.

« Je m’attendais à ce que le microbiome des Inuits soit moins différent du nôtre que celui des autres populations indigènes, mais pas à ce qu’il soit similaire à ce point. »

— Catherine Girard

Mme Girard a toutefois noté que des bactéries associées à la dégradation des produits laitiers et d’agrumes sont plus présentes chez les gens du Sud que du Nord, ce qui est logique, considérant leur diète différente.

Traquer le mercure

Catherine Girard veut maintenant s’intéresser au mercure qu’ingèrent les Inuits par la grande quantité de poisson qu’ils consomment.

« Il faut être prudent quand on parle du mercure dans le Nord, précise tout de suite Mme Girard. Oui, il y a du mercure dans la nourriture traditionnelle inuite, sauf que celle-ci est riche en vitamines, en minéraux et est excellente pour la santé. En général, les bénéfices de la diète traditionnelle sont plus grands que les risques qui y sont associés. »

Prochain défi de l’étudiante : voir si des bactéries du microbiome peuvent interagir avec le mercure et aider l’organisme à éliminer cette substance toxique plutôt que l’absorber.

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