Éducation

Une station de radio dans la classe

« Vous êtes sur les ondes de la Radio  Saint-Fabien, la radio qui vous va bien ! » Bien qu’il ne soit qu’en quatrième année, Mathis s’exprime d’une voix assurée. Le jeune animateur sait ce qu’il fait : tous les vendredis, dans la classe de « Monsieur Ludovic », les élèves produisent eux-mêmes une émission de webradio. Un moyen ludique de mettre à profit plusieurs notions apprises en classe.

« Ce sont des situations réelles de communication. Ça devrait être ça, l’éducation ! », s’emballe Ludovic Tourné, enseignant en quatrième année à l’école Saint-Fabien, à Montréal.

L’initiative a vu le jour l’an dernier. L’enseignant s’est équipé de quelques micros et d’une console, puis il a mis à profit les tablettes utilisées en classe. Les bases de Radio Saint-Fabien étaient jetées.

Chaque semaine, les enfants discutent en groupe des sujets qu’ils aimeraient aborder. Puis, l’animateur et les chroniqueurs responsables de l’émission doivent collecter l’information, structurer leur texte et s’assurer de faire des liens les uns avec les autres pendant l’émission.

Les sports, les animaux, l’actualité, les injustices… tous les thèmes y passent. 

« On est très bons pour enfermer les enfants dans un carcan, mais on peut partir de leurs centres d’intérêt, de ce qui les intéresse. Ils en ont, des choses à dire ! »

— Ludovic Tourné, enseignant à l’école Saint-Fabien

Ainsi, des notions de français comme l’organisation d’un texte (amener un sujet, organiser le propos, conclure habilement…) et la qualité de la langue prennent une dimension on ne peut plus concrète : écoutés par leur public, les élèves ont tout avantage à soigner leurs propos.

« On voit les résultats assez rapidement, affirme M. Tourné. Il y a des effets sur leur façon de communiquer. Ils gagnent en confiance… et leur français écrit s’améliore aussi. On ne passe pas à côté du programme, évidemment. » L’enseignant ajoute que la lecture fréquente à voix haute permet aussi aux jeunes une meilleure fluidité et une compréhension plus grande des textes.

Quand on leur demande en quoi la radio change leur quotidien d’élèves, les enfants lèvent la main spontanément. « Moi, je suis moins timide, et aussi, ça m’apprend le français », explique d’emblée Raphaëlle. Élias hoche la tête en signe d’approbation : « C’est vrai, ça. Il y en a qui sont timides, ça n’a pas de bon sens, et avec la radio, finie la timidité ! Ils sont comme… plus ouverts. »

Antonina ajoute pour sa part que la radio lui a fait découvrir « un nouveau monde ».

La radio des enfants

Avant de démarrer l’enregistrement de l’émission, le groupe d’enfants derrière les micros se lève. Au signal, les élèves se lancent dans quelques exercices de diction. « Je veux et j’exige ! », s’exclame Léo, suivi par ses camarades. La phrase n’a rien de facile, et les enfants rigolent.

Puis, Olivier, qui veille sur la technique, passe aux choses sérieuses : les voilà prêts à se lancer. Mathis passe la parole à ses collaborateurs. Félixe, Léo et Florianne discutent à tour de rôle du père Noël, des célébrations en Suisse et du vrai sens que devrait avoir le temps des Fêtes.

« Ce qu’on préfère, c’est passer du temps en famille !

– Et si possible, en pyjama !

– Oh oui ! Nos parents sont pas mal plus relaxes quand ils sont en linge mou ! »

L’émission spéciale de Noël s’achève sur une note touchante. Attristés par le sort d’enfants qui ont moins de chance qu’eux, les jeunes suggèrent eux-mêmes d’organiser une dictée commanditée pour amasser des fonds pour les plus démunis.

« En préparant cette émission, ce fut aussi l’occasion de discuter d’éthique, de ce qui les touche », ajoute leur enseignant.

M. Tourné implique les jeunes à toutes les étapes du processus. Il a d’abord formé des élèves aux rôles de chroniqueur, d’animateur, de technicien et de monteur, puis il leur a laissé le soin de communiquer leurs connaissances à leurs camarades. En quelques semaines, toute la classe a maîtrisé les rouages derrière une émission de radio. L’objectif : que les enfants aient rapidement une grande autonomie.

Thierry Karsenti, titulaire de la chaire de recherche sur les technologies et l’éducation et professeur à l’Université de Montréal, suit d’ailleurs l’évolution de cette webradio depuis le début. « On regarde les impacts éducatifs de ce projet, précise-t-il. Et est-ce que ces enfants perdent leur temps ? Absolument pas ! Ils travaillent fort pour être bons à la radio, et sans s’en rendre compte, ils s’améliorent sur plusieurs points. C’est une gentille arnaque, dans le fond ! Sans compter le lien qui se crée avec la communauté, car ils sont écoutés. »

Le spécialiste ajoute que des écoles du primaire et du secondaire, des secteurs privé et public, s’intéressent à cette initiative.

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