Étude norvégienne

Pourquoi le quotient intellectuel baisse-t-il en Occident ?

Après avoir grimpé pendant tout le XXe siècle, le quotient intellectuel a commencé à chuter dans plusieurs pays occidentaux depuis quelques décennies. Pourquoi ? Les chercheurs se perdent en conjectures. Mais une nouvelle étude norvégienne vient plomber une théorie populaire, celle voulant que les gens moins intelligents fassent plus d’enfants. Selon les auteurs, le coupable pourrait être autant le déclin des systèmes d’éducation que l’environnement.

Déclin généralisé en Occident

Pendant le XXe siècle, le quotient intellectuel (QI) a augmenté dans les pays occidentaux – un phénomène appelé l’effet Flynn. On rêvait alors d’une société de plus en plus intelligente. Mais depuis une vingtaine d’années, le QI s’est mis à plafonner et même à décliner dans plusieurs pays occidentaux. Cet « effet Flynn inverse » a été observé autant au Danemark et en Finlande qu’en France, en Angleterre, aux Pays-Bas et en Estonie. ll est souvent détecté grâce aux tests de QI passés dans le cadre de la conscription militaire. Aucune étude d’envergure n’a été menée au Canada. « C’est un phénomène réel, documenté, et qui est inquiétant », commente Serge Larivée, professeur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal et spécialiste de l’intelligence humaine. Notons que la baisse ne semble pas se produire en Asie.

Des causes multifactorielles ?

Est-ce la faute aux systèmes d’éducation ? À la télé et aux médias ? Aux immigrants ? À la moins bonne nutrition ? Aux valeurs éducatives qui s’étiolent ? Au fait que les gens moins intelligents font plus d’enfants, ce qui provoquerait une espèce de sélection naturelle inverse ? Toutes ces hypothèses ont été invoquées sans qu’on parvienne à trancher. « C’est un mystère », dit le professeur Larivée, qui est convaincu que notre baisse d’intelligence collective est multifactorielle. Récemment, le documentaire Demain, tous crétins ? a pointé les perturbateurs endocriniens provenant des produits chimiques, du maquillage et des médicaments comme les principaux responsables. « C’est une hypothèse relativement solide », juge le professeur Larivée, qui défend par ailleurs le test de QI malgré les critiques qu’il s’attire parfois. « [Le test de QI ]est l’un des plus solides que l’on connaît en psychologie, dit Serge Larivée. Et si quelqu’un me sort encore que les QI sont biaisés culturellement, je lui offre un repas gratuit s’il m’amène une seule recherche qui le démontre. »

Même dans les meilleures familles

Dans une étude publiée lundi dans Proceedings of the National Academy of Sciences, des chercheurs norvégiens ont montré que le phénomène s’observe non seulement dans la société en général, mais au sein même des familles au fil des décennies. Ils ont fait la découverte en analysant les données provenant de la conscription militaire de 1962 à 1991. Chez les hommes norvégiens, le déclin du QI survient dès 1975. Selon les auteurs, le fait que la baisse survienne dans une même famille vient exclure certaines hypothèses, comme celle de l’immigration (certains chercheurs ont attribué la baisse générale de QI aux immigrants provenant de pays où le QI est généralement plus bas à cause du système d’éducation, notamment). Puisque la cause doit se trouver au sein même des familles, les auteurs écartent aussi la théorie de « l’évolution inverse » voulant que les gens ayant un plus bas QI fassent plus d’enfants, faisant graduellement grossir par effet génétique le bassin de gens au faible QI. « Ça n’exclut pas cette hypothèse, mais ça vient la tempérer. De façon générale, il est reconnu que les gens moins intelligents font plus d’enfants. Par exemple, moi, j’en ai quatre », blague Serge Larivée, de l’Université de Montréal.

Baisse de la qualité du système scolaire

Selon les auteurs, la baisse s’expliquerait donc par une baisse de la qualité du système scolaire, par une éducation moins rigoureuse à la maison ou par des facteurs de santé (moins bonne alimentation, moins d’exercice, exposition aux polluants). « Je commencerais par examiner l’éducation, puisqu’il y a de fortes indications que l’éducation de masse a des effets causaux sur le QI d’une population », a expliqué en entrevue à La Presse Ole Rogeberg, chercheur en éducation au Ragnar Frisch Centre for Economic Research à Oslo et l’un des auteurs de l’étude. M. Rogeberg précise toutefois qu’il s’agit d’une « intuition personnelle ». L’école est aussi le premier facteur mentionné par Serge Larivée pour expliquer notre baisse d’intelligence collective. « L’école ne tolère plus l’échec sous prétexte que ça brime l’estime des enfants. C’est de la niaiserie. L’intelligence progresse quand on a des problèmes à résoudre », dit-il.

Une question de richesse ?

Serge Larivée mentionne une hypothèse qu’il juge lui-même « très dangereuse » : celle que l’écart de QI soit en train de se creuser entre les « nantis » qui grandissent dans des conditions favorables et les autres. Cela pourrait expliquer les baisses de QI généralisées observées dans certains pays occidentaux. « Je ne souhaite pas ça. Ça donnerait du pouvoir à tous les dictateurs de la Terre, et j’ai peur », dit-il.

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