Sans filtre

Ma famille, à l’autre bout du monde

Pour la plupart des athlètes, l’après-carrière signifie que l’on commence à se reposer un peu. L’ancienne championne canadienne de patinage artistique Cynthia Phaneuf n’entre certainement pas dans ce moule. À 29 ans, elle est aujourd’hui mère de trois enfants… et elle vit en Russie. Comment s’est-elle retrouvée là ? Son récit.

La plupart des athlètes vivent des moments difficiles au moment de prendre leur retraite. Moi, je n’ai jamais vécu ça. J’étais vraiment prête à arrêter le patinage artistique.

J’étais beaucoup moins prête à tout ce qui allait suivre ! Si vous m’aviez dit au moment d’accrocher mes patins que je me retrouverais mère de trois enfants en Russie, je ne vous aurais pas cru.

En 2006, j’ai manqué les Jeux olympiques à cause d’une blessure. C’est à ce moment que j’ai décidé qu’après 2010, je passerais à autre chose. Mais après les Jeux de Vancouver, j’étais sur un nuage, ça allait trop bien, et j’ai décidé de m’essayer pour 2014.

En dedans de moi, je savais que je voulais arrêter. C’est ce que je m’étais dit. C’est pour ça que quand je me suis blessée au dos, j’étais déjà prête mentalement à commencer une autre étape de ma vie. J’avais eu deux années assez moches. J’avais dû déménager à Toronto. Bref, je n’avais pas vécu la belle fin de carrière dont tout le monde rêve. Quand j’ai arrêté, j’étais tannée de mon sport.

Puis j’ai rencontré mon mari, Maxime Talbot. Un joueur de hockey que vous connaissez assez bien. Il a joué pour les Penguins, les Flyers, l’Avalanche, les Bruins. On a commencé à se fréquenter en 2012, peu de temps après ma retraite.

Et avec Maxime, je n’ai jamais eu le temps de m’ennuyer. On a vécu 12 déménagements et on a eu trois beaux enfants, tout ça en cinq ans à peine. Notre premier enfant, Jaxson, est arrivé assez vite, en 2014. Puis il y a eu Lou et, tout récemment, Florence. C’est dire le rythme des bouleversements dans nos vies. Ç’a été vite. Et nous voilà aujourd’hui à Yaroslavl, une ville de 600 000 habitants à 250 km au nord de Moscou.

C’est arrivé comme ça, parce que Maxime a eu une offre l’an dernier. Il était hésitant au départ, il trouvait que c’était une grosse étape pour la famille.

Côté hockey, c’était très intéressant, évidemment. La KHL est la deuxième ligue au monde, le niveau de hockey est excellent. Côté famille, c’était moins évident. Moi, avec le patin, j’avais déjà vu la Russie, je savais un peu à quoi m’attendre.

Mais je vous assure qu’il y a toute une différence entre passer deux semaines en Russie et s’y établir avec sa famille. En même temps, c’était le moment de le faire. Les enfants ne sont pas encore à l’école. J’ai dit à Maxime : allons-y. C’était une nouvelle expérience, on allait pouvoir apprendre de ça.

On est donc partis en ne sachant pas trop à quoi s’attendre. On a croisé les doigts. Au pire, comme on s’était dit, personne ne nous attache ici. S’il y a quoi que ce soit, on fait nos valises et on retourne à la maison.

On est arrivés en Russie et on a finalement trouvé que c’était beaucoup mieux que ce qu’on s’imaginait. Il faut dire que quand tu t’attends au pire, tout est mieux. On a même tellement aimé ça qu’on est revenus cette année.

Mais on ne se cachera pas que le fait de vivre en Russie nous a fait nous rendre compte de tous les luxes que l’on tient pour acquis au Québec. Disons simplement qu’on a plusieurs petits obstacles quotidiens. Tu apprends à les accepter.

L’année passée, on avait un petit appartement au troisième étage, sans ascenseur, et je trouvais ça difficile. J’avais la poussette dans les bras, deux enfants, et j’étais enceinte. C’était assez ardu de tout trimbaler, mais en même temps, ce n’était pas un si gros problème.

Tu te ramasses aussi à transporter ton eau potable. On a l’habitude d’ouvrir le robinet et voilà, ce n’est pas plus compliqué que ça. Ici, c’est plus compliqué que ça. Tu dois apporter tes grosses bouteilles d’eau potable à la maison.

C’est aussi tout un défi de trouver des légumes, des fruits autres que des pommes, des poires et des bananes. La laitue, si on en voyait une à l’épicerie l’année passée, je courais pour être sûre d’avoir la dernière. Mais ça évolue rapidement. Cette année, il y a même du kale ! La Russie bouge sans cesse. Il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas si longtemps, c’était encore communiste.

On ne se rend plus compte des petits luxes de notre quotidien au Québec, avec nos 15 sortes de laitue à l’épicerie. Ce n’est pas partout comme ça !

Durant l’hiver, il y a même des semaines où on ne peut pas sortir, car il fait trop froid dehors. L’eau gelait, il n’y avait carrément pas d’eau. C’est arrivé deux fois. En même temps, ce sont des détails. Tu finis par t’y faire. Cette année, on ne s’en aperçoit même plus.

Ça nous permet d’apprécier encore plus ce qu’on a chez nous. On se plaint pour nos routes, mais croyez-moi, ça n’a rien à voir avec la Russie.

Communiquer

Quand on veut se faire comprendre, avec n’importe quelle langue, c’est possible. Il y a toujours le langage des signes. Sinon, Google Translate fait des miracles. Chaque fois que je vais quelque part, j’utilise Google Translate. Les Russes sont très gentils. Ils voient que je ne parle pas leur langue et que je ne comprends pas l’alphabet cyrillique.

Si on ne se comprend pas, je leur passe mon téléphone. Ils écrivent le mot en russe et je le fais traduire. On finit par se comprendre. Il n’y a jamais eu un moment où je n’ai pas été capable de communiquer avec quelqu’un.

Max, lui, comprend beaucoup mieux le russe. Tous les entraînements sont en russe, les joueurs parlent russe entre eux. Cette langue est partout autour de lui. Moi, je vais au parc et à l’épicerie. Je ne côtoie pas beaucoup de Russes.

Je serai honnête, je ne m’attendais pas à tout ça quand j’ai commencé à sortir avec Maxime, en 2012. On ne s’attendait surtout pas à avoir trois enfants aussi vite et à avoir une vie aussi mouvementée.

En fait, on ne s’attendait à rien. Comme dans toute relation, on s’est lancés là-dedans, et la vie nous a donné de beaux cadeaux et de beaux défis.

Le plus surprenant est qu’à travers tout ça, on n’a jamais eu de discussions plus difficiles, Max et moi. Avec le patinage, je m’étais habituée à bouger beaucoup. Ça faisait partie de ma vie. Ça n’a jamais été un problème. C’est du matériel. Pour les enfants, oui, ils déménagent souvent, mais maman et papa sont toujours là. On n’a jamais vécu de moments pénibles, car on ne l’a jamais vu ainsi.

Cela dit, on parle de plus en plus d’avenir à mesure que Jaxson s’approche de son entrée à l’école. Ça fait deux semaines que j’ai trouvé une garderie pour les enfants avec un programme international Montessori. C’est fantastique. Leur professeur parle anglais. Pour nous, c’est la situation parfaite. C’était ma peur en venant ici. Je voulais m’assurer que mes enfants apprennent les choses essentielles pour la vie ailleurs qu’en Russie.

C’est Maxime qui aime surtout parler d’avenir. Qu’est-ce qu’on va faire, qu’est-ce que tu penses ? Je lui répète toujours que ça ne sert absolument à rien d’en parler. Chaque fois qu’on essaie de faire des plans, de toute façon, ça change. Il arrivera ce qui arrivera. On verra rendu là. C’est ce qu’on a toujours fait.

« Hockey wife »

Les gens se font une idée de ce que c’est que d’être une femme de joueur de hockey, et ce n’est vraiment pas comme ça. On a vu Hockey Wives à la télévision, on montre beaucoup le côté glamour. On les voit faire pitié, car la vie est difficile, puisque les joueurs partent souvent. Pour vrai, ce n’est pas si pire.

Les femmes de joueurs de hockey, ce sont des mamans comme les autres. On s’occupe de nos enfants, on a juste plus souvent des bagages à faire. C’est une vie un peu différente de la majorité, mais ce n’est ni plus difficile ni plus facile. En fait, s’ils montraient la réalité à la télévision, ce serait vraiment plate, parce que c’est la même vie que tout le monde. Les mêmes problèmes, les mêmes inquiétudes.

Tous ceux qui me connaissent, même à l’époque du patin, savent que je voulais devenir maman un jour. Ça me tenait vraiment à cœur.

En fait, j’avais fait une liste de buts à atteindre avant les Jeux olympiques de 2010, et avoir une famille faisait partie du plan. Ç’a toujours été très important pour moi d’être accomplie comme mère. Je le vis en ce moment et c’est le plus beau métier du monde.

C’est très différent du sport. Avec le sport, tu as un but, tu l’atteins, puis tu passes à autre chose. Être maman, comme beaucoup d’entre vous le savent, c’est un peu de travail tous les jours.

Mais il n’y a rien comme travailler pour ses enfants. Élever ma famille, m’assurer que personne ne manque de rien et que tout le monde soit heureux. La seule différence, c’est que j’ai accepté de le faire ici, à l’autre bout du monde.

— Propos recueillis par Jean-François Tremblay, La Presse

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