Quoi boire sur la route
Les cafés spécialisés ont beau avoir plus que jamais la cote auprès des Québécois, ce n’est généralement pas ceux-là que l’on retrouve dans le porte-gobelet quand on prend la route. McDonald’s et Tim Hortons prétendent que leurs cafés sont meilleurs que jamais, les stations-service mettent en valeur des sections café de plus en plus raffinées. Mais au goût, est-ce que ça tient la route ?
Les spécialistes du café Jérôme Grenier-Desbiens et Sevan Istanboulian ont accepté de nous accompagner sur le boulevard Cousineau, à Saint-Hubert, pour aller goûter les cafés que l’on trouve typiquement le long des grands axes routiers.
Le café servi sur la route dans les grandes chaînes de restauration ou les stations-service est, dans l’immense majorité des cas, obtenu auprès de géants de la torréfaction. Par exemple, le café Brûlerie Mont-Royal que l’on sert chez IGA Express ou dans les dépanneurs Super Relais associés aux stations-service Shell vient de chez Van Houtte, propriété du géant américain Keurig Green Mountain. Même chose pour le café Orient Express que l’on sert dans les Dépanneurs du Coin que l’on trouve à côté des pompes à essence d’Ultramar.
Mais du café, ce n’est pas une boisson gazeuse et ça ne ressemble pas au vin non plus, avec lequel certains aiment le comparer. « La grosse différence avec le vin est que la bouteille représente le produit fini qui est destiné à la consommation, explique le barista Jérôme Grenier-Desbiens. Quand on achète du café, c’est comme si on achetait des raisins pour fabriquer soi-même son vin. »
Parce qu’une foule de facteurs influencent le goût du café, de la torréfaction jusqu’au moment où il s’écoule à travers le filtre de la cafetière.
« Même si le torréfacteur fait un bon travail, du moment où le café quitte l’usine, il n’y a plus de contrôle. »
— Sevan Istanboulian, torréfacteur
« On peut poser un tas de questions : est-ce qu’il s’est retrouvé dans un entrepôt, est-ce que la rotation a été faite, est-ce que l’eau a été filtrée du chlore et des minéraux en suspension, la température de l’eau est-elle convenable, son temps de contact est-il suffisant, la concentration est-elle correcte, la carafe a-t-elle été lavée ? », explique M. Istanboulian.
Ce qui survient avant la torréfaction influence aussi le goût du café qui se retrouve dans notre gobelet. « Il faut savoir quel prix une entreprise est prête à payer pour avoir un café qui a de l’allure, poursuit M. Istanboulian. Elle peut aussi faire le pari d’attendre pour profiter d’une aubaine, mais si le café convoité n’est plus disponible, elle risque de se retrouver avec ce qui reste, à moins d’être prête à payer une surprime. Une entreprise qui a bien mis ses pions en place va se retrouver avec un bon café. »
Aussi, nos experts se méfient de la mode de la torréfaction foncée, parce qu’un goût plus corsé n’est pas un gage de qualité. « Les entreprises qui veulent réduire leurs coûts vont faire vieillir les grains pour obtenir un goût plus uniforme, ils vont utiliser moins de café, de moins bonne qualité, mais de torréfaction plus foncée, soutient Jérôme Grenier-Desbiens. Les clients s’habituent à ça et grandissent là-dedans. Ça crée un cercle vicieux. »
D’autres parlent de torréfaction supérieure, une expression vide, selon Sevan Istanboulian : « C’est un “punch line”, affirme-t-il. Il n’y a aucune appellation qui permet de déterminer ce qu’est une torréfaction supérieure. Ils ne sont pas en train de mentir, mais ça donne l’illusion que tu bois du café supérieur. »
Évidemment, on n’a pas toutes ces considérations en tête quand on achète un beigne et un café en passant par le service à l’auto. Les grandes chaînes de restauration rapide le savent bien. « Une entreprise comme McDonald’s a récemment opté pour une torréfaction plus foncée qui développe davantage d’arômes, et elle a aussi choisi d’augmenter la quantité de café par litre, ce qui est bien, reconnaît M. Istanboulian. Mais, à terme, le client qui va chez McDonald’s recherche quelque chose d’abordable et qui goûte la même chose partout. »