Chronique

Merci de patienter encore 40 ans

André Leclerc est un homme patient et déterminé. Mais 40 ans à cogner à la porte d’un commerce ou d’un bureau inaccessible, avouez que ça commence à être un peu long…

Atteint de paralysie cérébrale, André Leclerc se décrit lui-même comme une tête de pioche. Président fondateur de Kéroul, organisme voué depuis 1979 à l’amélioration de l’accessibilité universelle en tourisme, il a besoin de l’être.

J’ai fait sa connaissance il y a quelques années alors qu’il m’avait invitée à le rencontrer avec sa « gang de PC » en fauteuil roulant – des gens atteints de paralysie cérébrale comme lui qui travaillent, contribuent à la société et démontent les idées reçues sur leur condition. Le grand public le connaît aussi sans le savoir. C’est lui qui, en 1988, a inspiré le numéro de « L’handicapé » de l’humoriste Jean-Marc Parent.

Si André Leclerc et d’autres défenseurs des droits des personnes handicapées s’impatientent, c’est que les décennies passent et que l’inaccessibilité reste, en dépit des progrès réalisés pour rendre la société plus inclusive. 

Dans la foulée de l’adoption, en 1975, de la Charte des droits et libertés du Québec qui interdisait la discrimination fondée sur le handicap, des mesures visant l’accessibilité des bâtiments ont été inscrites dans le Code de construction. En 1978, la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées a été adoptée. Cette loi, qui prévoyait l’adoption d’un règlement pour rendre accessibles des bâtiments construits avant 1976, plaçait le Québec à l’avant-garde en matière d’inclusion des personnes handicapées. Le hic, c’est que 40 ans plus tard, ce règlement n’a toujours pas été adopté. Alors que l’Ontario s’est engagé à être accessible à tous dès 2025, le Québec, lui, traîne encore les pieds.

Des lois avant-gardistes, c’est très bien. Mais un peu plus de cohérence, ce serait encore mieux. Car à quoi bon une loi si elle n’est pas appliquée ? se demande André Leclerc. « Les lois fondamentales des années 70 resteront des écrans de fumée tant et aussi longtemps que les dispositions réglementaires conséquentes n’auront pas été adoptées et appliquées. »

André Leclerc se réjouit des mesures récentes annoncées par le gouvernement en matière d’accessibilité, comme ce programme de subvention à l’accessibilité des établissements touristiques dont la gestion a été confiée à Kéroul, ou cet autre programme de subvention à l’accessibilité des petits commerces qui sera administré par la Société d’habitation du Québec. Mais on reste malgré tout très loin de l’accessibilité universelle promise il y a plus de 40 ans.

Le Code de construction inclut encore aujourd’hui des exceptions qui font en sorte que trop de bâtiments demeurent inaccessibles aux personnes handicapées. Les commerces de moins de 300 mètres carrés ou les bâtiments d’affaires de deux étages et moins font partie de ces exceptions. Comment est-ce encore possible en 2018 de construire de nouveaux bâtiments qui ne soient pas accessibles à tous ?

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« Ce qui n’est pas accessible n’est pas acceptable. » Telle est la devise qui devrait valoir pour tous les nouveaux bâtiments et les espaces ouverts au public, croit André Leclerc. Malheureusement, au lieu d’adopter les mesures qui s’imposent, le gouvernement laisse aux personnes handicapées le fardeau de porter plainte à la Commission des droits de la personne contre les commerces qui leur sont inaccessibles.

« C’est interminable. Ça en devient décourageant », dit Linda Gauthier, cofondatrice du Regroupement des activistes pour l’inclusion au Québec (RAPLIQ), qui sans subvention aucune depuis près de 10 ans, se bat bec et ongles pour l’accessibilité universelle et voit les plaintes s’accumuler sur son bureau.

Après que des commerçants du Plateau Mont-Royal eurent reçu des plaintes du RAPLIQ, Charles-Olivier Mercier, de la Société de développement de l’avenue du Mont-Royal, s’est dit qu’il fallait trouver une façon de faire les choses autrement. « J’ai lunché avec Linda. On s’est dit : “Travaillons ensemble.” »

De ce lunch est née, à la fin de l’année 2015, une alliance originale entre des gens d’affaires et des organismes représentant des personnes handicapées – le Regroupement pour l’accessibilité des établissements commerciaux et d’affaires du Québec. « On sent qu’on a un rôle à jouer comme acteurs économiques », dit Charles-Olivier Mercier. Au-delà des enjeux commerciaux – aucun commerçant n’a intérêt à se priver d’une clientèle –, il y a là une question de principe qui l’interpelle. Il souhaite à son tour interpeller l’État pour qu’il prenne ses responsabilités en matière d’accessibilité universelle. 

« C’est un peu comme si on faisait face à une inondation. On a une digue réglementaire. Mais il manque des sacs de sable. » 

— Charles-Olivier Mercier, de la Société de développement de l’avenue du Mont-Royal

D’où l’importance d’éliminer les exclusions prévues au Code de construction et d’offrir des mesures incitatives plus généreuses aux commerçants pour colmater les brèches.

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Lorsqu’on parle d’accessibilité, certains ont l’impression que c’est un problème qui ne concerne qu’une toute petite minorité de citoyens, mais en fait, cela concerne tout le monde. Parce qu’on vieillit tous. Parce qu’on peut être parent de jeunes enfants. Parce qu’on ne sait jamais ce que la vie nous réserve. « Moi, j’étais à des années-lumière de savoir que ça allait m’arriver », me dit Linda Gauthier, qui a reçu un diagnostic de sclérose en plaques de forme progressive en 1996 et doit désormais se déplacer en fauteuil roulant.

Qu’attend le gouvernement pour agir ? « En ce qui concerne les bâtiments construits avant 1976, nous sommes au fait de la problématique. Des pistes de solutions concrètes sont en cours d’évaluation », me dit Clémence Beaulieu Gendron, attachée de presse de la ministre responsable de l’Habitation, Lise Thériault.

Même réponse reçue par courriel quant à l’annulation des exceptions prévues au Code de construction : « Nous sommes au fait des enjeux découlant des exceptions comprises dans le Code de la construction concernant l’accessibilité des petits commerces. La Régie du bâtiment du Québec se penche présentement sur différentes pistes de solution. »

Traduction libre de Linda Gauthier de ces réponses polies qui n’en sont pas vraiment : « C’est comme dire : on analysera ça dans 40 ans… »

Votre appel est important pour nous. Merci de patienter…

Les droits des personnes handicapées, en principe, personne n’est contre, bien sûr. On a vu l’indignation provoquée ces derniers jours par la décision de Walmart de mettre fin à un programme d’inclusion. Saine indignation qui n’est malheureusement pas toujours suivie de saines décisions politiques.

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