Opinion Santé

Aide médicale à mourir et médecins
Un arrimage difficile

On a rapporté récemment que le corps médical est généralement en faveur de l’aide médicale à mourir, mais peu enclin à l’administrer sur une base individuelle. Cela n’est en soi pas étonnant, compte tenu de certains faits que je permets de commenter.

L’appui du corps médical à cette mesure n’est pas en soi différent de celui de la population générale. C’est une option que l’on veut pour soi, en lien avec le courant social définissant ce que l’on entend par une mort digne.

Cela n’implique pas pour autant que l’on veuille nécessairement en être l’acteur, la personne responsable de donner l’injection létale.

À titre d’oncologue médical, le décès en lien avec la maladie est un élément que je discute au quotidien. Et au cours de mes quelque 20 ans de pratique, j’ai eu bien des requêtes pour la « petite pilule » qui pourrait mettre fin aux jours, et ce bien avant que la loi ne soit modifiée. Cela n’était pas choquant en soi, et les patients savaient très bien que je ne pouvais consentir à cette demande. Mais il n’était pas anecdotique de constater qu’un patient que j’attendais en suivi ne se présente pas, et d’apprendre son décès, sans que celui-ci ne soit nécessairement attendu en lien avec la maladie. Il était facile de déduire que d’autres événements ont pu causer le décès…

J’ai un vif souvenir d’un patient qui avait un cancer qui l’a laissé avec une paralysie de la moitié du visage. C’était un homme de grande prestance, pour lequel l’apparence avait toujours été importante et nécessaire à ses yeux puisqu’il avait une vie relativement publique. Il ne s’est pas présenté à un rendez-vous et j’ai tout de suite su que le patient avait décidé de procéder autrement pour mettre fin à la maladie et à la souffrance physique et psychologique qui en résultaient. Il avait assumé son choix dans un contexte de fin de vie.

Le processus qui a mené à l’instauration de l’aide médicale à mourir au Québec a fait basculer la charge des responsabilités. Alors que c’est le choix du patient, que l’on confirme par au moins deux entrevues, qui met le processus en œuvre, l’acte de fin de vie incombe à d’autres, et spécifiquement aux médecins, avec l’aide d’autres professionnels qui préparent voies d’accès et médication. Le débat actuel sur l’aide médicale à mourir s’élargit et vise à déterminer si l’on pourrait permettre l’accès à cette procédure a priori, de souhait anticipé, en permettant à des individus de requérir l’aide médicale à mourir lorsque, par exemple, ils deviendront inaptes dans le contexte d’une maladie dégénérative. La condition actuelle sine qua non est l’aptitude du requérant à décider par lui-même à faire les démarches pour obtenir l’aide médicale à mourir. Si l’on a cette indépendance d’esprit et la capacité physique, pourquoi la société, et spécifiquement les médecins, devrait-elle être responsable de ce choix ?

Pour suivre le continuum de cette démarche, sans impliquer les professionnels de la santé pour causer « directement » le décès, il existe le suicide assisté, par exemple en fournissant au requérant les médicaments qu’il pourra prendre par la bouche, dans l’environnement de son choix, en dehors de tout contexte qui implique l’acte d’un tiers…

Plusieurs États proposent d’ailleurs ce modèle et des médicaments ont spécifiquement été approuvés par des autorités de la santé à cet effet. Mais le gouvernement québécois a décidé de procéder autrement. L’aide médicale à mourir, ailleurs dans le monde, est souvent menée par des équipes différentes de celles qui fournissent les soins usuels. Pas au Québec. Elle s’insère dans le réseau, avec la participation presque nécessaire du médecin traitant. C’est cette modification radicale de la pratique qui fait en sorte que les médecins soient peu portés à participer au modèle actuel. Le gouvernement du Québec a omis trois étapes qui auraient pu rendre le tout plus acceptable pour les médecins, tout en impliquant davantage la population : 

• Considérer la responsabilité du patient dans son choix et offrir le suicide assisté à ceux qui ont la capacité physique de le faire ; 

• Prévoir des lieux et des personnes différents pour bien établir que ce choix ne peut être considéré comme un soin ou un traitement comme les autres ; 

• Solliciter l’aide du corps médical pour assurer son adoption, en passant par de l’éducation générale et en favorisant la constitution de groupes représentatifs en mesure de proposer des mesures pour définir le rôle des médecins dans ce processus. 

Avant d’étendre l’aide médicale à mourir, il faut réviser ce que l’on fait, instruire la commission responsable de superviser l’aide médicale à mourir d’élargir son rôle. Cette commission devrait proposer des actions qui favoriseront que l’on sorte du débat qui oppose les « pour » et les « contre », lequel est d’ailleurs comblé par des médecins qui pensent, à raison ou pas, être sollicités au-delà de ce qui est exigé du reste de la société civile pour réaliser cet objectif social.

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