Chronique

Suis-je au bord du burn-out parental ?

Suis-je au bord du burn-out parental ? Je me suis posé la question en lisant quelques-unes des réactions à ma chronique de la semaine dernière (« Joe le taxi »), qui portait sur mon horaire über chargé de chauffeur privé pour les activités parascolaires de mes garçons.

« Je vous en prie, changez de rythme ! m’a supplié Line. Vous allez y laisser votre peau et vos beaux garçons n’auront tout simplement plus de papa ! » « Vous n’êtes pas l’esclave de vos enfants », a ajouté Claude. « Donnez-vous le temps de vivre ! », m’a intimé Christiane. « Pensez à vous un peu plus et ralentissez le tempo de vos enfants qui semblent être des enfants-rois », a décrété Pierre.

« Les parents aussi ont le droit d’avoir une vie qui a de l’allure. Et après, on se demande pourquoi il y a autant de séparations, burn-out, etc. », m’a rappelé Isabelle. « Prenez le temps de dire non à vos enfants de temps en temps, ils n’en mourront pas et vous vivrez plus vieux et moins stressé », m’a conseillé Thierry. « Comment avez-vous fait pour ne pas attraper un formidable burn-out à ce régime ? », m’a demandé Josée, qui est médecin. J’ai noté « médecin ».

Suis-je une victime qui s’ignore d’enfants-rois abusant de mon statut de détenteur de permis de conduire sans se soucier de mon éventuel épuisement parental ? Je ne me suis pas posé la question en ces termes, non. Mais lorsque lundi, dans Le Devoir, je suis tombé par hasard sur l’article d’un journal suisse traitant d’une étude de spécialistes belges sur le surmenage des parents, je me suis demandé si la Francophonie ne m’envoyait pas un signe…

Isabelle Roskam et Moïra Mikolajczak, professeures de psychologie de l’Université de Louvain, en Belgique, ont mené une étude auprès de 3000 sujets sur l’épuisement parental. Le résultat de leurs travaux a été publié dans le livre Le burn-out parental – L’éviter et s’en sortir (Odile Jacob), qui sera bientôt offert au Québec. Leurs recherches ont aussi inspiré aux deux docteures en psychologie l’invention d’une application permettant de déceler et d’éventuellement éviter le burn-out parental.

« Dr Mood, l’appli qui vous fait du bien » entend aider les parents à savoir s’ils sont à risque « faible, modéré ou élevé » d’être en situation d’épuisement parental, grâce à une vingtaine de questions ayant pour but de faciliter le diagnostic. C’était vendredi, j’avais ma semaine de papa dans le corps et je ne me sentais pas particulièrement d’attaque, mais je me suis tout de même proposé comme cobaye.

« Tenir mon rôle de parent chaque jour est vraiment un effort pour moi. » Mais non ! Bébé-fafa !

« Lorsque je pense à mon rôle de père, j’ai l’impression d’être au bout du rouleau. » Ça m’en prend bien plus que ça, voyons donc !

« Je me sens fatigué le matin parce que j’ai à faire face à une journée auprès de mes enfants. » Pas tant que ça…

« Je me sens vidé par mon rôle de parent. » Pas plus qu’une fois par mois…

« J’ai parfois l’impression de m’occuper de mes enfants en pilote automatique. » Ouain…

Résultat ? Rassurez-vous : je ne suis « pas à risque de burn-out pour le moment ». J’ai noté « pour le moment ». Grâce à un savant algorithme et à des réponses franches – que j’ai peut-être légèrement orientées à mon avantage –, mon téléphone dit intelligent a déclaré (ce sont ses mots) que je suis « épanoui dans mon rôle de parent ».

Je ne sais pas pourquoi, mais être ainsi rassuré sur l’épanouissement de ma parentalité par une application qui ne sait rien de moi, sinon que je suis un homme, m’a fait le plus grand bien.

Pas que j’aie été le moindrement ébranlé le week-end dernier par les commentaires affables de Jean-Pierre (« C’est quoi, ton problème, tu as décidé de ne pas avoir de vie au détriment de ton fils ? »), de Micheline (« Quand tout devient une course folle pour tout le monde, où est le bon sens ? Je n’ai pas beaucoup d’empathie pour ces situations »), ou de Mélanie (« Je ne vous juge pas du tout, mais vous n’aurez jamais ma sympathie, en tant qu’adulte, c’est VOTRE choix de vie »). Moi, tant qu’on ne se juge pas entre parents…

Ils n’ont pas été les seuls, je dois avouer, à me reprocher de ne pas passer assez de « temps de qualité » avec mes enfants en les accompagnant dans toutes leurs activités, de les empêcher de s’émanciper en leur accordant trop de liberté de choix, ou de ne pas leur rendre service en étant, justement, trop à leur service. J’ai pris des notes.

De façon caricaturale, je pourrais dire que les lecteurs aux prénoms plus usuels chez les retraités ont été nombreux à me dire qu’à leur époque, les enfants se débrouillaient par eux-mêmes, alors que plusieurs parents de ma génération m’ont avoué se reconnaître dans mon portrait type d’un week-end familial surchargé (entre la chorale, la piscine, le soccer et le tennis).

Je reconnais que j’ai été étonné par la réaction de certains baby-boomers, dans la mesure où mes propres parents ont passé l’essentiel de mon adolescence dans le West Island à faire le taxi pour leurs deux couples de jumeaux (qui jouaient dans des équipes élites de soccer, au hockey « double lettre » ou encore au tennis au niveau provincial).

Comme me l’a écrit France : « Les enfants font du sport, les parents font du transport ! » C’était certainement le cas de mes parents, qui en ont cumulé des kilomètres, de l’entraînement de l’un au Centre Claude-Robillard ou à Sainte-Anne-de-Bellevue au match de l’autre à Drummondville ou Sherbrooke. Sans compter les nombreux tournois qui, se déroulant parfois simultanément à Toronto et à Hartford, compliquaient un tantinet l’organisation de nos vacances estivales.

Comment éviter le burn-out parental ? Pour les universitaires précitées, la clé est d’accepter comme parent que l’on n’est pas parfait. Malgré la pression sociale, malgré l’image idéalisée que l’on se fait de la parentalité convenable, et malgré les commentaires sociologiques de Jean-Pierre (« Ton compte rendu de ta fin de semaine n’encourage pas les grosses familles. Tu ferais quoi avec six enfants ? »).

Je suis loin d’être un père parfait. Je me console, en me disant que cela m’éloigne du burn-out, et en profitant de tous les moments éphémères que m’offre mon quotidien de père. Le bonheur des petits rituels, comme ce bagel chaud que je vais chercher tous les samedis matins avec mon p’tit loup, après son cours de natation. Un instant juste à nous, où s’arrête le temps.

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