Chronique  Endettement des Québécois

Des dettes comme mode de vie

Rien ne va plus. Geneviève* le sait trop bien. Lucide et allumée, la jeune femme dans la mi-trentaine cherche une solution pour venir à bout de ses dettes faramineuses de 425 000 $ qui l’empêchent de réaliser son rêve profond d’avoir des enfants.

Assise dans le bureau d’Option consommateurs, où je l’ai conviée pour une rencontre budgétaire, elle me lance pourtant cette phrase déconcertante : « Mon chum ne veut pas qu’on fasse faillite parce qu’il dit qu’on est trop pauvres pour se passer de crédit. »

Pardon ? Trop pauvres ? Avec des revenus annuels de 110 000 $, le couple est plutôt dans le haut de la classe moyenne.

Et puis, les dettes, ça n’enrichit personne. Au contraire, quand on roule toujours à crédit, on s’appauvrit à coup sûr. Chaque achat qu’on laisse traîner sur la carte coûte de 20 à 30 % de plus, à cause des intérêts. Ça vous magane un budget !

Pourtant, c’est le lot de 44 % des Canadiens qui ne paient pas le solde de leur carte de crédit au complet à la fin du mois. Manifestement, le crédit fait maintenant partie intégrante de notre mode de vie. Les électros, les voyages, les imprévus. Tout y passe.

Mais ça commence à sentir le roussi. Au Québec, le niveau d’insolvabilité des consommateurs atteint un sommet, comme vous pourrez le lire aujourd’hui et demain dans un dossier spécial préparé avec mon collègue Karim Benessaieh.

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La situation financière de Geneviève donne le vertige. En plus de son hypothèque de 250 000 $, elle a accumulé environ 175 000 $ de dettes de consommation. Une demi-douzaine de cartes de crédit, toutes remplies à ras bord, des plans de financement à 0 %, des prêts personnels…

Mais quand on lui demande d’où viennent ses dettes, Geneviève ne sait pas trop quoi répondre.

Rien de spécial, dit-elle. Pas de dépenses folles. Un petit condo en banlieue, deux voitures à la porte, 200 $ par-ci, 300 $ par-là… et l’effet boule de neige qui fait son œuvre.

Mais il faut dire que les finances du couple se sont détériorées lorsque le conjoint de Geneviève a perdu son emploi. Avec le divorce et la maladie, il s’agit d’ailleurs d’une des raisons classiques qui entraînent les gens dans le surendettement.

Pour Geneviève, l’heure est grave : le paiement minimum des dettes absorbe presque tous les revenus du couple. Et il faut bien manger et mettre de l’essence dans l’auto. Tout compté, le couple est dans le rouge d’environ 2000 $ par mois, constate Sylvie de Bellefeuille, avocate chez Option consommateurs.

De peine et de misère, Geneviève arrive encore à faire tous ses paiements. Étonnant ? Pas tant que ça. Champions de la faillite-surprise, les Québécois sont nombreux à entrer dans le bureau d’un syndic sans jamais avoir raté un paiement.

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Ce qui m’étonne, par contre, c’est que les institutions financières aient continué de prêter à Geneviève alors qu’elle est au bord du gouffre.

Il n’y a même pas un an, une banque lui a accordé un prêt d’environ 40 000 $ pour l’achat d’un véhicule utilitaire sport. Inconscient !

Bien sûr, les consommateurs ont une responsabilité. Ils devraient faire leur budget avant de contracter un nouveau prêt. Mais les banques ont une plus grande responsabilité encore, car ce sont elles, les expertes de la finance.

Elles ne devraient pas accorder des limites de crédit astronomiques à des consommateurs qui n’auront pas la capacité de rembourser. C’est comme leur donner de la corde pour se pendre. Ou les condamner à payer des dettes pour l’éternité.

Prenez Geneviève. En versant seulement le paiement minimum, il lui faudra jusqu’à 45 ans pour se débarrasser du solde de toutes ses cartes de crédit… si elle ne fait aucun nouvel achat. Insensé. Le gouvernement devrait s’en mêler.

Pour contenir les risques de crise immobilière, Ottawa a ramené de 40 à 25 ans la période maximale d’amortissement d’une hypothèque. Très sage. Mais alors, pourquoi laisser les consommateurs amortir leurs électros sur 45 ans à 20 % d’intérêts ? Illogique ! Dangereux !

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Pour Geneviève, il n’y aura pas de solution facile. La jeune femme a essayé de s’en sortir en transférant des dettes sur une carte de crédit à taux promotionnel. En bénéficiant temporairement d’un taux à 0 %, elle pensait réussir à vider sa carte. Mais ça n’a pas marché. Et bientôt, le taux remontera à 20 ou 30 %. Le choc s’en vient.

Elle pensait réhypothéquer son condo, comme bien des familles qui ont utilisé leur maison comme guichet automatique à la faveur du boom immobilier. Mais cela ne fonctionne plus, car les prix de l’immobilier stagnent au Québec depuis quatre ans. Même en vendant sa maison, il ne lui resterait plus rien après avoir payé la commission du courtier immobilier, la pénalité hypothécaire et les autres frais.

La jeune femme souhaite vraiment trouver une façon de rembourser toutes ses dettes. « Je ne veux pas juste me sauver comme ça. J’aimerais payer au complet, mais je n’ai pas d’options », déplore-t-elle.

Il y a bien le dépôt volontaire qui lui permettrait de rembourser ses dettes par petites bouchées, à un taux d’intérêt de seulement 5 %. Mais compte tenu de son salaire, Geneviève devrait verser minimalement 1000 $ par mois. Son budget ne lui laisse pas cette marge de manœuvre.

La proposition de consommateur ? Cette option permettrait à Geneviève de conserver la maison, les voitures… et l’honneur. Elle ne rembourserait qu’une partie de ses dettes, sur un maximum de cinq ans, sans intérêts. C’est plus long qu’une faillite dont elle serait libérée en moins de deux ans.

Peu importe la solution, ça va faire mal. Geneviève doit choisir si elle enlève le diachylon lentement ou d’un coup sec.

* Nom fictif pour préserver l’anonymat.

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