Décryptage

Pendant ce temps en Europe…

La crise sur les politiques migratoires s’accentue

Le ministre de l’Intérieur allemand qui défie publiquement la chancelière Angela Merkel, menaçant leur fragile coalition. Paris et Rome qui s’échangent des invectives. L’Autriche et le Danemark qui proposent de créer des camps pour migrants à l’extérieur des frontières de l’Union européenne.

En refoulant les 629 demandeurs d’asile repêchés par le bateau de sauvetage Aquarius, la semaine dernière, le nouveau gouvernement italien a exacerbé les tensions européennes sur les politiques migratoires. Ces rescapés de la Méditerranée ont beau avoir finalement pu toucher terre en Espagne, la tempête politique, elle, continue à prendre de l’ampleur.

Au moment où le bateau de SOS Méditerranée poireautait au large de Malte, le président français Emmanuel Macron accusait Rome de « cynisme et d’irresponsabilité ». Le ministre de l’Intérieur italien Matteo Salvini a répliqué en accusant la France de n’accueillir les migrants qu’au compte-gouttes. Avant d’annuler des rencontres diplomatiques en guise de représailles.

C’est en Allemagne que la crise a pris des proportions particulièrement aiguës. Ce pays avait mis six mois à former son gouvernement, au lendemain des législatives de septembre dernier. Or, son ministre de l’Intérieur Horst Seehofer, qui représente l’aile ultraconservatrice de la coalition au pouvoir, a lancé une bombe, lundi, en annonçant son intention de « reconduire à la frontière » tous les demandeurs d’asile ayant enregistré leur dossier dans un pays autre que l’Allemagne.

La mesure qu’il entend adopter dès le 1er juillet entre en collision frontale avec la politique menée par Angela Merkel depuis la crise migratoire de 2015. En affirmant ses intentions à 10 jours d’une réunion du Conseil européen qui doit porter sur la question des migrants, Horst Seehofer place non seulement Angela Merkel, mais aussi toute l’Union européenne (UE) au pied du mur.

C’est une chose de reconduire des demandeurs d’asile à la frontière, c’en est une autre de convaincre les pays où ils ont mis le pied en Europe – pour l’essentiel la Grèce ou l’Italie – de les reprendre, rappelle Frédéric Mérand, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM), selon qui la menace brandie par Horst Seehofer est dans les faits irréalisable.

Mais elle permet à ce politicien d’engranger du capital politique en prévision des élections régionales qui auront lieu en Bavière en septembre. Et elle fragilise la coalition formée de peine et de misère par Angela Merkel.

Concrètement, celle-ci dispose d’une dizaine de jours pour convaincre ses partenaires européens d’une solution, à défaut de quoi elle risque de voir son gouvernement éclater. La pression est forte. Et les hypothèses de compromis sont rares.

L’impasse

Les pays côtiers de l’UE, ceux qui reçoivent les migrants, réclament une révision de la « règle de Dublin », en vigueur depuis 15 ans, qui les oblige à garder les nouveaux arrivants sur leur territoire, puisque c’est là qu’ils ont été enregistrés en mettant le pied en Europe.

C’est précisément cette règle qu’avait suspendue Angela Merkel en 2015, en proposant de répartir les demandeurs d’asile sur l’ensemble du territoire de l’UE. Ce projet a été rejeté par les pays est-européens. Et n’a eu que des retombées minimales ailleurs. En gros, la répartition territoriale des migrants s’est soldée par un échec.

« Si un extraterrestre regardait la situation, il dirait que c’est la seule solution rationnelle, mais cette solution est devenue impossible avec la montée de la droite populiste et xénophobe en Europe. »

— Frédéric Mérand, chercheur au CERIUM, à propos de la répartition territoriale des migrants

En refusant d’ouvrir ses ports à l’Aquarius, la droite populiste au pouvoir en Italie a voulu signifier qu’elle ne veut plus être la seule à porter le fardeau des politiques migratoires européennes. Exception faite de l’Espagne, le reste des pays de l’UE ne sont pas plus enclins à partager cette responsabilité qu’ils ne l’étaient il y a trois ans.

Et l’exemple allemand rend cette ouverture encore moins attrayante. « Angela Merkel a été applaudie quand elle a ouvert les frontières en 2015, mais politiquement, ça ne lui a apporté que des emmerdes », tranche Frédéric Mérand.

C’est cette impasse qui a poussé des pays comme l’Autriche et le Danemark à proposer d’interner les demandeurs d’asile à l’extérieur des frontières de l’UE. D’externaliser en quelque sorte le traitement de leurs dossiers.

Un pays a été cité comme terrain potentiel pour l’établissement de tels « hot spots » pour migrants en attente de statut : l’Albanie.

Ce scénario a de bonnes chances de resurgir au sommet du Conseil européen de la semaine prochaine, prévoit Frédéric Mérand. Son avantage, c’est de permettre à l’UE de montrer qu’elle respecte ses obligations internationales tout en évitant de payer le prix politique désormais rattaché à l’afflux de migrants.

Ce sommet risque aussi de pousser les partenaires européens à faire des avancées sur les seules solutions qui font consensus. En l’occurrence, un durcissement des frontières extérieures de l’Europe.

Virage anti-migrants

Autriche

Au pouvoir depuis six mois, la coalition d’extrême droite dirigée par Sebastien Kurz, en Autriche, a voté plusieurs lois ciblant les migrants. Elles incluent l’imposition d’une facture d’environ 1200 $ pour le traitement des demandes d’asile et la possibilité de confisquer les téléphones cellulaires des migrants. Récemment, l’Autriche a aussi adopté des mesures ciblant « l’islam politique » et impliquant le renvoi de dizaines d’imams et la fermeture de sept mosquées jugées radicales.

Italie

« Sauver des vies est un devoir, transformer l’Italie en un énorme camp de réfugiés, non. L’Italie en a fini de courber l’échine et d’obéir, cette fois il y a quelqu’un qui dit non. » C’est le message publié par Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur italien et dirigeant de la Ligue du Nord, parti d’extrême droite, pour justifier le refus de laisser l’Aquarius accoster en Italie. Ce geste fort a été adopté alors que le nouveau gouvernement n’avait pas encore un mois. Cette semaine, le même Matteo Salvini a causé une tempête en affirmant son intention de « recenser les Roms ».

Danemark

Longtemps plutôt ouvert aux migrants, le Danemark a durci ses lois depuis deux ans en imposant une série de mesures dissuasives. Celles-ci prévoient la confiscation de biens de valeur aux demandeurs d’asile et l’imposition de cours obligatoires de danois.

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