Communication chez les tout-petits

Passer des gestes à la parole

Washington — Il y a un peu plus de 10 ans, Susan Goldin-Meadow a observé une cinquantaine d’enfants de 18 mois, puis noté le nombre de mots qu’ils prononçaient et de gestes démonstratifs qu’ils faisaient, par exemple faire non de la tête ou pointer un objet. Deux ans plus tard, elle a revu les enfants et mesuré à nouveau leur vocabulaire.

Sans surprise, plus un enfant savait de mots à 18 mois, plus il en savait à 42 mois, même si les inégalités en matière de langage s’amenuisaient de moitié pendant ces deux ans. Mais le nombre de gestes à 18 mois permettait de prédire tout aussi bien le vocabulaire à 3 ans et demi.

« Les gestes sont une composante essentielle, sous-estimée, très peu étudiée et très mal comprise du langage et de la communication », dit Mme Goldin-Meadow, psychologue de l’Université de Chicago qui étudie la question depuis plus de 40 ans et qui présentait une conférence plénière à la dernière réunion annuelle de l’Association américaine de psychologie (APA), en août, à Chicago. « Nous ne pouvons même pas identifier quels types de gestes améliorent la communication et lesquels lui nuisent, en distrayant l’auditeur, par exemple. »

Les applications de la science des gestes de communication sont nombreuses. « On peut évidemment penser à la détection du mensonge par les témoins, dit Mme Goldin-Meadow. C’est un domaine de recherche qui peut aussi profiter aux thérapeutes pour enfants. Et on peut penser qu’il serait possible de détecter les problèmes de langage ou cognitifs de manière précoce en surveillant les gestes servant à communiquer de l’information chez les très jeunes enfants. On pourrait concentrer nos efforts sur les enfants qui sont vraiment à risque de retard de langage. »

Les enfants influencés par les gestes

Une autre étude de Mme Goldin-Meadow a montré que les enfants de 5 ans étaient particulièrement sensibles aux gestes d’un intervieweur.

« Si un intervieweur leur pose une question en faisant non de la tête, les enfants vont avoir tendance à répondre non. »

— Susan Goldin-Meadow, psychologue de l’Université de Chicago

« Ça montre qu’il est important de voir la vidéo de l’enfant et de l’intervieweur dans un contexte de recherche scientifique comme juridique, par exemple en contexte de garde d’enfant ou de violences », explique-t-elle.

La psychologue de Chicago s’est intéressée à la question à partir de recherches sur le développement du langage. « Je me suis rendu compte que les enfants sourds utilisaient des gestes, même s’ils n’apprenaient pas le langage des signes, et que les enfants qui ne sont pas sourds utilisaient aussi des gestes. Je me suis dit que ça devait avoir une importance. »

La proportion grandissante des interactions humaines qui se produisent électroniquement, par messagerie texte ou par la voix va-t-elle diminuer l’importance des gestes ? « On l’ignore totalement. On sait que plus une tâche est difficile, plus les gens font de gestes en parlant. On sait aussi que les descriptions spatiales suscitent plus de gestes que les discussions plus abstraites. De manière anecdotique, je sais aussi que de nombreuses personnes gesticulent en parlant au téléphone. Ça doit participer à la communication de manière expressive, plutôt que par la simple communication de l’information. » 

Deux fois plus

Augmentation du nombre de pauses quand une personne décrit un lieu sans pouvoir bouger les bras, en comparaison avec celles libres de leurs mouvements

Source : American Journal of Psychology

Y a-t-il des différences entre hommes et femmes ou avec l’âge ? « Pour l’âge, non. Mais on sait que les femmes sont plus à même de détecter des signes de communication non verbale. »

Et les différences culturelles ? « Ça semble davantage concerner l’amplitude des gestes que le nombre de gestes eux-mêmes, dit Mme Goldin-Meadow. Les Italiens, par exemple, font des gestes plus amples que les Européens du Nord, mais pas davantage de gestes. »

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