CHRONIQUE LYSIANE GAGNON

Le projet surréaliste de François Legault

François Legault n’est pas au bout de ses peines. Il a eu bien du mal, cette semaine, à expliquer son nouvel attachement au Canada, mais il en aura encore plus quand on lui demandera ce qu’il va faire quand le fédéral servira une fin de non-recevoir à ses demandes de « rapatriement » des pouvoirs.

Dira-t-il, avec sa bonhomie coutumière : « Ah ben, OK d’abord » ? Ou fera-t-il… un référendum ?

En effet, si le Parti québécois a pour l’instant banni de son vocabulaire ce mot honni par une immense majorité de Québécois (quitte à le ressortir si jamais il arrivait au pouvoir), le spectre d’un possible référendum risque de resurgir du côté de la Coalition avenir Québec.

La question n’est pas mentionnée dans les propositions qui seront débattues à son congrès qui débute aujourd’hui à Lévis, mais elle apparaît à son programme depuis novembre 2015 sous le titre « Un nouveau projet nationaliste ».

En résumé, la CAQ, une fois au pouvoir, réclamerait d’Ottawa une liste de pouvoirs apparentée au défunt rapport Allaire qui avait tant enthousiasmé Mario Dumont au temps de sa folle jeunesse.

Il s’agissait alors d’une forme inédite de fédéralisme : tous les pouvoirs au Québec, à l’exception de quelques corvées ennuyeuses comme la défense, les douanes et la politique monétaire, qu’on acceptait généreusement de laisser au fédéral. Et l’on comptait faire ça sans même menacer de se séparer, dans une sorte d’opération du Saint-Esprit.

La CAQ s’inspire de cette étrange initiative, à cette différence près qu’elle consent à laisser au Canada les Affaires étrangères et la Justice en plus de l’armée, des douanes et de la monnaie.

La CAQ, donc, réclame le transfert au Québec de tous les pouvoirs (et les fonds qui vont avec) sur la langue, la culture, l’immigration (au chapitre de la réunification familiale), la recherche et le développement, les chantiers d’infrastructures, des transferts massifs de points d’impôt et une nouvelle ronde constitutionnelle avec ça, laquelle donnerait au Québec le droit de veto, la nomination de trois juges de la Cour suprême, la reconnaissance de son statut de nation, l’abolition du Sénat et du lieutenant-gouverneur et j’en oublie.

Bref, rien de moins qu’une combination de Meech et d’un rapport Allaire soft. Une affaire d’ « au moins une quinzaine de milliards de dollars », calcule François Legault.

Et comment diable M. Legault entend-il mener cette affaire en or pour le Québec ?

M. Legault compte sur ses talents d’ancien entrepreneur. « Moi, je suis un dealmaker », disait-il en septembre 2015 à La Presse canadienne.

Il estimait que « le contexte canadien a changé » et que son passé d’homme d’affaires, de même que ses talents de négociateur, suffiraient là où les Lévesque, Bourassa, Mulroney, Parizeau et Bouchard ont échoué. « Je suis convaincu de ça », insistait-il. Il promet de procéder graduellement, une victoire à la fois.

Ce serait même une bonne affaire pour le Canada, poursuivait-il, car en transférant des pouvoirs et une partie de l’assiette fiscale au Québec, la province s’enrichirait au point de ne plus avoir besoin de la péréquation ! Mieux encore, devant le miracle économique que produirait l’excellente gouvernance caquiste, le Canada serait heureux de se délester de ses champs de compétence.

Le plus beau de la méthode Legault, c’est que cette razzia sur les pouvoirs du Canada se ferait sans pression populaire, sans chantage à l’indépendance, sans menacer le Canada d’un référendum sur la souveraineté, bref, sans « couteau sur la gorge », comme le disait le politologue Léon Dion à l’époque des batailles constitutionnelles. Et cela, à un moment où l’option souverainiste est au niveau le plus bas dans l’histoire !

Disons que le Canada dit non au beau rêve caquiste. Ou, plus vraisemblablement, disons que ce projet surréaliste, sitôt énoncé officiellement, se trouve enterré sous les rires des uns et l’indifférence des autres. Que fera alors M. Legault ? A-t-il envisagé une porte de sortie ou un plan B ? Va-t-il s’en retourner piteusement à Québec ? Ou se tourner vers le peuple pour lui demander son appui ? Autrement dit, va-t-il faire un référendum pour relancer la bataille ?

Le référendum auquel le PQ a renoncé pour un premier mandat va-t-il se retrouver dans la besace électorale de la CAQ ?

À moins que M. Legault ne s’imagine que sa récente profession de foi canadienne va lui amener des masses d’amis au Canada anglais et transformer le reste du Canada en organisme philanthropique…

Aux reporters qui s’enquéraient de sa vision du Canada, M. Legault s’en est expliqué de façon originale, pour ne pas dire amusante.

Le reporter de l’agence QMI l’a méchamment enregistré sans tenter de corriger le style. Je le cite : « Moi je suis très fier d’être Québécois, pis le Canada, ben moi je me suis réconcilié avec le Canada, je suis confortable avec le Canada et je souhaite que le Québec fasse des affaires, plus d’affaires avec le Canada.

« Pourquoi je suis fier d’être Canadien ? Parce que le Québec pis les Canadiens français, on est à la création du Canada. Je comprends que les francophones sont majoritaires seulement au Québec, mais on a participé à la création du Canada pis bon, je suis confortable avec ça.

« La position qu’on peut avoir pour avoir des programmes sociaux qui aident ceux qui sont le plus en difficulté, que ce soit les enfants, les aînés, moi je pense qu’on a un filet social enviable au Canada, donc ça peut être un endroit où je suis fier. »

Cette déclaration d’amour se passe de commentaires.

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