Hockey Carey Price

Il y a un peu moins de 14 ans, dans un hôtel de Manhattan, le hasard d’une loterie allait offrir au Canadien de Montréal la chance de mettre la main sur le gardien de but qui allait devenir le plus victorieux de sa riche histoire… au grand étonnement de plusieurs ! Retour sur cette journée, à travers le regard du directeur du recrutement, Trevor Timmins, et de notre journaliste, Richard Labbé.

Carey Price

« Si c’est votre homme, prenez-le ! »

Le directeur du recrutement du CH revient sur le repêchage de Carey Price

Trevor Timmins se souvient de sa réaction en regardant la loterie du repêchage le 14 juillet 2005, deux semaines avant le grand jour.

La LNH avait plongé les joueurs dans un lock-out l’hiver précédent et les équipes avaient toutes la chance de participer à la loterie.

« Je suivais l’événement en direct sur le sofa avec ma femme et nous étions encore dans la course après le dévoilement des 20 premiers choix, confie, au bout du fil, le directeur du recrutement amateur du Canadien. Puis il n’en restait plus que six et je commençais à m’exciter à l’idée de mettre la main sur le prix le plus convoité, Sidney Crosby, le joueur de concession. »

Le logo du Canadien est finalement apparu à la télé, Timmins et son équipe allaient repêcher au cinquième rang. « On venait de rater Crosby et la réalité allait me frapper : avec le cinquième choix, nous aurions à décider si nous prenions le gardien, ce qui provoquerait probablement une controverse au sein du public. »

Timmins voyait en Carey Price une éventuelle vedette. Le jeune homme jouait à Tri-City et offrait des performances déjà étonnantes malgré le manque de talent au sein de son équipe.

Mais le CH comptait déjà un gardien numéro un, José Théodore, il avait seulement 28 ans et remporté deux ans plus tôt les trophées Hart et Vézina.

À l’époque, on n’avait pas besoin de renfort à la position de gardien, mais on manquait cruellement de relève à l’attaque. Choisir un gardien au cinquième rang relevait presque de l’hérésie.

« Malgré tout, [le DG] Bob Gainey n’a pas été difficile à convaincre. Il m’a dit : “Si c’est votre homme, prenez-le.” Et tout juste avant de se prononcer au micro, il m’a reposé la question : “C’est votre joueur, Trev ? Alors, prenez-le, ne vous souciez pas de sa position.” »

— Trevor Timmins

Timmins se souvient de l’explosion de joie à la table voisine lorsque le Canadien a annoncé son choix. « Ils étaient euphoriques. Ils repêchaient immédiatement après nous au sixième rang et le joueur qu’ils convoitaient était encore disponible. Ils étaient convaincus que nous allions le choisir. »

L’équipe en question, les Blue Jackets de Columbus, lorgnait Gilbert Brule. Cet attaquant avait créé une immense sensation à son année de repêchage. Il venait d’amasser 87 points, dont 39 buts, en 70 matchs avec les Giants de Vancouver. Il était robuste à souhait même s’il mesurait 5 pi 11 po.

Brule a d’ailleurs accédé à la LNH à 18 ans. Mais il a subi une fracture du sternum dès son deuxième match à la suite d’une violente mise en échec de Roman Hamrlik, alors avec les Flames de Calgary. Il est revenu au jeu six semaines plus tard, avant de se fracturer une jambe.

Les Blue Jackets l’avaient sans doute lancé trop vite dans la gueule du loup. Il n’a jamais pu s’établir solidement dans la LNH et à 26 ans, il allait s’exiler en Russie, dans la KHL.

Timmins se rappelle à quel point le travail des recruteurs avait été difficile cette année-là.

« Le lock-out nous avait laissés dans l’incertitude. Pendant toute la saison, nous ne savions pas ce qui allait arriver et à quel rang nous allions choisir. Il fallait connaître tous les joueurs par cœur parce que nous pouvions repêcher au 2e rang comme au 28e rang. »

— Trevor Timmins

Timmins donne l’exemple de l’an dernier pour illustrer son propos. « On savait plusieurs mois avant le repêchage qu’on allait repêcher dans le top 10. On a concentré notre attention sur quelques joueurs en particulier. Mais si tu participes aux séries cette année et repêches entre le 21e et le 31e rang, tu ne perds pas ton temps à interviewer Jack Hughes et à lui faire subir des tests, parce qu’il ne sera plus disponible.

« En 2005, il fallait interviewer et analyser chaque joueur. Donc, tu ne pouvais pas te concentrer autant que tu le voulais sur certains parce qu’il fallait s’éparpiller. »

Après Sidney Crosby au premier rang, Bobby Ryan a été choisi au deuxième rang par les Ducks d’Anaheim, Jack Johnson au troisième rang par les Hurricanes de la Caroline et Benoît Pouliot au quatrième rang par le Wild du Minnesota.

Malgré l’insistance de son interlocuteur, Timmins refuse de dévoiler à quel rang figurait Price sur sa liste.

« Était-il deuxième ? Cinquième ? Je me limiterai à dire qu’il était dans notre top 5. »

— Trevor Timmins, en riant

Ryan a connu quelques saisons de 30 buts à Anaheim avant de voir sa carrière péricliter après son arrivée à Ottawa il y a quelques années. Jack Johnson atteindra éventuellement la marque des 1000 matchs dans la Ligue nationale, mais il a plafonné assez tôt. Pouliot a joué longtemps, mais il n’a jamais produit à la hauteur des attentes.

Si le repêchage de 2005 était à refaire, avec ce que l’on sait aujourd’hui, Sidney Crosby, Anze Kopitar, repêché au 11e rang, et Carey Price constitueraient fort probablement le top 3. Kris Letang et Jonathan Quick ne seraient pas loin derrière.

Carey Price

Le choix que l’on n’attendait pas

En premier, un peu de contexte : le repêchage de 2005 est survenu après la pire saison de l’histoire de la Ligue nationale de hockey.

La pire… parce qu’il n’y a pas eu de saison cette année-là. Gary Bettman et les propriétaires avaient choisi d’imposer un lock-out en septembre, et c’est le calendrier en entier qui a été mis dans la poubelle de la honte. À la télé, ils nous repassaient des vieux matchs des années 70 et des matchs de semi-pro. Ce fut aussi long que ça en a l’air.

Quand les joueurs et les patrons ont enfin pu enterrer la hache de guerre en juillet, il fut convenu qu’une loterie allait décider de l’ordre du prochain repêchage. C’était assez gros, parce que tout le monde savait que Sidney Crosby allait être le premier choix et que l’équipe qui allait gagner la loterie allait donc se retrouver avec Crosby.

Alors, le petit monde du hockey s’est retrouvé dans un hôtel de Manhattan par une très chaude journée de juillet à regarder Bettman ouvrir des enveloppes. Les journalistes, nous étions un peu en retrait dans une salle fermée, et quand Bettman a dévoilé le logo des Maple Leafs au 21e rang, un confrère de Toronto a crié « Merci, Gary ! » parce que Crosby dans le marché torontois, ç’aurait été un cirque.

Ç’aurait été un cirque à Montréal aussi, et plus ça allait, plus les membres des médias montréalais qui étaient là commençaient à imaginer un quotidien à Brossard avec Crosby. Bettman ouvrait les enveloppes au 10e rang, au 9e, au 8e, au 7e et au 6e… on ne voyait toujours pas le logo du CH.

On a fini par le voir au cinquième rang. Pas de Crosby, mais la plupart des experts s’entendaient pour dire la même chose : le Canadien, enfin, allait pouvoir repêcher ce gros joueur de centre qui lui échappait depuis trop longtemps.

Le repêchage allait avoir lieu quelques jours plus tard à Ottawa, le 30 juillet. La veille, le vendredi soir, le Canadien et ses dirigeants avaient organisé un genre de 5 à 7 dans un casino de la région, et j’avais discuté pendant de longues minutes avec Trevor Timmins, le grand manitou du repêchage.

Timmins n’allait évidemment pas dévoiler ses grands secrets, mais j’ai senti un élan d’enthousiasme quand je me suis mis à lui parler d’Anze Kopitar, le grand Slovène que j’avais pu voir jouer ce printemps-là en Autriche, lors des Championnats du monde.

« Il est bon », s’était contenté de dire Timmins en souriant, et à mes yeux, c’était un signe. Bien sûr que le cerveau du repêchage montréalais n’allait pas déclarer à La Presse « NOUS ALLONS CHOISIR KOPITAR ! » parce que cela aurait éveillé trop de soupçons (c’était avant les sites de rumeurs et de repêchages simulés). Mais juste par ce « Il est bon », je croyais que Kopitar était probablement l’homme du CH. Un centre, gros en plus, avec des mains de velours ? Ça allait être lui, c’est sûr.

Le lendemain, c’était jour de repêchage. Crosby s’est levé en premier, à la surprise de personne, encore moins de Mario Lemieux, qui se promenait devant les journalistes en se frottant les mains et en murmurant « Jackpot ! ». On aurait fait pareil à sa place.

Les Ducks d’Anaheim ont parlé ensuite, puis les Hurricanes de la Caroline, puis le Wild du Minnesota, qui a choisi l’attaquant Benoit Pouliot, qui était aussi dans la ligne de mire du CH. C’était donc au tour du Canadien. Bob Gainey a pris le micro en premier, remerciant les partisans pour leur patience. Puis, Trevor Timmins a prononcé ces mots : « Le club de hockey Canadien est fier de sélectionner… de la WHL, des Americans de Tri-City, le gardien Carey Price. »

Vous savez ces scènes de film où tout se passe au ralenti, où les personnages se regardent avec stupéfaction parce qu’ils n’en reviennent pas de ce qui vient d’arriver ? C’est comme ça que ça s’est passé dans la salle d’hôtel à Ottawa. Il y a eu comme un petit silence, suivi de murmures aux quatre coins de la salle.

J’ai pris mon guide du repêchage pour tourner les pages en vitesse et en être bien sûr… Carey Price ? Le gardien ? Ça n’avait aucun sens. José Théodore, sacré joueur le plus utile de la ligue à peine deux saisons plus tôt, était bien en poste devant le filet montréalais, à 28 ans. Dans l’organisation, quelque part, il y avait Jaroslav Halak, dont on disait du bien dans les coulisses. Ça servait à quoi de choisir un gardien avec un choix aussi précieux ?

Quand Carey Price a été présenté aux membres des médias quelques minutes plus tard, on a vu en lui un jeune homme dépassé, hésitant, presque gêné d’être là. Nous en sommes tous venus à la même conclusion en regagnant nos sièges : ce jeune-là n’est pas fait pour Montréal. Trop fragile. La pression va l’écraser, c’est certain.

Bref, quel mauvais choix.

C’est le bout qui est le plus étonnant dans l’histoire de Carey Price : il est encore là.

Étonnant parce qu’il a été hué par ses propres partisans, critiqué par les médias, a fait partie d’équipes trop souvent mauvaises. Il aurait pu partir et aller voir ailleurs sur le marché de l’autonomie. Il a choisi de ne pas le faire.

Est-ce que le Canadien aurait été meilleur avec Kopitar ? Ça se peut. Il s’est très bien tiré d’affaires chez les Kings de Los Angeles, au point de mettre la main sur la Coupe Stanley à deux reprises avec eux.

Mais Carey Price a maintenant 314 victoires. Je n’aurais pas parié sur une telle éventualité à Ottawa il y a 14 ans. Et je ne suis pas le seul.

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