OPINION HÔPITAL SAINTE-JUSTINE

N’allez pas de l’avant

Le regroupement des directions du CHUM et du CHU Sainte-Justine ne saurait aller de pair avec le haut sens des responsabilités de votre gouvernement

Lettre adressée au premier ministre du Québec, Philippe Couillard, et au ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette.

Le 30 juin dernier, La Presse+ publiait un texte sous la signature des six membres de l’exécutif du Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP) du CHU Sainte-Justine. Il demande de mettre fin à l’expérience de la fusion de la direction générale et des conseils d’administration des deux institutions.

Le 10 juillet, l’exécutif a proposé aux membres du CMDP de souscrire à cette lettre. À ce jour, et en dépit des absences pendant la période estivale, 281 membres actifs ont apposé leur signature, à savoir environ 77 % des effectifs et 80 % des médecins. Vingt-quatre membres associés ont également apposé leur signature pour un total de 305 signataires.

Les signataires adhèrent donc à la conviction, exposée dans ce texte, que la décision du gouvernement, annoncée en septembre 2015, de procéder à la fusion des conseils d’administration et des directions du CHUM et du CHU Sainte-Justine « causera tôt ou tard des préjudices irréversibles » à l’institution centenaire consacrée à l’excellence dans les soins mères-enfants. Cette décision […] menace aujourd’hui l’âme même de l’institution et l’engagement de ses artisans, comme en témoignent l’étendue et la profondeur du mouvement actuel au sein du corps médical et au-delà.

Aux motifs exposés dans le texte du 30 juin, nous ajoutons les suivants.

En premier lieu, la loi 10 prévoit que le CHU Sainte-Justine est un établissement non fusionné, au même titre que d’autres établissements à vocation particulière comme l’Institut de Cardiologie de Montréal (et) l’Institut universitaire de pneumologie et de cardiologie de Québec […]. Le débat parlementaire et public sur la loi 10 s’est fait sur cette base. La décision de septembre 2015 va à l’encontre des dispositions alors adoptées. Elle a été prise sans préavis et sans consultation des parlementaires, des intervenants concernés ou du public, privant de nombreuses parties prenantes d’exprimer, dans un cadre approprié, leur opinion sur ce changement d’orientation qui modifie fondamentalement la trajectoire historique et les perspectives à long terme de l’institution.

En second lieu, la décision de septembre 2015 ne pourra être interprétée par les futurs décideurs politiques ou administratifs que comme une fusion inachevée et à compléter.

Plus le temps passe, plus cette lecture de l’intention gouvernementale s’accrédite […]. En ce sens, les assurances verbales reçues à répétition depuis septembre 2015 à l’effet que cette décision n’ira pas plus loin – à court, moyen ou long terme – n’ont pas d’assise solide. Seul le rétablissement de la gouvernance du CHU Sainte-Justine et des dispositions spécifiques de la loi 10 peut clarifier les choses pour le futur.

En troisième lieu, le CHU Sainte-Justine n’a jamais, depuis sa fondation et tout au long de son histoire, dû subir un désengagement de cette nature de la part du gouvernement du Québec. Au fil du temps, une courte liste d’établissements à vocation particulière autonomes a vu le jour au Québec. Ces établissements se sont consolidés à la faveur du leadership admirable de leurs bâtisseurs, motivés notamment par un modèle de gouvernance cohérent, aligné sur l’idéal d’une mission d’excellence. […] La loi 10, telle que déposée, débattue et adoptée, confirmait la valeur de cette autonomie et assurait sa pérennité pour quatre établissements. […] Or, la décision de septembre 2015 suggère que le CHU Sainte-Justine n’en ferait plus partie, ce qui surprend et choque quand on connaît toute la complexité des spécificités physiologiques, pathologiques, thérapeutiques, sociales et légales de la médecine pédiatrique et maternelle. […]

En quatrième lieu, le seul motif officiellement invoqué pour justifier la fusion des conseils d’administration et des directions, à savoir la continuité des soins enfants-adultes, ne résiste pas à l’analyse.

Il s’agit d’une problématique propre à certains patients, pour laquelle plusieurs mécanismes efficaces sont déjà en place. En outre, le suivi de la majorité des patients du CHU Sainte-Justine qui nécessitent ce genre de transition ne sera pas effectué par des médecins du CHUM pour des raisons géographiques (puisque nos patients proviennent de toutes les régions du Québec) ou cliniques. […] Ainsi, le motif invoqué apparaît pour le moins insuffisant, sans commune mesure avec la solution imposée […].

En cinquième lieu, la comparaison parfois utilisée avec les établissements de soins pédiatriques aux États-Unis confirme la conviction des membres du CMDP de la nécessité d’une gouvernance autonome. Parmi les 10 établissements de soins pédiatriques les mieux classés aux États-Unis sur le plan de la qualité de la médecine, huit jouissent d’une telle gouvernance. Ce n’est pas un hasard. Le modèle des hôpitaux pédiatriques autonomes favorise la concentration d’expertise ciblée, encourage l’innovation, stimule la recherche et facilite le recrutement d’experts pédiatriques reconnus […].

Nous ne saurions assez insister sur l’importance que revêt ce dossier pour les membres du CMDP. Le Conseil a tenu 12 assemblées spéciales extraordinaires ou régulières depuis septembre 2015 en lien direct ou indirect avec cette décision […].

Enfin, nous contestons vigoureusement la rhétorique faisant usage des mots « regroupement » ou « alliance », ou les affirmations à l’effet « qu’il n’y aura pas de fusion complète », pour rendre plus acceptable la situation créée par la décision de septembre 2015. La fusion des conseils d’administration et des directions générales constitue la pièce maîtresse de tout processus de fusion. […]

Les médecins, dentistes et pharmaciens du CHU Sainte-Justine vous demandent officiellement d’annuler la décision prise en septembre 2015 de procéder à la fusion des conseils d’administration et des directions générales du CHUM et du CHU Sainte-Justine. Les risques à long terme que cette décision fait peser sur l’avenir de l’institution, indépendamment des assurances verbales offertes jusqu’à maintenant, doivent faire l’objet d’un regard nouveau, et l’esprit originel de la loi 10, être remis de l’avant.

[…] Devant l’ampleur de la conviction exprimée et la démarche entreprise ici par la quasi-intégralité du corps médical de l’institution, nous estimons que la répétition de ce scénario ne saurait aller de pair avec le haut sens des responsabilités de votre gouvernement.

[…].

* Dre Mona Beaunoyer, vice-présidente du CMDP ; Dr Denis Bérubé, secrétaire-trésorier du CMDP ; Dre Céline Huot, conseillère de l’exécutif du CMDP ; Dr Éric Drouin, conseiller de l’exécutif du CMDP ; Dr François Beaudoin, conseiller de l’exécutif du CMDP

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