ÉDITORIAL ÉDUCATION

S’arrêter à la dernière marche

Un peu de cohérence, de grâce. C’est ce qu’on a envie de crier en constatant que le taux de diplomation au cégep stagne, comme le rapportait notre collègue Gabrielle Duchaine mardi. Il est absurde de s’évertuer à faire diplômer plus de jeunes du secondaire si on ne poursuit pas le travail au niveau collégial.

Seul un élève sur trois termine son cégep dans les délais prévus. Deux ans plus tard, 62 % auront leur diplôme. Ce n’est pas beaucoup…

Comment l’expliquer ? En gros, parce que les élèves ont changé. Ils sont désormais plus nombreux : 

 – À travailler (parce que c’est surtout cela que leur entourage valorise, parce que leurs habitudes de consommation l’exigent ou encore parce que c’est nécessaire pour les dépenses associées aux études) ;

 – À devoir concilier études et vie de parent (surtout pour les formations professionnelles) ;

 – À changer d’orientation en cours de route ;

 – À prendre une pause pour des raisons personnelles (voyage, etc.) ;

 – À être allophones, avec les difficultés d’apprentissage que cela peut impliquer ;

 – À avoir étudié sous le renouveau pédagogique (l’effet au cégep n’a pas été mesuré, car la première cohorte est arrivée en 2010) ;

 – À avoir des troubles d’apprentissage, d’adaptation et de santé mentale.

Cette hausse des cas lourds est particulièrement importante. En fait, parler de « hausse » est un euphémisme. De 2009 à 2014, le taux a explosé de 700 %. Et une hausse semblable s’observait aussi de 2000 à 2009.

Paradoxalement, il s’agit d’une bonne nouvelle. Cela signifie que ces élèves, qui tombaient auparavant dans les mailles du filet, sont désormais pris en charge et terminent désormais leur secondaire. Cette amélioration explique environ la moitié de la modeste hausse du taux de diplomation au secondaire – le reste vient de la modification des catégories pour inclure les « qualifications professionnelles ». En d’autres mots, on a baissé la barre…

Bien sûr, il reste énormément de travail à faire. Cela doit commencer avant même le primaire, une étape décisive pour l’égalité des chances. Mais on ne peut continuer de construire la chaîne en négligeant le maillon des cégeps. En relâchant l’effort vers la fin.

Or, c’est un peu ce qui se passe pour les élèves avec des troubles d’adaptation, de santé mentale et d’apprentissage. À leur arrivée au cégep, ils sont souvent mal préparés. Et contrairement à ce qui prévaut au secondaire, ils doivent eux-mêmes obtenir un diagnostic au cégep pour être aidés.

De plus, cette aide laisse à désirer. D’abord, parce que les enseignants au cégep n’ont souvent pas suivi de formation en pédagogie ou de cours d’appoint pour intervenir auprès de ces cas lourds. Ensuite, parce que même s’il existe des procédures pour les jeunes en difficulté (examen complété hors de la salle ou délai pour le remettre), il manque de spécialistes pour les consulter. Une absence d’autant plus désolante que le cégépien doit rapidement devenir un adulte autonome.

Il serait trop facile d’accuser les directions des cégeps. Au contraire, le réseau a réussi à maintenir le taux de diplomation même si le profil sociodémographique de ses élèves a changé. Il faudra maintenant l’aider à aider ses élèves. Hélas, Québec a fait exactement le contraire. Le financement imprévisible fluctue selon les caprices gouvernementaux. Et depuis quatre ans, il recule – les compressions s’élèvent à 155 millions.

Cela a touché les services et pénalisé les jeunes plus vulnérables. Le prétendu « réinvestissement » ne suffit même pas à éliminer les coupes.

À quoi bon dépenser pour aider un élève en difficulté au primaire et au secondaire si c’est pour l’abandonner rendu sur l’avant-dernière marche ?

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