Opinion

Au revoir, mes Livres dans la rue

Au fil des ans, être lectrice de rue est devenu pour moi une manière d’être au monde

J’ai rencontré les Livres dans la rue au printemps 2007, au détour d’une conversation avec mon amie Marie-Andrée, elle aussi écrivaine et enseignante, pendant laquelle nous bavardions d’éducation populaire et d’accès à la littérature.

Elle m’avait dit que des embauches auraient bientôt lieu. Le lendemain, j’accourais au téléphone, le surlendemain à l’entrevue, et la saison suivante, au plus bel emploi d’été que je n’ai jamais eu.

Au fil des ans, être lectrice de rue est devenu, bien plus que le chouette boulot d’étudiante que j’imaginais au départ, une manière d’être au monde. Une manière d’habiter Montréal et ses quartiers, de parcs en ruelles jusqu’aux cours de HLM où je me sens chez moi, près des balançoires du parc Edmond-Hamelin, sur la butte des Habitations Boyce-Viau, près des trois triangles gazonnés du Domaine Anjou ou sous le gros érable central des Habitations Workman-Delisle.

C’est ça, le boulot des Livres dans la rue. C’est de rendre la lecture accessible, partout, dehors.

Tous les jours des mois de juillet et d’août, les épaules voutées sous le poids de mon sac à dos rempli d’une vingtaine de livres et de mes deux couvertures de laine, j’enfourche mon vélo et je file, sereine, avec cette confiance qu’aujourd’hui, pour quelqu’un quelque part, un livre est important. Qu’aujourd’hui, un livre parle. Signifie. Éveille.

Mon quotidien se déroule auprès d’une myriade d’œuvres littéraires et visuelles que je découvre et partage sans cesse. J’ai cent fois cherché Charlie, mille fois crié au loup et des millions de fois retenu mon souffle en même temps que celui d’enfances rêveuses, pantoises ou enthousiasmées.

LA FIN

Maintenant, c’est tout. Ce matin, en ce 12 août 2016, je rends mes livres, mes couvertures et mon sac à dos. Je ne prévois pas les reprendre l’année prochaine. Je pars vers d’autres défis, d’autres étés. Peut-être même que j’écrirai des livres que mes collègues, un jour, glisseront dans leurs sacs à dos…

Je ne peux rien vous promettre quant à l’avenir des Livres dans la rue : bien sûr, j’ai peur. Bien sûr, tout ce qui s’appelle littérature et tout ce qui s’appelle éducation – et peut-être davantage tout ce qui tend à lier les deux – perd des plumes et des forces depuis quelques années. Par contre, s’il y a une chose dont je suis convaincue, c’est que les millions de lectures qui ont eu lieu sous mes yeux, elles, sont déjà une légende.

Je conclus par un petit secret que je n’ai jamais dit : mon plus beau moment aux Livres dans la rue, c’est en 2012 que je l’ai vécu. J’étais hospitalisée depuis des semaines, et c’était le deuxième été d’affilée que je manquais mon travail préféré. Un jour, en plein temps libre d’après-midi, je me suis enfuie. J’ai pris la porte arrière de la petite maison du Douglas qui m’hébergeait, je me suis faufilée par la cour et j’ai rejoint Éric et Anna qui travaillaient à quelques pas, tout près du fleuve. Ils m’ont saluée quand je me suis approchée. Ils m’ont offert une histoire. Je ne me souviens pas laquelle. Je me souviens que j’avais souri. Que j’avais rêvassé. Que j’avais été touchée. 

Je me souviens que c’est à ce moment-là, assise devant des mots, des images et une voix, que j’ai compris que le travail des Livres dans la rue n’était pas juste beau – mais essentiel.

Merci, mes Livres dans la rue, merci.

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