Santé Canada hausse le ton contre les cliniques offrant des traitements à base de cellules souches, qui se multiplient au pays – dont plusieurs au Québec. Dans un avertissement publié hier en fin d’après-midi, le ministère fédéral affirme que ces thérapies sont « non autorisées », que leur sécurité et leur efficacité n’ont jamais été prouvées et qu’elles comportent des « risques qui mettent la vie en danger ou altèrent la qualité de vie, comme des infections graves ».
Les cellules souches sont des cellules du corps qui ne se sont pas encore spécialisées et qui ont le potentiel de se transformer en plusieurs types de cellules différents. On les retrouve en grande quantité dans les embryons, mais des réservoirs de cellules souches se cachent aussi dans les tissus des adultes afin de fabriquer toute la gamme de cellules nécessaires au remplacement de celles qui meurent.
Ces cellules renferment un immense potentiel en médecine. Certains rêvent de les utiliser pour régénérer des tissus et des organes complets, alors que d’autres veulent s’en servir contre des maladies dégénératives comme le diabète, l’arthrose ou la sclérose en plaques.
Le hic, c’est que certains médecins ont déjà décidé que la révolution des cellules souches était mûre pour être lancée. Au moins une quarantaine de cliniques privées, dont certaines ont pignon sur rue dans la région de Montréal, offrent de tels traitements moyennant quelques milliers de dollars au Canada. Les problèmes de santé les plus souvent visés sont l’arthrose du genou ou de l’épaule, mais certaines cliniques disent aussi pouvoir traiter des conditions comme la sclérose en plaques.
Le principe, en théorie du moins, est simple : on prélève les cellules souches dans le gras ou dans la moelle osseuse des patients avec une seringue, on les concentre avec une centrifugeuse, puis on les réinjecte dans la zone à soigner.
« Étant donné que les thérapies cellulaires autologues font appel aux cellules provenant du patient, il se peut que les praticiens laissent entendre que ces traitements sont sans risque, et ce, même si leur innocuité et leur efficacité n’ont jamais été prouvées », écrit Santé Canada dans son avertissement.
Des cliniques américaines recrutent à Montréal
En mars dernier, La Presse a assisté à une séance d’information de l’entreprise américaine Stem Cell Centers, qui recrute activement des patients à Montréal. L’entreprise a d’ailleurs distribué des publicités dans les boîtes aux lettres de certains Montréalais au cours des derniers jours pour annoncer d’autres séances d’information à venir à la fin du mois de mai.
Dans une salle d’un hôtel Ramada du boulevard Décarie, huit personnes se sont présentées et se sont fait remettre une pochette d’information affirmant que la « médecine régénérative » pourrait « changer [leur] vie ». À l’écran, une vidéo promotionnelle montrait des gens souvent âgés, toujours souriants, se livrant à toutes sortes d’activités.
Arthrite, douleurs au dos, aux genoux ou aux hanches, sclérose en plaques, maladies pulmonaires : témoignages de patients à l’appui, la brochure de Stem Cell Centers laisse entendre que les cellules souches peuvent soulager un grand nombre de maux.
La Presse n’a toutefois pu en savoir davantage. Avant que la présentation officielle ne débute, un homme s’est approché.
« Vous êtes journaliste ? Il va falloir quitter les lieux. Nous avons eu de la mauvaise couverture médiatique par le passé », a-t-il dit en anglais, avant de nous escorter fermement vers la sortie. De toute évidence, notre nom, exigé à l’entrée, avait été scruté par les organisateurs. Nous sommes néanmoins repartis avec un bon de réduction de 500 $US valide dans une clinique de Williston, au Vermont.
Santé Canada dit examiner si Stem Cell Centers viole les lois canadiennes, « y compris en lien à la publicité ». Bien que l’entreprise vende des services aux Québécois, le Collège des médecins du Québec dit de son côté n’avoir « malheureusement aucune juridiction sur les pratiques faites à l’extérieur de la province ». L’organisme souligne que Stem Cell Centers indique dans ses publicités que ses thérapies sont expérimentales et non approuvées par Santé Canada.
« Ils ne vendent pas leur “produit” comme une cure et ça n’entre donc pas dans la catégorie d’exercice illégal de la médecine. C’est tout simplement de l’ordre du commerce et non de la science », a affirmé le Collège des médecins à La Presse.
Des experts sonnent l’alarme
Plusieurs experts en cellules souches avaient déjà commencé à sonner l’alarme concernant les traitements offerts dans les cliniques privées. C’est le cas de Chris Hasilo, de l’Université McGill, qui est directeur scientifique de CellCAN – un réseau de chercheurs impliqués dans la médecine régénérative et la thérapie cellulaire.
« Le gros problème avec ces thérapies non prouvées est que la procédure n’a pas été revue par des experts de Santé Canada, avait-il dit à La Presse avant la publication de l’avertissement par Santé Canada. Cela soulève des questions sur ce qui se passe à chaque étape des thérapies et sur les risques à chacune de ces étapes. La sécurité des patients n’a pas été évaluée à chacune des étapes. »
L’expert estime que les procédures mal effectuées peuvent faire courir le risque d’infections et même de cancers chez les patients.
Le phénomène était aussi sur l’écran radar du ministère de la Santé, à Québec, qui avait affirmé à La Presse être « préoccupé » par de telles pratiques. Le Ministère dit vouloir confier à l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux le mandat d’étudier la pertinence de ces traitements.
« Ces choses-là sont dangereuses et portent atteinte à la science. Quand il va y avoir un décès – et ça va finir par arriver –, ça va nuire à tout le monde dans le domaine », avait aussi confié à La Presse l’hépatologue pédiatre Massimiliano Paganelli, du CHU Sainte-Justine, qui mène des projets de recherche afin d’utiliser un jour les cellules souches pour régénérer les foies d’enfants malades.
Le mois dernier, la Food and Drug Administration, l’équivalent américain de Santé Canada, a lancé des poursuites judiciaires contre une clinique de la Floride, U.S. Stem Cell.
Selon le Washington Post, la clinique a rendu quatre patients aveugles en leur injectant des cellules souches dans les yeux. Une autre patiente a passé plus d’un mois dans le coma après avoir reçu une injection contre l’arthrite.
Santé Canada a rappelé hier qu’une seule thérapie basée sur les cellules souches a fait l’objet d’une autorisation de mise en marché : le Prochymal, destiné à prévenir les réactions graves pouvant découler des greffes de moelle osseuse chez les enfants. Certains traitements pour les patients atteints du cancer sont quant à eux régis par les règles entourant la transplantation.
Quant aux autres traitements à base de cellules souches offerts dans les cliniques privées, ils font l’objet d’un certain flou juridique. Avant la publication de l’avertissement d’hier, Santé Canada avait refusé de nous accorder une entrevue sur le sujet, affirmant que nos questions tombaient « sous la compétence de trois différentes directions » au sein du ministère.
Dans un échange de courriels, le ministère fédéral disait avoir contacté 35 cliniques offrant des traitements de cellules souches au Canada. Elle avait exigé que trois d’entre elles (RichSource Stem Cells Inc., de Montréal, ainsi que Cleveland Clinic Canada et Bloor Chelation, de Toronto) cessent leurs traitements. Ce qui semble avoir accroché dans ces cas, c’est que ces cliniques utilisaient des cellules souches provenant de donneurs plutôt que de les prélever sur les patients. Santé Canada affirme que les trois cliniques ont cessé les traitements.
Quant aux 32 autres cliniques, aucune décision n’a encore été prise.
« Santé Canada continue d’évaluer les renseignements fournis par les cliniques pour déterminer si les activités qui y sont menées sont conformes aux exigences réglementaires fédérales », nous a écrit l’organisme fédéral, qui a indiqué hier qu’il « assurera un suivi et prendra des mesures pertinentes et opportunes ».