Forte baisse du nombre de traitements depuis la fin du programme public

Un an après l’adoption du projet de loi 20 à Québec, certaines cliniques de procréation assistée enregistrent des baisses de près de 50 % du nombre de demandes pour la fécondation in vitro (FIV). Plusieurs couples infertiles qui doivent se tourner vers cette technique s’estiment désormais incapables de payer pour ces traitements, dont les coûts s’élèvent sont de 8000 $ à 15 000 $ par cycle.

Adopté le 10 novembre 2015, le projet de loi 20 a entre autres mis fin au programme public de procréation assistée pour le remplacer par un crédit d’impôt. Or, l’accès à ce crédit est limité et injuste, plaide l’Association des couples infertiles du Québec (ACIQ) qui reçoit un nombre croissant d’appels de couples en détresse, qui ne peuvent financièrement avoir accès aux traitements.

« Plusieurs vivent des situations dramatiques. Ils doivent abandonner leur projet d’enfant parce qu’ils n’ont pas les moyens de payer. C’est triste. »

— Céline Braun, présidente de l’ACIQ

À la clinique ovo, le nombre de demandes pour la FIV a diminué de 45 % au cours des derniers mois. « On voit un lien direct avec la loi 20 », affirme la directrice des opérations, Renée Cardinal.

Dans une analyse d’impact du changement réglementaire réalisée en 2014, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) écrivait que « le resserrement des conditions d’accès à la procréation assistée ainsi que l’aspect dissuasif de la contribution financière désormais exigée font en sorte qu’une baisse de l’achalandage est envisagée ». Le MSSS dit toutefois aujourd’hui ne pas posséder de données permettant de conclure en une diminution des traitements de FIV au Québec.

Le programme de procréation assistée, mis en place en août 2010, a été mis de côté en novembre 2015, lorsque Québec a adopté le projet de loi 20. Les patients ayant recours à la FIV peuvent, depuis, sous certaines conditions, obtenir un crédit d’impôt d’un maximum de 10 000 $. Jusqu’à neuf traitements d’insémination sont désormais payés par l’État.

Politique de l’enfant unique

Sophie Roy et son conjoint ont eu un fils en juin 2014 après avoir eu recours à l’insémination. En vue d’avoir un deuxième bébé, le couple a recommencé des épisodes d’insémination en août 2015, les tentatives se soldant par des grossesses ectopiques.

Les médecins ont alors commencé à parler de FIV. Mais le projet de loi 20 a été adopté. « La FIV serait une solution beaucoup plus sûre pour nous. Cela réduirait considérablement les chances de refaire une grossesse ectopique […] Malheureusement, nous n’avons pas du tout les moyens d’aller en FIV. Et puisque nous avons un fils, nous n’avons pas droit au crédit », témoigne Mme Roy.

Celle-ci ne comprend pas la logique derrière cette décision du gouvernement de sabrer dans la FIV. « Car faute d’option, je continue l’insémination. Si je refais une grossesse ectopique, que je fais une hémorragie interne et que je dois être opérée, il me semble que cela doit coûter plus cher à l’État que de payer une fécondation in vitro ? », dit-elle.

Mme Cardinal note elle aussi que de plus en plus de patients se tournent vers l’insémination faute de moyens. Une technique où les chances de grossesse multiples sont « plus grandes ». « Le programme de fécondation in vitro visait justement à limiter les grossesses multiples. Mais là, on fait un retour en arrière », laisse savoir Mme Cardinal qui affirme qu’au cours des derniers mois, la clinique ovo enregistre une hausse de grossesses multiples liées à l’insémination.

Au MSSS, on ne dispose pas de statistiques pour l’instant sur les hausses de grossesses multiples, les données de l’Institut de la statistique du Québec n’étant pas encore à jour.

Situations difficiles

Tant du côté de l’ACIQ que chez ovo, on critique le fait que l’accès au crédit d’impôt est difficile et les règles, floues. Mme Braun a par exemple vu le cas d’une femme qui a accouché par deux fois de bébés mort-nés qui n’est pas admissible au crédit d’impôt, car elle est considérée comme ayant eu des enfants. « C’est cruel », plaide Mme Braun, selon qui cette politique de l’enfant unique « n’a pas lieu d’être ».

Chez Revenu Québec, on signale que « tous les contribuables ayant demandé le crédit d’impôt pour traitement de l’infertilité en cotisation originale l’ont obtenu ».

Plusieurs couples infertiles font preuve de créativité pour obtenir leur traitement de FIV. Certains organisent des soupers spaghettis et d’autres collectes de fonds pour financer les traitements. « Parce que même si tu as accès à un crédit d’impôt, tu dois quand même être capable de payer à l’avance les traitements pour te faire rembourser », dit Mme Braun.

Certaines cliniques ont mis sur pied des programmes de crédit. Pour l’ACIQ, la disparition du programme de procréation assistée est une perte pour le Québec. « Dans un contexte où on plaide pour une plus forte natalité, c’est illogique. Alors que le Québec a coupé son programme, l’Ontario en a adopté un. L’Europe continue aussi sur cette voie. Je ne comprends pas ce recul ici », estime Mme Braun.

Dans l’analyse d’impact du MSSS, on souligne que le programme de procréation assisté était « devenu trop coûteux » et devait être « doté de balises permettant de réduire les coûts ». « On aurait pu mieux baliser sans éliminer complètement le programme », croit Mme Cardinal.

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