RAPPORT DU PROTECTEUR DU CITOYEN

Le retour à l’équilibre budgétaire s’est traduit par une réduction des services affectant particulièrement les personnes vulnérables, s’est alarmée hier la protectrice du citoyen lors du dépôt du rapport annuel de l’organisme.

Chronique

Au Québec, attendre, ça tue

Quand on vit au Québec, on en vient à croire que l’attente est une fatalité, un mal incurable qui ronge la justice, la santé et l’administration publique. Du moins, c’est l’idée qu’on se fait en lisant le rapport annuel déposé par le Protecteur du citoyen, hier.

Mais il faut aller à l’étranger pour se rendre compte que les services peuvent être rendus rapidement. Lors d’un séjour au Portugal, cet été, nous avons dû consulter un médecin. Rien de grave, je vous rassure. Exactement le genre de problème banal pour lequel nous aurions moisi éternellement à l’urgence au Québec.

Pas à Lisbonne. À l’hôtel, la réceptionniste nous a dirigés vers un hôpital à proximité après avoir comparé les délais d’attente sur l’internet. Pourquoi n’a-t-on pas un tel outil chez nous ? Je me le demande.

Arrivés dans cet hôpital moderne et bien organisé, il n’a fallu qu’une demi-heure pour voir le médecin qui a pris tout son temps pour déterminer le traitement, fouillant durant 20 minutes sur le web pour trouver l’équivalent le plus proche du médicament canadien. Une heure plus tard, tout était réglé, à notre grand étonnement.

Il faudrait que notre ministre des Finances Carlos Leitao, originaire du Portugal, m’explique comment ce pays tire son épingle du jeu, lui qui est pourtant catalogué parmi les PIGS, ces pays cancres de l’Europe dont les finances publiques sont en piètre état.

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Au Québec, le système de santé reste embourbé dans les délais, à commencer par les urgences.

Derrière les chiffres moyens d’attente se cachent des histoires d’horreur, comme celle de cet homme qui s’est rendu à l’hôpital parce qu’il souffrait de problèmes respiratoires. Après avoir attendu neuf heures, il est rentré chez lui sans voir le médecin.

Trois jours plus tard, il est mort d’une crise cardiaque, dénonce le Protecteur du citoyen. Comme quoi l’attente, au Québec, ça tue vraiment.

Si seulement les Québécois avaient accès à un médecin de famille, ils ne seraient pas forcés de se rabattre sur les urgences. Mais encore là, patience !

Le tiers des Québécois n’ont pas de médecin de famille, le pire score de toutes les provinces. Les patients orphelins peuvent végéter deux ans sur une liste d’attente avant de se voir assigner un médecin.

Le pire, c’est que les patients les plus mal en point restent plus longtemps sur la liste d’attente, signe que les omnipraticiens préfèrent sélectionner les cas moins lourds.

Mais ce n’est rien. Après avoir attendu pour voir un généraliste, les patients doivent patienter encore pour consulter un spécialiste, et patienter à nouveau pour une opération.

Le Protecteur a vu des usagers souffrir pendant quatre ans à cause d’une allergie à la prothèse qu’on leur avait installée dans le genou, sans que le spécialiste ait le temps de les réopérer. C’est d’une tristesse.

Et que dire des CHSLD ? À cause des délais qui atteignent parfois quatre à six ans, il arrive que les aînés décèdent sans jamais avoir obtenu l’hébergement de leur choix.

Que dire des enfants autistes ? Dans certains centres pour les enfants d’âge préscolaire, les délais sont si longs que l’enfant est trop vieux lorsque la place s’ouvre enfin.

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Malheureusement, la maladie de l’attente ne se limite pas au domaine de la santé. Toute l’administration publique est engluée par les délais.

À cause des mesures mises en place par Québec pour revenir à l’équilibre budgétaire, le nombre de plaintes a bondi de 12 % depuis un an. Et près de 80 % de cette augmentation est attribuable à l’allongement de l’attente, qui constitue le plus important motif de plainte contre l’administration québécoise.

Ici encore, ce sont les plus vulnérables qui sont les plus touchés.

Prenez les étudiants en situation précaire. Ils peuvent demander une dérogation pour avoir droit à l’aide financière aux études. Compte tenu de l’urgence de leur situation, la demande devrait être traitée en trois semaines. Mais certains étudiants languissent jusqu’à quatre mois.

Un étudiant atteint d’un problème de santé grave a dû faire appel au Protecteur du citoyen pour obtenir une aide de 7000 $ qui n’arrivait pas, parce que le ministre de l’Éducation avait changé et qu’il fallait refaire la paperasse !

Un peu moins de bureaucratie, un peu plus de compassion, ça ferait du bien !

Le Protecteur du citoyen a aussi observé une augmentation marquée des plaintes contre la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST, anciennement CSST).

C’est ainsi qu’un travailleur a attendu plus d’un an avant de savoir s’il serait indemnisé pour une opération au genou. Il aura fallu sept mois avant que sa demande soit aiguillée vers le bon service, puis encore cinq mois pour que ce service s’en occupe, trop occupé qu’il était par une réorganisation administrative.

Ah ! Bureaucratie, quand tu nous tiens.

Je pourrais continuer longtemps à vous énumérer tous les endroits où le gouvernement risque de vous faire poireauter : il y a des délais indus dans le traitement des rentes d’invalidité par Retraite Québec ; une attente déraisonnable dans le traitement du remboursement des frais d’adaptation du domicile des accidentés de la route par la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) ; une lenteur chronique du côté des tribunaux administratifs comme la Régie du logement où il faut presque deux ans avant d’être entendu.

J’espère que vous êtes patients, car la liste est longue !

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