Critique 

L’hiver de force

La faim blanche
Aki Ollikainen
Traduction de Claire Saint-Germain
La Peuplade, 166 pages
Quatre étoiles

La Peuplade a eu la bonne idée de lancer une collection, Fictions du Nord, s’articulant autour de la littérature des pays nordiques. Si l’on se fie à la qualité de son banc d’essai, le roman finlandais La faim blanche, on est en voie de découvrir au cours des prochains mois de la grande littérature étrangère.

Le livre d’Aki Ollikainen raconte la grande famine de 1866-1868 en Finlande. Alors que naissait en Amérique la Confédération canadienne, les pays scandinaves, et surtout la Finlande, étaient aux prises avec de mauvaises récoltes suivies d’hivers de mendicité. Certaines régions finlandaises auraient vu jusqu’à 20 % de leur population décimée à cette époque.

Le récit s’attarde au parcours difficile d’une femme, Marja, contrainte d’abandonner son village et son mari mourant afin de tenter de sauver ses enfants d’une mort certaine. La route sera difficile et les obstacles seront nombreux dans le périple qu’elle entreprend à pied vers la Russie. 

Cette mère courage ira jusqu’au bout de ses forces et de son espoir pour permettre, qui sait, de faire vivre le printemps à ses enfants chancelants. Tous n’arriveront pas à bon port.

L’auteur entremêle cette histoire tragique à celle de Teo, jeune médecin agnostique, et à celle d’un sénateur qui doit voir au bon fonctionnement de l’État et de ses politiques d’austérité… 

Avec des phrases courtes, un sens de l’observation précis, mais pudique, et une superbe prose poétique, Aki Ollikainen nous soutire plus d’une larme. Raconté simplement, le sort de ces survivants, plus morts que vivants, est troublant, déchirant.

Au-delà de la faim, c’est la mort blanche de tout un petit peuple que le romancier décrit avec justesse et beauté. Le désespoir dans un désert de neige, la tristesse infinie d’une nature sans pitié donnent froid dans le dos. 

On est à même de comprendre ici les conditions hivernales extrêmes et la situation d’un pays paralysé, d’autant plus qu’il semble qu’on fera face à un hiver long et neigeux cette année. Cette fiction du Nord nous renvoie, du coup, à la réalité de nos propres ancêtres. 

Le vent qui se glisse sous nos pelisses, l’air sec et tranchant, la vastitude de blanc pour peu qu’on sorte de Montréal, on les ressent jusqu’aux os dans ce livre magnifique. Tout en restant, dans notre modernité confortable, assis auprès du feu. 

Mais l’hiver est là…

EXTRAIT

« — Peut-être que le destin de ce peuple, c’est de se battre pour son existence et de s’endurcir, dit Matias avant de reprendre après un instant de réflexion. Mais s’il n’y a pas de Dieu, comme tu l’as dit, il n’y a pas de destin non plus. Dans ce cas, tout n’est que hasard.

— Et c’est par hasard que ce sont les pauvres qui crèvent de faim et partent mendier ? C’est le hasard qui a emporté Johan mais nous a épargnés ?

— Tu vois, tu n’y crois pas toi-même au hasard. C’est ta foi qui est mise à l’épreuve. Peut-être que c’est toi Job, réplique Matias. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.