Élections provinciales Opinion

Que reste-t-il de la laïcité ?

Tous les jours en passant par Outremont, j’ai une drôle d’impression, comme une rupture de territoire. Je croise des juifs hassidiques pour qui la primauté du français, l’égalité hommes-femmes ou le droit des enfants à une éducation séculière de qualité semblent ne pas concerner.

Comment exiger le respect de directives ministérielles ou de règles communes du vivre-ensemble lorsqu’on a laissé s’installer un tel clivage communautariste ? Au-delà des promesses électorales pour « faciliter la vie des Québécois », que propose-t-on dans cette campagne électorale pour assurer la cohésion sociale ?

Ces jours-ci à Outremont, ce sont également les affiches d’Ève Torres, première candidate voilée au Québec, qui attirent l’attention. Mais Ève Torres a déjà déclaré qu’elle ne voulait pas de débat sur le voile. Son but serait-il alors de nous habituer à le voir, à le normaliser par le non-dit ?

Cette campagne électorale aura-t-elle pour effet d’instaurer de facto le voile islamique dans le paysage politique du Québec ? Est-on en train d’évacuer tout débat sur le voile, et plus largement sur la laïcité ?

Le PLQ a définitivement renoncé à légiférer en faveur de la laïcité. Dans ce domaine, le PQ et la CAQ sont les seuls partis à afficher un programme structuré. Tous deux prônent l’interdiction des signes religieux aux policiers, juges et gardiens de prison et, à différents niveaux, au personnel enseignant. De plus, le PQ se prononce clairement sur l’abolition du cours d’Éthique et culture religieuse, un cours qui n’a pas sa place dans le programme d’une école laïque.

Au Parlement

Mais qu’en est-il de la laïcité à l’Assemblée nationale ?

Aucun parti ne s’est prononcé à ce sujet, ce qui laisse la porte grande ouverte à tous les lobbys religieux. La World Sikh Organisation interpellait d’ailleurs récemment les chefs de parti pour permettre le port de signes religieux à l’Assemblée nationale. Or, un député appelé à occuper les plus hautes fonctions de l’État ne devrait-il pas être le premier tenu au devoir de neutralité ? L’incident diplomatique provoqué par le voyage de Justin Trudeau en Inde qui, en raison de la présence de ministres en turban sikh, s’est vu accusé d’entretenir des sympathies avec les séparatistes du Pendjab, montre bien les conséquences que peut avoir une telle absence de neutralité en politique.

Quant à Ève Torres, a-t-elle déjà influencé la position de son parti sur la laïcité ? Au printemps dernier, Manon Massé parlait d’appliquer les recommandations du rapport Bouchard-Taylor, soit d’interdire les signes religieux aux employés de l’État en position coercitive, et ce, malgré la dissidence d’Ève Torres et de Vincent Marissal.

Or, cette position était totalement absente de la dernière version du programme publiée sur la page internet de QS, laquelle autoriserait les signes religieux pour tous les employés de l’État. Comment expliquer un tel cafouillage ? Et comment se proclamer encore un parti laïque ? Dans son jugement rendu sur la prière au conseil municipal de la Ville de Saguenay, la Cour suprême a pourtant clairement statué que la neutralité de l’État signifiait la neutralité de ses représentants.

Lorsque la laïcité recule, les droits des femmes reculent

Pendant que les partis politiques évitent d’aborder le thème de la laïcité, une offensive de taille menace d’étioler le concept d’égalité hommes-femmes. Le Conseil national des musulmans canadiens, dont Ève Torres était jusqu’à tout récemment coordonnatrice aux affaires publiques, fait partie de ceux qui contestent l’article de loi sur l’interdiction du voile intégral dans les services publics. Alors que de plus en plus de pays légifèrent pour interdire le niqab, cet étendard de l’islam wahhabite qui constitue une atteinte à la dignité des femmes, le Québec est, lui, à la merci d’un jugement qui, s’il donnait gain de cause aux plaignants, aurait pour conséquence d’associer l’interdiction du voile intégral à une atteinte à l’égalité des femmes.

Pourtant, sur la signification du voile, voici ce qu’en disait Françoise David, alors co-porte-parole de Québec solidaire : « Le voile est un symbole d’infériorisation des femmes, c’est là mon opinion. Et à Montréal, je suis convaincue que des pressions familiales ou sociales (dans certaines communautés musulmanes) amènent des femmes à le porter. Mais je sais aussi que certaines femmes musulmanes choisissent de le porter pour des raisons identitaires, religieuses ou politiques ». Avec ce constat sur le voile, comment expliquer que QS veuille à présent le banaliser ?

On ne peut, sous prétexte de libre choix, prendre à la légère des pratiques sexistes qui rendent vulnérables les femmes.

La charte de la laïcité du gouvernement Marois visait à parachever le modèle de laïcité hérité de la Révolution tranquille pour lui donner une valeur légale. On aura beau la diaboliser, il n’en demeure pas moins que la complète neutralité des agents de l’État reçoit un appui majoritaire dans la société québécoise. Il est temps de mettre fin au clientélisme électoral et à la rectitude politique et d’aborder enfin l’enjeu de la laïcité dans cette présente campagne électorale.

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