Opinion  Enquête sur l’ingérence russe dans la campagne présidentielle américaine

Trump doit-il craindre Mueller ?

Lundi dernier, le procureur spécial Robert Mueller, qui enquête sur l’ingérence russe durant la campagne présidentielle de 2016, a annoncé l’arrestation de Paul Manafort, ancien directeur de campagne de Trump, et de son assistant, Richard Gates, inculpés de douze chefs d’accusation allant du blanchiment d’argent à la trahison contre les États-Unis. C’est toutefois une troisième personne, George Papadopoulos, qui a retenu l’attention des analystes et des commentateurs. 

Conseiller spécial durant la campagne de Trump, Papadopoulos a été arrêté en juillet dernier et a plaidé coupable en octobre pour avoir menti au FBI au sujet de ses liens avec des représentants du gouvernement russe : il aurait tenté à plusieurs reprises d’établir des contacts avec ceux-ci pour obtenir des informations compromettantes sur Hillary Clinton. 

Le secret entourant ces arrestations et les détails complexes présentés dans les actes d’accusation démontrent à la fois la rigueur et l’état d’avancement de l’enquête, mais surtout, ils laissent craindre à Trump d’autres arrestations qui pourraient compromettre davantagesa présidence et rendre par ailleurs caduque sa défense d’une « chasse aux sorcières » orchestrée par les démocrates et les médias.

Les supputations vont bon train sur les informations dont dispose Mueller sur Trump et, par le fait même, sur les chances de celui-ci d’être interrogé, voire accusé de collusion. 

Pour ce faire, Mueller dispose de plusieurs pistes. La plus intéressante est celle de Papadopoulos, qui collabore activement à l’enquête et dont les liens avec les Russes pendant la campagne sont les plus documentés.

Une deuxième façon de remonter jusqu’à Trump est de compter sur des témoignages de gens impliqués directement dans des activités de collusion : cela pourrait être Manafort, ruiné politiquement et financièrement, qui pourrait être tenté de parler – en particulier s’il n’est pas absolument convaincu qu’il obtiendra un pardon présidentiel –, mais aussi ceux qui craignent d’être plus tard arrêtés par Mueller : il faut dire qu’il reste très peu de gens loyaux au président au sein de la Maison-Blanche et de l’administration, et qu’il pourrait alors être tentant de collaborer avec le FBI, surtout si d’autres arrestations importantes devaient survenir dans les prochaines semaines (comme celles de Michael Flynn, de Jared Kushner ou de Donald Trump Jr., par exemple).

Mais la piste la plus prometteuse est sans aucun doute celle de l’argent : l’arrestation de Manafort et de Gates indique que Mueller suit cette trace assidûment et elle pourrait coûter cher au président, dont beaucoup soupçonnent qu’il utilise sa fonction pour faire de l’argent et que les Russes financent les entreprises du président depuis longtemps.

Freiner Mueller

Si les options de Mueller sont nombreuses pour arriver jusqu’à Trump, celui-ci dispose aussi de quelques avenues pour freiner l’enquête du procureur spécial. 

Il pourrait évidemment demander au procureur général adjoint, Rod Rosenstein, de congédier Mueller (le procureur général Jeff Sessions s’étant récusé dans le dossier russe, c’est son assistant qui détient le pouvoirà cet effet). Cette décision aurait toutefois des conséquences politiques très dommageables pour le président et ne garantirait pas la fin des enquêtes, comme l’a démontré l’affaire du Watergate et du Saturday Night Massacre. 

Une autre option, suggérée par Roger Stone et Steve Bannon, serait de lancer une enquête sur les liens entre Hillary Clinton et la vente d’Uranium One, que le FBI aurait approuvée : non seulement Mueller ferait l’objet d’une enquête, ce qui porterait un dur coup à sa crédibilité, mais James Comey et Rod Rosenstein aussi. 

Une dernière option pour le président pourrait être de pardonner à Manafort, Gates et toute personne éventuellement impliquée dans l’affaire de la collusion avec les Russes. D’ailleurs, il avait annoncé, le 22 juillet dernier (avait-il alors eu vent de l’arrestation de Papadopoulos ?), qu’il envisageait cette option, y compris pour lui-même, si cela était nécessaire. Mais il n’est pas certain que le Congrès resterait de marbre devant un tel abus de pouvoir, en particulier avec les élections de mi-mandat à l’horizon : sans aller jusqu’à le destituer, il faudrait très peu de républicains pour bloquer systématiquement le programme législatif de la Maison-Blanche.

Il semble que le président Trump soit dans une impasse : se débarrasser de Mueller pourrait être aussi contre-productif que le laisser en place. Mais il faudra attendre encore un peu avant de mieux comprendre l’ampleur des informations dont dispose Mueller et, par le fait même, d’évaluer plus justement le danger que court réellement le président.

Le 31 octobre 1973, Nixon a fait congédier le procureur spécial Archibald Cox malgré la démission du procureur général et de son assistant, qui refusaient d’obéir au président.

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