OPINION LE CANADA ET LE QUÉBEC

Les routes ensoleillées s’ennuagent

Malgré les graves difficultés financières qui confrontaient Bombardier, il aura fallu plus d’un an avant qu’Ottawa ne dévoile son aide.

Au lieu d’investir dans l’entreprise, le gouvernement a plutôt décidé d’accorder un simple prêt, remboursable sur quatre ans, de 372 millions en regard d’un investissement de plus de 1 milliard. Une offre bien limitée dont l’annonce aurait dû être faite au moment où la survie de l’entreprise était menacée.

L’annonce de l’aide fédérale à Bombardier a eu l’effet d’un choc au Québec. Les gens ont constaté que, malgré l’importance de la question et l’urgence d’agir, le premier ministre n’avait jamais montré une volonté ferme d’investir dans Bombardier. Un analyste chevronné n’a d’ailleurs pas hésité à qualifier l’annonce d’Ottawa de fumisterie, d’écran de fumée et de show de boucane.

L’offre mesquine du gouvernement Trudeau est venue confirmer ce qui, de décision en décision, apparaissait de plus en plus clair : le Québec n’a pas de poids à Ottawa.

Aucun ministre n’a la mission et l’influence pour lui permettre de défendre efficacement les intérêts du Québec et combattre les préjugés mesquins à son endroit. L’exclusion cavalière de Stéphane Dion du cabinet fédéral a en outre mis en relief l’absence de sensibilité de Justin Trudeau à l’égard du Québec.

La question de Bombardier s’inscrit dans une série qui va en s’allongeant. Le retour à l’ingérence fédérale en matière de santé ; les citoyens de Lac-Mégantic qui attendent toujours une décision sur la voie de contournement ; le projet anti-Montréal de commission canadienne des valeurs mobilières qui poursuit son cours ; la généreuse aide financière au projet de Muskrat Falls de Terre-Neuve qui vise à concurrencer directement Hydro-Québec, elle qui n’a jamais reçu d’aide fédérale ; et enfin, le projet de protection du consommateur malgré la présence d’un programme québécois bien établi dans sa sphère de compétence.

Autant d’exemples de l’incompréhension et de la crainte d’agir de Justin Trudeau lorsqu’il s’agit du Québec. Il existe de plus des contrastes frappants qui n’échappent pas à l’attention des Québécois. Par exemple, on ne peut s’empêcher de comparer les tergiversations au sujet de l’aide à Bombardier avec l’empressement avec lequel le gouvernement fédéral a avancé en 2008 plusieurs milliards à l’industrie automobile ontarienne en difficulté. On ne peut non plus ignorer les immenses efforts déployés par le premier ministre et son gouvernement pour venir en aide à l’industrie pétrolière de l’Alberta. Cela malgré la lutte contre les gaz à effet de serre et les oppositions au sein de la population.

Dans les deux cas, le premier ministre justifie son action en arguant que ces deux industries sont des éléments essentiels de l’économie canadienne. Il n’est évidemment pas conscient que l’industrie aéronautique l’est tout autant sinon plus et qu’il faut cesser de la considérer comme un canard boiteux du Québec.

Il se dégage de tout cela un sentiment à l’effet que les intérêts du Québec sont loin d’être bien défendus au sein du gouvernement canadien.

Le premier ministre va devoir réaliser qu’il ne peut représenter l’ensemble des Canadiens, maintenir les équilibres nécessaires entre les intérêts souvent conflictuels des provinces et, en même temps, arbitrer les inévitables conflits entre elles.

Pour corriger la situation, le premier ministre va devoir nommer un ministre dont la mission sera de représenter et défendre les intérêts du Québec au sein du gouvernement. En posant un tel geste, il ne fera que suivre l’exemple de ses prédécesseurs, Marc Lalonde avec Trudeau père, Jean Lapierre avec Paul Martin et Christian Paradis et Denis Lebel avec Stephen Harper. Au Québec, pour des raisons similaires, les gouvernements comprennent toujours un ministre responsable de chacune des régions.

Enfin, le premier ministre ne peut continuer de considérer comme une vieille chicane appartenant au passé la question du statut du Québec au sein de la fédération canadienne.

Même si la question ne provoque pas présentement de grands remous au sein de la population québécoise, elle entretient un profond malaise. Elle continue d’alimenter le sentiment d’aliénation d’une partie non négligeable des Québécois à l’endroit de l’ensemble canadien. On se souvient à ce sujet que Philippe Couillard promettait, s’il était élu, de faire de cette question la priorité de son gouvernement. Justin Trudeau devrait relever le défi que présente cet engagement du premier ministre du Québec.

Justin Trudeau a démontré qu’il a un sens développé de la politique, du charisme et qu’il peut agir en leader. Depuis l’élection de son gouvernement, il a notamment changé l’image du Canada sur la scène mondiale, abordé de front la délicate et difficile situation des autochtones et orchestré comme un pro l’établissement aux États-Unis de rapports corrects avec l’administration Trump.

Lui, qui présente le Canada comme un modèle, est en ce moment en position de pouvoir compléter l’œuvre inachevée de son père dans l’édification du Canada. A-t-il l’envergure nécessaire pour corriger cette faille fondamentale dans l’édifice canadien ?

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