Intelligence artificielle

Les cerveaux tiraillés entre l’entreprise et l’université

Google, Facebook, Thales, Samsung, Microsoft : les grandes entreprises débarquent les unes après les autres à Montréal pour y investir ou ouvrir des laboratoires en intelligence artificielle. Cette arrivée massive oblige les universités à faire face à un nouveau défi : l’attrait du privé sur leurs cerveaux. Mais, selon Martha Crago, vice-principale à la recherche de l’Université McGill, les nouvelles occasions surpassent les inconvénients.

À l’Université McGill, la professeure Joëlle Pineau travaille à mi-temps pour Facebook. Sa collègue Doina Precup fait la même chose chez Google. Le professeur Denis Therien vient de prendre sa retraite pour se joindre à la boîte montréalaise Element AI. Michael Rabbat, lui, a pris un congé sans solde pour travailler chez Facebook.

Le phénomène touche aussi l’Université de Montréal, quoique dans une moindre mesure.

« C’est ce que j’appelle un moment d’inflexion. Il y a ce nouveau mouvement de gens qui vont faire du mi-temps ou même du temps plein dans les entreprises. On ne sait pas exactement ce qui va arriver », dit en entrevue Martha Crago, vice-principale à la recherche de l’Université McGill.

Pour « combler les trous », McGill cherche activement à embaucher deux nouveaux professeurs en intelligence artificielle. « Mais il est bien possible que les deux personnes qu’on embauchera fassent la même chose et passent aussi du temps en entreprise ! », pointe Martha Crago.

D’où vient l’attrait ? « Je ne pense pas que ce soit vraiment une question d’argent », répond-elle. 

« C’est plutôt pour voir comment c’est à l’intérieur des entreprises, de bénéficier de l’équipe, d’être en contact avec les laboratoires de la Silicon Valley, de New York et de Paris. »

Pour la toute première fois, McGill envisage même de créer des chaires de recherche qui pourraient être dirigées par des gens de l’industrie. Ceux-ci seraient nommés professeurs associés et codirigeraient les étudiants avec des professeurs de l’université.

Des occasions pour les étudiants

Faut-il craindre un exode des cerveaux de l’université vers le privé ? La recherche fondamentale sera-t-elle délaissée ? Martha Crago ne le croit pas. Elle souligne que bien des professeurs souhaitent conserver des liens avec l’université, où ils jouissent d’une liberté de recherche.

« Pour les professeurs et les étudiants, il y a des occasions incroyables de combiner la recherche fondamentale et l’expérience en industrie », dit-elle. Elle croit que les entreprises elles-mêmes sont très conscientes de la nécessité de poursuivre la recherche en intelligence artificielle, notamment en mathématique.

Mme Crago rappelle que des universités comme le MIT, en banlieue de Boston, ou Stanford, dans la Silicon Valley, entretiennent des liens étroits avec l’industrie depuis des décennies. « Les universités canadiennes ont aussi des contrats de recherche depuis longtemps avec l’industrie, notamment parce que le pays compte beaucoup de petites et moyennes entreprises qui ne sont pas assez riches pour avoir leur propre laboratoire », fait-elle valoir.

« J’aime l’ouverture de l’université sur le monde, ajoute-t-elle. C’est une façon d’avoir une attache à la société et d’être impliqué dans le développement économique. »

Quelques profs impliqués dans l’industrie

Yoshua Bengio, professeur à l’Université de Montréal et l’un des pionniers du domaine de l’apprentissage profond, est cofondateur de l’entreprise en démarrage Element AI. Il continue cependant d’occuper son poste de professeur à temps plein.

Joëlle Pineau, professeure à l’Université McGill, dirige le laboratoire d’intelligence artificielle de Facebook à Montréal.

Doina Precup, professeure à McGill, dirige la succursale montréalaise de DeepMind, la division d’intelligence artificielle de Google.

Pascal Vincent, professeur à l’Université de Montréal, est aussi chercheur au laboratoire d’intelligence artificielle de Facebook.

Denis Therien, qui était jusqu’à tout récemment professeur à l’Université McGill, vient de prendre sa retraite pour aller prêter main-forte à l’entreprise en démarrage montréalaise Element AI.

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