Analyse

Tournant dans le débat identitaire

Québec — Aussi épouvantables soient-ils, les événements de dimanche auront peut-être un effet positif une fois la poussière retombée : après la tuerie de Québec, personne n’abordera les questions identitaires de la même façon. Il y aura un « avant » et un « après », comme le pressent Philippe Couillard.

M. Couillard a multiplié les déclarations publiques depuis dimanche. Point de presse dans la nuit, le lendemain à l’hôtel de ville, puis au rassemblement de Sainte-Foy. Le lendemain, nouveau point de presse avec ses ministres, événement pour les caméras à la séance du Conseil des ministres, nouveau passage à une cérémonie religieuse pour les disparus. Les bulletins télévisés sont remplis d’apparitions publiques de Philippe Couillard depuis l’attentat.

Calcul politique ? Ce serait lui faire un mauvais procès. Force est de constater, toutefois, que ces terribles événements auront totalement éjecté du débat les déboires de l’ex-ministre Pierre Paradis et les questionnements sur la chaîne de déclarations qui aura permis au gouvernement de taire pendant 24 heures les véritables raisons de ce limogeage. Qui s’occupe des sentiers de motoneige, des radars photo ou de la énième bagarre du ministre Gaétan Barrette quand toute la société est plongée dans un tel drame ?

Des conséquences ? Les Québécois montreront probablement plus de sympathie envers Philippe Couillard dans les prochaines semaines. La même chose est arrivée à François Hollande : il a trouvé grâce aux yeux des Français dans les semaines qui ont suivi les attentats de Paris, en novembre 2015. Une hausse de 20 points, un bond sans précédent pour un président – seul Jacques Chirac avait connu une remontée aussi subite, en octobre 1986, justement après qu’une bombe meurtrière avait frappé la communauté juive.

Les Québécois ne sont pas différents. En 2003, Mario Dumont pestait parce que Bernard Landry avait déclenché les élections au moment précis du début du conflit avec l’Irak. Le même Bernard Landry avait retrouvé un peu de faveur populaire après le 11 septembre 2001. 

En période de crise, quand la sécurité est atteinte, les citoyens se rapprochent spontanément de la personne qui incarne la stabilité, la sécurité.

Même son de cloche chez des observateurs plutôt critiques habituellement. Philippe Couillard « trouvait les mots justes. Il gardait son calme. Il s’élevait au-dessus des joutes partisanes. Il était calme, rassurant, digne », a observé Richard Martineau, qu’on ne peut sûrement pas classer parmi les thuriféraires du gouvernement.

Jean-François Lisée et François Legault ont eux aussi montré la dignité qu’exigeait la situation. Les deux ont rappelé qu’en dépit de cette dérive sanglante, le débat identitaire restait légitime, mais on sent bien que personne ne fréquentera de sitôt les ornières de la basse partisanerie sur ces questions. Lisée a fait amende honorable, lui qui, durant la campagne à la direction du Parti québécois, avait soutenu qu’une burqa pouvait servir à dissimuler un AK-47.

La page Facebook du jeune Bissonnette montrait des liens avec le Parti québécois, avec Agnès Maltais, députée péquiste de la région de Québec, mais aussi avec le regretté Jack Layton, le pape François et même Mr Bean ! a rappelé le chef péquiste à la radio de Québec, hier matin. Au lieu d’épingler des coupables, mieux vaut chercher les façons d’éviter que de tels drames ne se reproduisent pas, a-t-il conclu, en se préoccupant du manque de travail pour ces ressortissants, des embûches à leur intégration.

François Legault s’est fait plus rare, mais lui aussi a fait preuve de réserve. 

Il faut s’attendre à ce que sa députée de choc en ces matières, Nathalie Roy, de Montarville, qui avait accablé les musulmans jusque sur les plages en dénonçant le « burkini » ait, dans un avenir prévisible, un pavé sur la langue. 

Il y a de l’islamophobie au Québec, convient le chef caquiste, mais personne ne peut dire sérieusement qu’il s’agit d’un « courant dominant ». Philippe Couillard a peut-être exagéré lorsqu’il avait accusé Legault de « souffler sur les braises de l’intolérance » quand le chef caquiste s’était inquiété du nombre d’immigrants qui entrent au Québec. Il n’en demeure pas moins que l’idée de retourner chez eux les ressortissants qui ne pouvaient apprendre le français a fait partie du plan de la Coalition avenir Québec.

Depuis 10 ans, plusieurs ont fait recette en cultivant la méfiance des « Québécois de souche » envers les nouveaux arrivants, du Maghreb en particulier. À Hérouxville, village isolé de la Mauricie, le « code de vie » prévoyait qu’on ne pouvait lapider de femmes sur son territoire ! Il faudrait relire le rapport de la commission Bouchard-Taylor. Pendant des pages, les deux universitaires observent que parmi les problèmes qui avaient fait la manchette à l’époque – de la vitre givrée d’un gymnase jusqu’au sandwich au jambon proscrit de la cafétéria de l’Hôpital général juif –, bien des incidents avaient été montés en épingle par des médias avides de controverses fondées sur la méfiance envers les étrangers.

Philippe Couillard saura-t-il conserver la faveur nouvelle née de l’insécurité ambiante ? En février 2016, trois mois après le drame du Bataclan, la cote de François Hollande était retombée au plancher. « Si vous montez trop vite, plus rapide sera la chute. » Le proverbe français a été reformulé par la sagesse populaire : « Ce qui monte vite redescend vite. » « Il n’y a pas de montée sans descente », dit un autre proverbe, arabe celui-là.

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