Brexit

Vers un divorce reporté

Le divorce était prévu le 29 mars. Les chances qu’il ait effectivement lieu à cette date s’étiolent de jour en jour. Demain et vendredi, les chefs des États membres de l’Union européenne (UE) doivent d’ailleurs se prononcer sur un éventuel report du Brexit, à la demande de la première ministre britannique, Theresa May. Mais pourquoi y consentiraient-ils ? À quelles conditions ? Et qu’arrivera-t-il par la suite ? Voici quelques points de repère à neuf jours du « jour B »…

Comment en est-on arrivé là ?

Theresa May demande à Bruxelles de reporter la date du Brexit à la suite d’une longue série d’échecs. Les députés britanniques ont rejeté à deux reprises l’accord qu’elle avait conclu avec l’UE sur les conditions du Brexit. Ils ont aussi rejeté le scénario d’une séparation sans entente. Tout comme le scénario d’un nouveau référendum sur le Brexit.

En dernier recours, la première ministre britannique voulait soumettre l’accord de séparation au vote parlementaire pour la troisième fois. Nouveau coup de théâtre : impossible de voter sur un projet à deux reprises à l’intérieur d’une même session parlementaire, a rétorqué lundi le président de la Chambre des communes, John Bercow. Devant l’impasse, Theresa May a fait savoir qu’elle demanderait formellement que la date du divorce soit reportée. C’est d’ailleurs le seul scénario à avoir obtenu l’assentiment de la Chambre des communes.

Pourquoi l’UE accepterait-elle cette extension ?

Le Conseil européen, qui réunit les chefs des États membres de l’UE, pourrait bien sûr rejeter la demande de la Grande-Bretagne et garder le cap sur le 29 mars. Mais cela signifierait prendre le risque d’un divorce « sauvage », sans aucune entente sur les modalités. Concrètement, cela pourrait signifier la restauration immédiate des contrôles douaniers, des files d’attente qui s’allongent aux frontières, mais aussi la fin de toute contribution de Londres au budget européen, et des incertitudes sur le sort des Européens établis au Royaume-Uni. Bref, ce serait la porte ouverte à une cacophonie qui n’est dans l’intérêt de personne, signale Frédéric Mérand, spécialiste de l’Union européenne au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal.

Cela dit, pour que le nouveau délai soit approuvé, il devra être accepté à l’unanimité par les 27 leaders réunis demain et vendredi à Bruxelles.

Cette unanimité est-elle acquise ?

Non. Même si le président du Conseil européen, Donald Tusk, s’est dit favorable à une extension substantielle, des voix s’élèvent pour exiger que Theresa May démontre qu’elle dispose d’une nouvelle stratégie dans sa manche, et que cette fois, elle pourra convaincre une majorité de parlementaires d’approuver l’accord de divorce. L’ancien premier ministre de Belgique Guy Verhofstadt, qui agit comme coordonnateur européen au Brexit, a été formel en affirmant ceci : « En aucun cas une prolongation dans le noir ! À moins qu’il n’y ait une majorité claire dans la Chambre des communes, il n’y a aucune raison pour que le Conseil européen accepte une prolongation. »

Mais sur quelle recette miracle pourrait bien compter Theresa May, après avoir essuyé tous ces rejets ?

Paradoxalement, la perspective d’un report du Brexit à une date lointaine pourrait jouer en sa faveur, fait valoir Frédéric Mérand. Ainsi, si le Conseil européen devait accepter de reporter la date du divorce à une date éloignée, Mme May aurait un argument massue à faire valoir aux députés les plus pro-Brexit dès son retour à Londres : ou bien ils appuient un accord de sortie qu’ils n’aiment pas, ou bien le Brexit risque d’être reporté aux calendes grecques. En d’autres mots, ces députés auraient le choix entre accepter le « deal » en se bouchant le nez ou laisser l’attente s’éterniser.

Prolonger, mais de combien ?

Différentes dates butoirs ont été avancées au cours des derniers jours, avec des délais allant de quelques semaines à 21 mois, soit jusqu’à la fin de 2020. Les députés britanniques, eux, ont voté pour un report d’au moins trois mois – ce qui repousserait la date au 30 juin.

Quoi qu’il en soit, avertit Frédéric Mérand, si le Conseil européen accorde une prolongation, il se réservera sûrement la possibilité de la retirer en cours de route.

Alors, une prolongation, pourquoi pas ?

Parce qu’un délai de plus de trois mois créera une situation rocambolesque. Fin mai, les électeurs européens doivent voter pour élire les députés de l’UE. Si la Grande-Bretagne fait alors encore partie de l’Union, forcément, elle participera au scrutin d’une institution qu’elle s’apprête à quitter. « Ses partis politiques n’auront d’autre choix que de se présenter aux élections, au risque d’avoir l’air d’une bande de zozos », résume Frédéric Mérand.

Cette éventualité crée aussi un imbroglio logistique. Le scénario pour un Parlement post-Brexit est déjà tout prêt, la répartition des sièges entre les 27 États restants a été redessinée. Il faudra revenir à la case départ et laisser les députés britanniques, pourtant en voie de divorce, laisser siéger au sein des institutions communes…

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