Opinion

La liberté d'expression inclut le droit de choquer

Nous vivons dans une société parmi les plus avancées à l’échelle planétaire, tant sur les plans économique, social, technologique et écologique que du point de vue de l’étendue des droits et libertés qui nous sont conférés. Notre démocratie n’est pas parfaite, mais elle est manifestement fonctionnelle. La critiquer, même vertement, ne signifie pas nier l’immense privilège qu’est le nôtre. Si l’on souhaite continuer d’améliorer notre société, il faut commencer par se battre pour la liberté d’expression. C’est le carburant qui alimente le moteur de la démocratie.

Même si les débats politiques tendent de plus en plus à se polariser, il faut constater que l’équilibre entre la gauche et la droite est particulièrement bien préservé ici, peu importe quel parti est au pouvoir. Certains y verront des options qui se ressemblent trop, menant à une absence de choix réel. Ce n’est pas complètement faux, mais c’est aussi un gage d’équilibre. Les partis ont encore des différences idéologiques assez importantes, mais l’exercice du pouvoir appelle généralement à un plus grand consensus et agit en quelque sorte comme un frein aux positions plus radicales.

Cela ne signifie pas que les idées plus controversées ou radicales doivent être exclues des débats. Pour prendre collectivement les meilleures décisions, il est impératif de protéger la liberté d’expression et de débattre vigoureusement des enjeux de société. Il faut accepter de voir nos idées confrontées, d’être choqués et parfois même offensés.

Quand je regarde ce qui se passe dans l’actualité, je constate que nous sommes en train de créer un nouveau droit qui n’a aucun fondement juridique et qui met gravement en péril la liberté d’expression. Le droit de ne pas être offensé.

Portez attention aux différents débats de société actuels et regardez comment l’omniprésence du politiquement correct encourage les gens à se victimiser et à museler les positions qui les dérangent. Et ce musellement se manifeste par l’attribution sans discernement d’étiquettes vitrioliques telles que raciste, fasciste, transphobe, homophobe ou misogyne.

Le choc des idées sous-tend la possibilité de choquer. Aucun débat de qualité n’est possible si on ajoute le droit de ne pas être offensé au livre des règlements. Le présumé droit de ne pas être offensé donne lieu à des dérapages inquiétants qui compromettent la qualité des débats et donc ultimement la qualité des solutions collectives mises en place.

À titre d’exemple, Sony Entertainment a cru bon de s’excuser pour les actions d’un de ses personnages (Pierre Lapin) dans un film d’animation. Ledit personnage, si j’ai bien compris, a soulevé la polémique pour avoir lancé des baies à un personnage qui était allergique. Des parents ont été suffisamment indignés pour exiger des excuses, l’ajout d’avertissements, et même le retrait du film dans certains cas. Obéissant à la dictature du politiquement correct, l’entreprise a jugé bon de s’excuser. Quel manque de courage ! Si l’on se permet d’interpréter les dessins animés au premier degré, on devra censurer tous ceux de mon enfance pour incitation à la violence.

Il faut réaliser le ridicule de la situation. Nous venons non seulement de créer un nouveau droit, mais on lui donne de plus préséance sur le droit à la liberté d’expression, qui est le fondement de notre démocratie. Mon adorable nièce a des allergies alimentaires sévères. Pourtant, je préfère me battre pour protéger son droit à la liberté d’expression que de la protéger de Pierrot Lapin. Un peu de perspective serait de mise.

Raccourcis intellectuels

La liberté d’expression est le mécanisme par lequel nous trouvons des solutions aux problèmes de société. Ironiquement, ce sont généralement ceux qui prônent la tolérance à coups de manifestations qui n’ont aucune tolérance pour tout propos contraire à leur position. C’est de l’hypocrisie crasse et c’est dangereux. Les raccourcis intellectuels au service de l’idéologie foisonnent dans le quotidien médiatique. À titre d’exemple, on ne peut s’interroger sur les questions d’immigration sans être islamophobe ou raciste. On ne peut s’interroger sur la discrimination positive sans être misogyne ou raciste.

Au royaume de la dichotomie, les nuances agonisent. Cela relève de la paresse intellectuelle. Il est beaucoup plus facile de faire des amalgames douteux et de placer les gens dans des catégories fourre-tout que de développer un argumentaire cohérent. Catégoriser quelqu’un, c’est surtout vouloir lui attribuer par association les positions avancées par les éléments les plus extrêmes de ladite catégorie. C’est mesquin et réducteur. Et surtout, ça met fin à toute possibilité de débat constructif.

L’art de débattre devrait être un élément central du système d’éducation et son enseignement doit commencer tôt.

Quand on a appris à synthétiser sa pensée et développer ses positions, on ne confond pas une opinion/perception avec un fait, ni la religion avec la science. On fait la distinction entre les arguments et la personne qui les avance et on s’abreuve à plusieurs sources d’information avec des positions distinctes. On ne s’entoure pas seulement de personnes qui confortent nos opinions. On respecte la liberté d’expression. On écoute et on cherche à apprendre de l’autre, pas à le dominer.

Je ne voterai vraisemblablement jamais pour Québec solidaire. Je trouve que certaines de leurs idées auraient des impacts négatifs importants sur la société. Je n’aime pas la façon dont le parti semble se donner le monopole de la compassion et de la vertu, tout en affichant un mépris non dissimulé envers ceux qui ne partagent pas sa vision du Québec.

Malgré tout cela, je peux dire que le Québec sort gagnant d’avoir des parlementaires de la qualité de Manon Massé et de Gabriel Nadeau-Dubois et qu’il est nécessaire d’entendre ce qu’ils ont à dire. Même si parfois leurs déclarations me choquent. Je préfère largement connaître leurs positions et argumenter que de les museler. La censure, c’est d’une certaine façon indiquer à l’autre qu’il n’a absolument rien à nous apprendre. Il n’y a pas de position plus arrogante et méprisante que cela.

Enseigner les droits et libertés à nos enfants est essentiel, mais il faut les mettre en perspective avec les responsabilités qui viennent inévitablement avec, sinon on les conforte dans une position de victime et d’oppressé qui ne les fait aucunement grandir. On en fait des revendicateurs de droits qui n’ont aucun sens des responsabilités. Tu échoues à l’école, c’est la faute du professeur. Tu n’es pas le premier compteur de ton équipe, c’est la faute de l’entraîneur qui ne te donne pas assez de temps de glace.

L’éducation devrait consacrer davantage d’énergie à développer le sens critique des élèves et moins à essayer de les endoctriner. Pour développer leur sens critique, il est impératif qu’ils se voient présenter des théories parfois opposées. Je doute malheureusement que ce soit toujours le cas. Une société qui compte plus d’idéologues que de gens pourvus d’un sens critique développé est condamnée à régresser.

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