morte après avoir été refusée au cusm

« Elle n’a pas été traitée comme un être humain »

Une femme autochtone de 43 ans est morte dans d’atroces souffrances l’an dernier après que le Centre universitaire de santé McGill (CUSM) a refusé de la soigner parce qu’elle n’avait pas d’argent ou de carte d’assurance maladie. Son histoire va bien au-delà de l’anecdote, prévient le coroner qui a enquêté sur sa mort : « le portrait que ça donne de notre système de soins de santé n’est pas brillant ».

Plus d’un an après sa mort, la famille de Kimberly Gloade, originaire de la communauté micmaque de Burnt Church, au Nouveau-Brunswick, dénonce le « racisme et l’ignorance » de l’établissement.

« C’est une honte qu’ils l’aient refusée. Ils ne l’auraient peut-être pas sauvée, mais au moins, ils auraient pu l’aider », rage son oncle, Jason Barnaby, dans une entrevue accordée hier à La Presse. « Ils n’ont pas levé le petit doigt pour elle. »

Kimberly Gloade était déjà mourante lorsqu’elle s’est présentée, au début du mois de février 2016, aux urgences du CUSM. Elle souffrait de maux de ventre et de ballonnements. Elle avait les pieds tellement enflés qu’elle peinait à marcher. Son teint avait viré au jaune. Ce qu’elle ne savait pas, et qu’elle n’aura jamais su, c’est qu’une cirrhose hépatique, probablement développée après plusieurs années à abuser de l’alcool, était en train de la tuer, conclut le rapport du coroner Jacques Ramsay, que nous avons obtenu.

À l’hôpital, on a refusé de la soigner si elle ne payait pas les frais de sa visite, qui s’élevaient, selon la famille, à 1400 $.

Kimberly Gloade avait vécu dans la rue durant plusieurs années à Montréal avant de trouver un petit appartement avec son amoureux. Elle se reprenait en main, confie son oncle. Elle recevait une allocation d’aide sociale et elle s’occupait de « sa famille de la rue », à qui elle offrait gîte et nourriture. Mais comme plusieurs sans-abri, elle n’avait pas de papiers d’identité et pas de carte d’assurance maladie.

Ce jour de février, la quadragénaire a donc quitté le CUSM sans avoir vu de médecin, a révélé l’enquête du coroner.

Des proches lui ont organisé un rendez-vous à la clinique de Médecins du monde, qui soigne les personnes sans statut. Elle est morte dans son lit deux jours avant son rendez-vous, un mois après avoir été refusée à l’hôpital.

« Il ne s’agissait pas ici de prévenir un décès, désormais inévitable, mais simplement d’offrir l’accompagnement minimal qu’exige la décence en face de la mort de la part d’une société digne de ce nom, écrit Jacques Ramsay. En bout de compte, madame Gloade décède sans qu’un médecin ne se soit penché sur elle pour l’ausculter et lui expliquer ce qu’il lui arrivait. »

Lors de l’autopsie, on a trouvé dans son sang des traces d’alcool et de cannabis. Elle consommait depuis longtemps, mais dans le dernier mois de sa vie, le coroner croit qu’il s’agissait surtout d’une tentative d’atténuer ses souffrances. Elle n’avait pas accès à des médicaments d’ordonnance, puisqu’elle n’avait pas vu de médecin.

« Elle n’a pas été traitée comme un être humain. Ils l’ont traitée comme un animal. Peut-être même que les animaux sont mieux traités que ça », s’indigne sa mère, Donna Gloade. Sa fille était morte depuis trois jours lorsqu’elle a appris la nouvelle. Dans l’appartement de Kim, comme elle la surnomme, elle a trouvé une lettre qui lui était adressée et qui n’avait pas été postée. Elle nous en a lu un passage.

« Je suis très malade. Trop malade pour m’asseoir dans un bureau pour avoir ma carte d’assurance maladie, écrit sa fille. La nuit dernière [mon copain] et moi sommes allés à l’urgence pour avoir de l’aide. Ils m’ont demandé de payer 1400 $ pour voir un docteur. Imagine ! J’ai vraiment besoin de ton aide. J’essaie d’aller mieux, mais je n’ai pas beaucoup de chance. Pas de pièce d’identité à Montréal, aussi bien d’être un immigrant. Je ne sais pas quoi faire. Je n’ai pas vraiment personne à qui parler. Maman, je suis vraiment désolée de te déranger avec mes problèmes, mais j’ai besoin de ton aide. »

Le cœur de Donna Gloade s’est brisé lorsqu’elle a lu ces mots pour la première fois. « Si j’avais su, j’aurais pu être à ses côtés. »

La sœur de Kimberly, Bridget, n’arrive pas à parler du drame sans pleurer. « Je ne comprends pas. Les médecins sont supposés aider les gens », souffle-t-elle au bout du fil, la voix étranglée par les sanglots. « J’ai beaucoup de difficulté à accepter ce qui est arrivé. Je me dis que s’ils l’avaient aidée, elle aurait peut-être vécu un peu plus longtemps. Je sens que sa vie lui a été volée. Elle aurait aussi bien pu être assassinée. »

Pour Bridget, pour sa mère Donna, pour son oncle Jason, Kimberly a été victime de son origine et du fait qu’elle « fréquentait des itinérants et qu’elle en avait un peu l’air elle-même ». « Elle était considérée comme une indésirable. C’est arrivé à cause de ce qu’elle était. À cause d’où elle se situait dans l’échelle sociale », croit fermement sa sœur.

« Ce n’est pas la première fois qu’une chose comme ça arrive à des personnes autochtones ou à des gens qui vivent dans la rue. Mais c’est une honte que quelque chose comme ça arrive encore aujourd’hui », ajoute Jason Barnaby.

Le coroner Ramsay tient un discours assez semblable. « Il y en a quelques-uns comme ça, des itinérants, qui n’ont pas de carte. Il y a des organisations qui essaient de doter ces gens-là, mais pour toutes sortes de raisons, santé mentale, toxicomanie, ils n’ont pas cette carte-là. À la base, un toxicomane, sa priorité n’est pas en fonction de quelque chose dont il pourrait avoir besoin dans trois ou six mois. Quand arrive le moment où il a besoin de services et qu’il se présente à l’urgence, on lui dit : non. Désolé. Il faut que tu demandes une carte. »

Selon lui, le cas qui nous concerne dépasse l’histoire de Kimberly. « C’est une situation très triste. Mme Gloade, ce n’est pas juste Mme Gloade. C’est un indicateur important du portrait d’où en est notre système de santé. Ce n’est pas avec l’ultime nouveauté avec laquelle on a sauvé une vie qu’on devrait évaluer notre système de santé, mais c’est plutôt à des petits gestes, quand on est capable de faire preuve de compassion, c’est peut-être aussi, sinon plus important que le nouveau truc qu’on a inventé pour sauver une vie. »

Au CUSM, on indique n’avoir aucune trace du passage de Kimberly Gloade en février 2016. Pourtant, assure Vanessa Damha, coordonnatrice aux communications, tous les patients, qu’ils aient une carte d’assurance maladie ou non, passent au triage et un dossier à leur nom est créé. Il a donc été impossible d’avoir des explications sur son cas.

Mme Damha explique que, selon la politique de l’hôpital, « on traite tous les patients, peu importe leur statut, qu’ils soient couverts par la RAMQ ou non. Les soins sont prioritaires et la facture est discutée plus tard ». Elle note que l’établissement reçoit régulièrement des patients qui sont dans cette situation, et qu’ils sont toujours traités.

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