Cyclotourisme

31 000 km en tandem

Avec leur fidèle monture métallique, Hélène Giguère et Normand Pion ont parcouru 31 000 km sur deux roues pendant deux ans. Entre Calgary et Ushuaia en Terre de Feu, ils ont planté leur tente ici et là au gré des rencontres et des occasions, transportant un baluchon de 70 kg. De retour au Québec depuis la fin de juin, ils s’apprêtent à pédaler à travers la province tout l’été.

UN REPORTAGE DE SOPHIE ALLARD

Leur « plan de retraite »

Il leur faudra d’abord se procurer un nouveau tandem. Leur vélo a été fortement endommagé dans le transport en avion, de retour du Brésil. « Une mauvaise surprise nous attendait à notre arrivée. Pendant 10 ans, ce vélo nous a rendu de précieux services. On ne l’oubliera jamais », dit Hélène.

En couple depuis 2008, Hélène Giguère et Normand Pion, de Belœil, vivent pour pédaler, pour voyager à vélo. Dès qu’ils le peuvent, ils roulent. C’est comme ça depuis leur rencontre. L’idée de partir pendant deux ans a d’abord germé dans la tête de Normand. « C’était mon plan de retraite », dit cet ancien directeur de comptes en financement commercial chez Desjardins. Il a pris sa retraite à 57 ans. Il a aujourd’hui 61 ans. « Il voulait se retirer jeune pour pouvoir profiter le plus longtemps possible de son énergie, de sa forme, pour pouvoir voyager à vélo », dit sa compagne. Opticienne d’ordonnances, elle n’a pas hésité à quitter son emploi pour vivre cette aventure avec lui.

En 2014, les amoureux ont d’abord traversé le Canada d’est en ouest. Le voyage devait se poursuivre, mais Hélène s’est cassé une clavicule. En 2016, ils ont tout simplement repris là où ils avaient laissé. Avec une nouvelle assurance, celle d’aimer le nomadisme, de mois en mois.

Cette fois, c’était du sérieux. Ils ont vendu leur maison de Belœil, la voiture d’Hélène et la plupart de leurs possessions. Entre les nombreuses visites d’acheteurs potentiels, le couple devait recevoir tous les vaccins (plus de 3000 $ !). « Je m’occupais de vider la maison tout en travaillant à temps plein, et j’apprenais à tenir un blogue. J’ai trouvé les derniers mois avant le départ stressants », confie Hélène. La maison n’a été vendue que 10 jours avant le jour J. Normand, lui, a eu quelques difficultés à quitter ses deux grands enfants. « C’était émotif. Mais avec les réseaux sociaux, on part sans vraiment partir. »

17 pays à leur rythme

Le 16 juillet 2016, le couple a donné ses premiers coups de pédale à Calgary. Quelques bris mécaniques ont compliqué les premières journées, mais pas au point de gâcher leur enthousiasme. Hélène et Normand ont traversé 17 pays. Tout au long de leur périple, ils ont pédalé en moyenne 80 km par jour, autour de trois à cinq jours par semaine.

« On avait tout notre temps, on n’avait aucun billet de retour à date fixe, ça change la dynamique. On a fait les détours qu’on voulait, on acceptait les invitations sans stress. Même le lieu final de notre voyage a été déterminé à la toute fin, dit Normand. On prenait une semaine de vacances tous les deux ou trois mois. C’est le bonheur d’être son propre patron ! »

Le plaisir et les rencontres ont été au cœur de leur aventure.

« Avant, je pensais qu’un voyage, c’était visiter des endroits, des lieux, des monuments. Aujourd’hui, je sais qu’un bon voyage dépend surtout de la qualité des contacts sur place. »

— Hélène

Le couple admet que le défi a été difficile, physiquement et mentalement, mais aussi enrichissant. « Le voyage à vélo favorise la confiance en la vie, dit la cycliste. On part le matin sans savoir où l’on dormira le soir. Il nous est arrivé à quelques reprises, quand la nuit tombait, de ne pas avoir d’endroit où coucher. Il y avait toujours quelque chose qui arrivait, quelqu’un qui nous aidait. C’est confrontant au début, ça crée de l’anxiété, mais on s’y fait. »

Pourquoi le tandem ?

Le couple a opté pour le tandem après un premier voyage à vélo en Italie, en 2009. Les deux roulaient alors sur des vélos simples. « Normand devait toujours m’attendre en haut des côtes, j’étais beaucoup moins forte que lui. Le tandem a l’avantage d’équilibrer les forces, on est ensemble toute la journée et on fournit ce qu’on peut comme effort », dit-elle. « On roule plus vite, on finit les journées plus rapidement, moins fatigués, ou on se rend plus loin », ajoute Normand.

Si le cyclotourisme n’est plus une façon inhabituelle de voyager, l’utilisation du tandem comme moyen de transport demeure plus rare. « Partout où nous sommes passés, à partir du Mexique, le tandem a été un objet de curiosité, précise Normand. Ça nous a ouvert des portes. C’est une machine particulière, les gens étaient curieux, venaient nous voir. J’ai souvent fait faire des tours aux enfants en fin de journée. Les parents venaient nous jaser et, de fil en aiguille, on avait une place pour monter notre tente. »

retour sur un voyage unique

Un périple de cette ampleur ne vient pas sans son lot de bobos et d’imprévus, mais aussi de récompenses. Retour sur les moments marquants du voyage.

Des ennuis de santé

Après avoir pédalé sous le climat tempéré du Guatemala, Normand a souffert de déshydratation au Salvador. « On a rencontré un couple de jeunes Québécois avec qui on a roulé. J’ai voulu montrer de quoi les vieux étaient capables, j’ai trop poussé », admet Normand. Au Panamá, le duo est tombé et Hélène s’est cassé une côte. « On essayait de soigner les petits bobos rapidement, je regardais quoi faire sur l’internet. Comme on prenait des pauses, on a évité les blessures d’usure », dit Hélène.

Des pépins mécaniques

Hélène agissait à titre de chef mécanicienne. « On trimballait pas mal de pièces de rechange, mais on n’avait pas tout. Trois fois, on a brisé une roue. Certains chemins sont très durs, surtout au Pérou et dans le sud du Chili. » À Bogotá, les mécaniciens ont brisé une pièce en faisant de la maintenance. « Ils ont dû en fabriquer une nouvelle, ça a pris 10 jours. On en a profité pour visiter la ville. »

Ce qui vous a manqué

« L’hiver nous a cruellement manqué », admet Hélène. Les deux sont passionnés de ski de fond hors piste qu’ils pratiquent tous les week-ends durant la saison froide un peu partout au Québec, des Laurentides aux Chic-Chocs. « Des amis nous envoyaient des photos, on a pu vivre l’hiver par procuration, comme ils vivaient notre voyage sans être à nos côtés », dit Normand.

Un objet qu’ils auraient aimé transporter

« Une chaise de camping ! Après une grosse journée, ça aurait été bienvenu. Parfois, il fallait s’installer par terre, assis en Indien », dit Hélène. N’empêche, le couple n’a pas lésiné sur le luxe. Prévenir la lassitude pendant deux ans passe par l’assiette, souligne Normand. « On avait deux coupes de vin, 14 épices, de l’huile d’olive, une poêle et quatre assiettes. On était équipés pour recevoir ! »

Un objet incontournable

« On ne part jamais sans notre spray. Le jet d’eau savonneuse permet d’éloigner les chiens errants. Dans certains pays, il pouvait y en avoir 25 par jour qui nous couraient après, raconte Hélène. Ils peuvent nous faire trébucher, nous mordre, abîmer nos effets. J’avais les mains libres, alors je les aspergeais. Et quand j’avais les mains sales, après la mécanique, ça me permettait de me laver les mains. » Ils parlent de ce truc à chaque cycliste rencontré sur la route.

De difficiles défis

« Traverser les Rocheuses a été très difficile physiquement. Au Pérou aussi, il y avait beaucoup de montées et de descentes, des chemins de terre en mauvais état. Parfois, c’était de la grosse gravelle épaisse, c’était trop dangereux de pédaler, il fallait marcher. On faisait parfois seulement 30 km par jour. Au Guatemala, on a aussi eu plusieurs grosses côtes à pic à franchir », dit Hélène.

Vos coups de cœur

« Le Mexique et le Brésil ont été nos gros coups de cœur pour les habitants. Les gens nous ont beaucoup aidés spontanément : “Vous cherchez un endroit pour votre tente ? Attendez, je vais appeler mon beau-frère” », dit Hélène. « Au départ, on avait des inquiétudes concernant la sécurité dans ces deux pays, mais on a été agréablement surpris par la chaleur des gens, dit Normand. Jamais, au Brésil, nous ne nous sommes sentis menacés. Il y a une importante communauté cycliste. » Ils ont aussi apprécié les petits villages des montagnes du Pérou.

Quant aux plus beaux paysages qu’ils ont pu voir, les montagnes Rocheuses canadiennes ont charmé Hélène.

Votre prochain défi

Le couple parcourra le Québec tout l’été à la rencontre de gens, familles et amis, qui les ont suivis à distance durant leur périple. « C’est à notre tour de les entendre, d’en apprendre plus sur eux. Rouler au Québec l’été, c’est génial ! », dit Normand. Le retour au pays est ainsi plus doux. Hélène compte reprendre le travail dès l’automne, le couple se trouvera un appartement en attendant le prochain voyage en 2019 : six mois sur les routes d’Europe.

Un conseil aux débutants

« Il faut commencer à petite échelle pour voir si ça nous convient, dit Normand. Avec les enfants, on s’adapte à leur rythme, on commence tôt et ils s’habitueront vite aux aléas du cyclotourisme. Une averse de deux heures ne leur fera plus peur. » Hélène recommande de s’informer et de demander conseil sur les divers blogues de cyclotouristes.

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