Opinion  Éducation

La réforme grilled cheese

Quelle est la proportion du personnel enseignant qui a lu, exigence minimale s’il en est une, toutes les sections du programme qui les concerne ? Donnez-vous votre langue au chat ? Rassurez-vous, nul ne le sait ; pas le MELS, ni les syndicats, ni les médias. À quel moment le « renouvieux » pédagogique (il n’est plus très nouveau) a-t-il été implanté au Québec ? C’était une question piège…

Il ne l’a pas été et ne le sera jamais. En 2010, la ministre Courchesne s’en est assuré en éliminant, ni plus ni moins, les éléments de la réforme qui lui conférait son caractère véritablement unique. Quand on enlève la viande à un cheeseburger, ce n’est plus la même chose ; c’est un grilled cheese.

En ce sens, il est tout simplement absurde de parler des succès comme des échecs de la réforme en éducation, car elle n’a jamais eu lieu. D’ailleurs, si vous vous y connaissez le moindrement en matière d’évaluation, vous aurez tôt fait de remarquer que les examens d’aujourd’hui sont essentiellement les mêmes que ceux d’il y a 20 ans, à la différence que les questions et les tâches sont souvent bourrées de textes touffus et de contextes capillotractés. Ce n’est pas ça, la réforme.

Le simple fait que le Québec ait obtenu les meilleurs résultats en Occident au test PISA en mathématiques en 2012 est un bon indicateur que les changements aux pratiques pédagogiques et didactiques du personnel enseignant au Québec ne sont le fait que d’une minorité. Le test PISA est assez traditionnel. Or, si la réforme préparait mal pour ce genre d’examen, les élèves québécois n’auraient pas si bien réussi (mieux que le Canada, les États-Unis, la Finlande, la Norvège, la France, etc.).

Les responsables de l’échec dans l’implantation de cette façon moderne de considérer l’apprentissage et l’enseignement sont légion. Inutile de les chercher ; il est trop tard. Le monde à l’extérieur des murs d’une classe est déjà ailleurs. Il est grand temps de réfléchir à la prochaine réforme. Une réforme où les élèves pourront utiliser la technologie comme tout le monde le fait dans la vraie vie et non pas de temps en temps, au bon vouloir de l’enseignant. Une réforme où on remettra en question le curriculum même…

En quoi est-ce pertinent que tous apprennent la même chose au même moment ? Pour développer une culture générale ? Il y a aujourd’hui des cultures générales.

Si on veut préparer nos élèves pour le siècle qui est devant eux, il faut cesser de les préparer comme s’ils vivaient au XIXe siècle.

Stratégiquement, la prochaine réforme n’en serait pas une, à proprement dit. Le système d’éducation est affligé de mécanismes de résistance qui empêchent une réforme à la grandeur du réseau. La solution se trouve dans la différenciation. Certaines écoles pourront faire comme avant, se référer au Programme de formation de l’école québécoise ou même celui de nos grands-parents, et d’autres écoles pourront opter pour un nouveau programme du XXIe siècle. Il y aura des cheeseburgers proposant des combinaisons originales et il y aura des grilled cheese.

Je n’ai rien contre un bon grilled cheese, mais le choix est important. Les parents pourront choisir l’école la plus appropriée pour leur enfant, et le personnel enseignant pourra choisir une école qui correspond davantage à ses valeurs pédagogiques.

Opinions

Courrier

Échec transversal

Comment se fait-il qu’on a pris 15 ans pour évaluer les résultats de cette réforme, nous privant ainsi de moyens pour apporter des correctifs et mieux atteindre les résultats souhaités ? La gestion par résultats implique de définir les résultats souhaités, de définir les indicateurs de performance, d’évaluer périodiquement, et d’apporter des correctifs au besoin. Si on appliquait avec plus de rigueur cette approche aux différents programmes gouvernementaux, on augmenterait à coup sûr la qualité de ces programmes et on réglerait en bonne partie le problème des finances publiques.

— Alain Brochu, Québec

On devrait nous dire merci

Oser, encore une fois, blâmer les enseignants pour l’échec de la réforme scolaire ! Cet échec, nous, les enseignants, l’avions prédit il y a 15 ans. Non, M. Legault devrait plutôt nous dire merci, car si la majorité des enseignants avaient appliqué à la lettre tout ce que cette réforme contenait, les résultats de cette nouvelle étude seraient bien plus désastreux. Cela dit, M. Legault nous a permis d’éviter la catastrophe. Quant à M. Bolduc, je ne sais pas s’il se rend compte qu’il est présentement la risée de l’ensemble des enseignants du Québec avec ses commentaires dignes d’un enfant qui sort d’une projection de La reine des neiges. Le jour où on voudra entendre ceux qui sont sur la ligne de front, ceux qui vivent la réalité en classe chaque jour, nous arriverons sûrement au succès escompté.

Malheureusement, tant qu’il y aura autant de mépris pour le travail et les opinions des enseignants, nous n’arriverons à rien. J’ai cessé d’y croire. Je ne travaille maintenant que pour mes élèves.

— François Gauthier, enseignant au secondaire depuis 31 ans

Rien n’a changé

Cessons les plaintes à l’effet que la tâche d’un enseignant du secondaire est très difficile et que les élèves sont disparates. Pouvez-vous m’expliquer combien d’heures de formation continue suivent les enseignants par année ? Depuis l’implantation de la réforme, qu’est-ce qui a changé dans les classes ? Les enseignants ont continué à enseigner comme avant, alors arrêtez de tirer sur la réforme ! Non, je ne suis pas pro-réforme et j’ai passé une assez grande partie de ma vie dans les écoles pour savoir que rien n’a changé dans la façon d’enseigner. Peut-on questionner la formation des enseignants ? Peut-on questionner les moyens et les ressources qui ne sont pas arrivés en même temps que la réforme ? Les chercheurs n’ont pas tenu compte de toutes les variables.

— Said Taleb

Cherchez l’erreur

Au deuxième cycle du secondaire, en français, un élève qui commet 35 fautes dans un texte de 350 mots peut malgré tout obtenir la note de passage. Cherchez l’erreur. À l’oral, un élève qui baragouine un texte avec des « tsé veut dire genre style comme ouin bon ben pis c’est ça », peut passer. Cherchez l’erreur. En lecture, le prof ne doit pas compter les fautes d’orthographe. Cherchez l’erreur... 

L’erreur vient d’en haut, dans les modalités et les grilles de correction du MELS qui exige des diplômes. La réforme ne visait que l’augmentation du taux de diplomation en abaissant la barre, tout simplement. Les ministres auraient bien aimé se péter les bretelles dans de beaux discours électoralistes, mais voilà, cette réforme est un échec avec ces diplômés à rabais qui arrivent maintenant au cégep.

— Gilles Julien, enseignant, 4e secondaire

Apprendre plutôt que comprendre

Il y a un fait incontournable : apprendre est difficile ! Ça demande du travail, de la constance et de la répétition pour que la matière étudiée soit non seulement comprise, mais maîtrisée et retenue. À l’inverse, comprendre un raisonnement ne demande qu’un peu de concentration. Mais demandez ensuite à l’étudiant de le refaire ou, pire, de l’appliquer, et celui-ci va bloquer après quelques secondes. Il a compris « sur le coup », mais n’en a aucune maîtrise. Le problème des pédagogues enfermés dans leur tour d’ivoire au ministère de l’Éducation, c’est qu’ils tentent de faire croire aux élèves et à la population qu’il est facile d’apprendre. Aucun effort à faire ! Malheureusement, même si on minimise le plus possible les difficultés, cela restera toujours difficile. Il faudrait seulement commencer par accepter ce fait. Le reste suivra.

— André Maltais, Longueuil

L’avenir en péril

Mon fils était de la toute première cohorte de la réforme et ma fille est passée deux ans après lui. La seule raison pour laquelle ils savent écrire aujourd’hui, c’est parce que je me suis acharnée tous les soirs à leur apprendre moi-même le français. J’ai été enragée pendant des années à voir ce qu’on enseignait aux enfants. C’est n’importe quoi !

On prend les enfants pour des idiots et on nivelle par le bas. Lorsqu’au primaire, on leur dit qu’un verbe est un « mot d’action », et un adjectif, un « mot de qualité », parce que verbe et adjectif sont des mots traumatisants pour les enfants, ça donne le ton pour le reste !

Je n’ai pas hésité une seconde à mettre mes enfants au privé au secondaire et avoir su, je l’aurais fait dès le primaire ! Au moins, dans les écoles privées, il reste des traces d’éducation dite traditionnelle. On met en péril notre avenir avec cette réforme.

— Valérie Garcia

Comment fabriquer des cancres

Je me souviens encore de mon état d’hébétude lorsque mon fils a fait son entrée en première année en 2003. Dans un document qui devait avoir au moins une trentaine de pages, on y expliquait les objectifs des différentes matières au niveau primaire. Le premier objectif en français était : l’enfant fait semblant de lire… Entre vous et moi, quand on fait semblant, on ne sait pas et on ne maîtrise surtout pas la matière ! Mais mon opinion ne compte pas. Je ne suis ni professeur ni ministre. Je ne suis qu’une simple mère...

— Nathalie Éthier

Pour la création d’un ordre professionnel

Comme enseignante de mathématique, j’ai vu progresser cette dégradation de l’éducation. Je n’arrivais plus à encadrer mes élèves en difficulté tant ils étaient nombreux et démotivés. Les quelques élèves qui étaient intéressés et en mesure d’apprendre étaient par conséquent lésés. Je n’arrivais plus à atteindre les objectifs prescrits par les programmes d’étude et je me sentais continuellement incompétente et coupable de cela. J’enseigne maintenant à des adultes. Je me sens beaucoup plus utile maintenant, car je peux réellement aider ces élèves. Espérons que les fonctionnaires apprendront de leurs erreurs pour l’implantation de la réforme à l’éducation des adultes…

J’espère aussi que l’on pourra débattre un jour de la pertinence de la création d’un ordre professionnel. Cela s’impose, car les élèves ont été des cobayes. Un ordre professionnel ne l’aurait pas permis.

— Claudie Theriault, enseignante en mathématique au centre l’Impulsion de la commission scolaire de Laval

La réforme a réussi...

Cette réforme devait permettre de démocratiser la réussite scolaire, selon les chercheurs de l’étude. Rendre accessible l’éducation pour tous, c’est de démocratiser l’accessibilité à l’éducation. Mais comment fait-on pour démocratiser la réussite scolaire ?

Larousse nous dit : « Rendre quelque chose accessible à toutes les classes sociales, le mettre à la portée de tous : Démocratiser le transport aérien en abaissant les tarifs. »

Comment fait-on pour démocratiser la réussite scolaire ? On abaisse le seuil de passage, on rend les examens moins difficiles, on normalise les résultats. Ainsi, on s’assure que le plus grand nombre réussira. Ce qui ne veut pas dire que ceux qui réussissent obtiendront de meilleures notes que les élèves d’avant la réforme…

La réforme a donc atteint son but !

— Réal Lavoie

Un échec peu surprenant

À la retraite depuis peu après 35 ans d’enseignement en français au secondaire, dans une école privée, je dois admettre que les résultats de la réforme ne me surprennent guère. De notre côté, au privé, nous avons implanté la réforme, mais en gardant un accent certain sur l’écriture et l’orthographe, les bêtes noires des élèves. Règle de grammaire et mots de vocabulaire avec définitions à mémoriser au quotidien, dictée et mini-production écrite au dix jours : tous ces éléments faisaient partie de notre corpus en plus, évidemment, de la matière exigée par la réforme.

À mon avis, cette démarche commune de tous les enseignants de français, en accord avec la direction, a sûrement contribué à rendre meilleurs nos élèves et à les amener à dompter cette bête qu’est l’orthographe et à en être fiers dans un monde où les gens se foutent carrément du bien écrire.

— Richard Duquette

Tout commence au primaire

Je suis enseignante au primaire. À la suite de tout ce qu’on peut lire et entendre sur la réforme, j’aimerais ajouter ceci : d’où proviennent les élèves du secondaire ? Si les taux de réussite ne sont pas au rendez-vous au secondaire, c’est parce que les élèves qui s’y retrouvent et qui sont en difficulté ont fait un séjour au primaire où tout n’est pas rose. Il serait donc important d’aller voir l’impact des mesures mises en place… depuis les débuts de la réforme, au primaire.

— Pauline St-Onge, enseignante au primaire

Informez-vous avant de critiquer

Les médias nous offrent encore du sensationnel sans, encore une fois, aller jusqu’au bout des choses. Demandez à tous ceux qui critiquent la réforme : au moins la moitié ne la connaissent pas. Comme ex-étudiant en enseignement, je peux vous dire que le courant constructivisme est plus que prometteur, mais pour cela, il faut un minimum d’implication des enseignants (projets, formation continue, etc.). Or, ce n’est pas tout le monde qui décide d’y mettre du sien.

— Philippe Dupré-Deslandes, étudiant en communication politique

Dans le mille

La réforme visait les garçons, les élèves en difficulté et ceux venant de milieux défavorisés ? Ils ont effectivement été visés… Et on ne les a pas manqués !

— Louise Bisson

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