ÉLECTIONS FÉDÉRALES 2019 OPINION

EnvironnemenT
Des politiques fédérales mal conçues

À entendre la jeune militante écologiste Greta Thunberg, de passage aux Nations unies cette semaine, l’apocalypse est imminente. Sans une approche « zéro carbone » immédiate, l’humanité – et même la planète tout entière ! – est vouée à l’extinction.

Loin de moi l’idée de jeter une douche froide sur les passions de l’adolescente, mais son approche condamnerait l’humanité à une autre forme d’extinction, l’effondrement économique, ce qui rendrait beaucoup plus difficile l’atteinte de son objectif ultime : trouver des solutions de rechange aux combustibles fossiles.

La « croissance économique sans fin », comme Thunberg l’a décriée, n’est pas une mauvaise chose en soi ni un conte de fées si cela permet de financer le développement de nouvelles technologies et leur commercialisation à des prix abordables.

Les bouleversements sociaux inhérents à un retrait trop rapide des combustibles fossiles mettraient également en péril la lutte contre les changements climatiques en créant une instabilité politique qui menacerait les politiques mêmes que défendent des militantes comme Thunberg.

Au Canada, on peut observer ce phénomène dans notre propre cour. La bataille entre l’Alberta et la Colombie-Britannique à propos du jumelage du pipeline Trans Mountain alimente un mouvement quasi séparatiste dans les Prairies. En Ontario, le premier ministre conservateur Doug Ford est arrivé au pouvoir avec la promesse d’abolir la taxe fédérale sur le carbone des libéraux. Des autocollants couvrent maintenant les pompes à essence de la province pour illustrer ses effets néfastes. Au Québec, le premier ministre François Legault a adopté une position ferme face au pipeline Énergie Est même si le projet a été abandonné. Partout au pays, un malaise plane, menaçant d’ouvrir à nouveau les lignes de fracture du fédéralisme canadien.

En matière de conciliation des intérêts environnementaux et économiques, les politiciens fédéraux canadiens font ainsi face à un défi supplémentaire : la préservation de l’unité nationale.

En raison de la nature très régionale des ressources naturelles, les provinces qui en dépendent pour leur bien-être économique ont une vision bien différente de celles qui n’en dépendent pas. Bénéficiant d’une abondance d’énergie hydroélectrique, il est beaucoup plus facile pour le Québec de se lancer dans l’économie verte et de se fixer de grands objectifs en matière de décarbonisation. En revanche, l’Alberta est non seulement un utilisateur, mais également un exportateur de combustibles fossiles, ce qui représente un élément-clé de son économie.

Et qui, faut-il le mentionner, alimente bien les économies des autres provinces. Pendant des années, l’Alberta s’est plainte de la somme des paiements de péréquation qu’elle a financés pour des provinces comme… le Québec.

Se faire dire que son énergie devrait rester dans le sol n’est pas seulement inacceptable, c’est une insulte. L’Ouest canadien recevra-t-il une compensation des provinces qui ont bénéficié de son argent « sale » au cours des années ? Comme prévu, le silence des dirigeants fédéraux est… assourdissant.

De grands plans nationaux

Au lieu de cela, les grands plans nationaux font fureur chez les partis fédéraux. Le Parti vert éliminerait les subventions sur les combustibles fossiles et imposerait une réduction de 60 % des émissions, par rapport aux niveaux de 2005, d’ici 2030. Il s’agit du double de la réduction de 30 % promise par les libéraux, qui ont déjà imposé une taxe sur le carbone. Pourtant, les deux partis prétendent qu’ils parviendraient à une neutralité carbone d’ici 2050.

Le NPD éliminerait immédiatement les subventions aux combustibles fossiles et donnerait au Canada le pouvoir de produire de l’électricité « exempte de carbone » d’ici 2030. Les conservateurs, eux, refusent l’idée d’une approche fondée sur la fiscalité et souhaitent plutôt encourager les technologies telles que le captage du carbone et la production d’énergie verte. Le Parti populaire du Canada nie quant à lui que le changement climatique soit un problème et son chef, Maxime Bernier, a qualifié le CO2 de « nourriture pour les plantes ».

Ce qui manque à tous ces plans, c’est une approche décentralisée.

Plusieurs chercheurs universitaires ont préconisé une telle approche en raison de la répartition inégale des ressources et de leur importance pour les économies provinciales. 

Alors que les changements climatiques représentent un problème international, les solutions sont mieux conçues et mises en œuvre par les gouvernements les plus près de la source ; dans ce cas, ceux qui se trouvent au niveau provincial.

Ce n’est pas que le gouvernement fédéral n’ait pas de rôle à jouer, mais c’est un rôle qui implique la mise en commun des risques et des bénéfices, et la reconnaissance du fait que les économies qui ont une transition plus facile vers des solutions vertes devraient soutenir une plus grande part du fardeau que celles qui en souffriront, potentiellement par le truchement du système de péréquation.

Peu d’appétit pour l’action provinciale

Alors, pourquoi les partis fédéraux évitent-ils cette approche ? Peut-être parce qu’un récent sondage de la Confederation of Tomorrow sur la question montre qu’il existe un faible appétit pour de l’action au niveau provincial. Seulement 12 % des répondants font confiance à leur gouvernement provincial pour lutter contre les changements climatiques, contre 29 % au gouvernement fédéral. Trente-cinq pour cent des répondants ont une confiance égale dans les deux gouvernements tandis que 19 % n’ont aucune confiance en eux.

Il existe de légères différences régionales dans les niveaux de confiance des répondants, mais la seule exception majeure est la Saskatchewan, où 25 % d’entre eux font confiance au gouvernement provincial.

Mais la confiance n’est pas le seul baromètre dont le gouvernement fédéral devrait tenir compte : il faut prendre note de l’impact économique. 

Ces effets alimentent à leur tour l’humeur du public et cette humeur donne naissance aux divisions qui apparaissent au sein de la fédération. 

On est loin de demander que les « eastern bastards » gèlent dans le noir, mais il reste que Thunberg recevra sans aucun doute un accueil plus chaleureux à Montréal qu’à Calgary. On peut en dire autant des politiques fédérales mal conçues qui ne tiennent pas compte de la diversité économique du Canada.

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