Bijoux

Caroline Arbour, la femme scarabée

Première joaillière québécoise invitée à créer une collection pour Birks, Caroline Arbour vit en pleine nature dans son Abitibi d’adoption. Rencontre avec une créatrice unique qui rêve d’exposer chez Boucheron, à Paris.

« Le scarabée est mon alter ego », lance-t-elle, assise à la table d’un café, veste de cuir noir, t-shirt et jeans noirs, pendentif en forme de scarabée à la carapace noire au cou.

Caroline Arbour est une artiste, une vraie. Et une rurale. Elle préfère les épinettes noires de l’Abitibi aux lampadaires de Montréal et le vent du nord à l’air des bouches de métro. « Je suis très sensible et, dans le monde des affaires, j’ai besoin d’une carapace », explique-t-elle.

Née à Bonaventure, au bord de la mer, elle a fondé son entreprise à Amos en 2003. À 4 ans, elle se voyait déjà bijoutière. Et à 17 ans, elle a quitté la Gaspésie pour aller étudier la joaillerie à Québec, où elle a fait deux rencontres déterminantes pour la suite des choses : celle d’un homme et celle d’un scarabée.

L’HOMME ET LE SCARABÉE

Elle a tout laissé tomber pour suivre le premier en Abitibi, la « terre des tout est possible », comme elle l’appelle, où elle a ouvert un premier atelier de joaillerie dans sa maison mobile, en 2003, et où elle a eu sa fille, Angela, en 2010.

« Il y a quelque chose en Abitibi de très attachant et de très énergisant que je ne retrouve pas ailleurs, dit-elle. On dirait que rien ne fait peur aux Abitibiens. Qu’il n’y a rien à leur épreuve. »

Sa deuxième rencontre marquante, le scarabée, est devenue sa plus grande source d’inspiration. Et l’emblème de sa marque, Scaro. Il y a plus de 30 000 espèces de scarabées dans le monde, mais celui que Caroline Arbour affectionne particulièrement est un longicorne qu’elle a croisé un jour de 1998 dans la rue, à Québec, pendant ses études en joaillerie.

« Ç’a été la découverte de ma vie, confie-t-elle. Je pense, la plus belle rencontre. Je l’ai pris dans mes mains et je l’ai observé pendant des heures. J’étais fascinée. »

LA DÉTERMINATION

Comment ses bijoux en forme de scarabée se sont-ils retrouvés à la Maison Birks de Montréal ?

« Le hasard », répond Caroline. Et le travail. Beaucoup de travail.

« Je ne la connaissais pas », souligne Jean-Christophe Bedos, président et chef de la direction de Birks, qui a été le patron du grand bijoutier contemporain Boucheron de la place Vendôme, à Paris, de 2004 à 2011, et de Cartier, de 2002 à 2004. La création d’une collection Scaro pour Birks, c’est son idée.

« Nous avons été présentés l’un à l’autre à un événement. J’ai eu un coup de cœur pour le personnage, son caractère, sa détermination et sa thématique, le scarabée, affirme-t-il. Caroline est très surprenante quand on regarde la création en Amérique du Nord. Elle sort du lot. Elle est vraiment unique. »

Le désir de présenter son travail est apparu lorsque Birks a lancé le projet de rénover sa bijouterie de Montréal. Ce serait bien, s’est dit M. Bedos, de faire une exposition consacrée à une jeune joaillière québécoise pour lui donner une chance. Le lancement de la collection Scaro pour Birks, baptisée Apothéose, a coïncidé avec la réouverture du magasin phare au square Phillips, à la mi-juin.

« Ce qui est inspirant, c’est qu’elle fait des scarabées, poursuit M. Bedos. Un thème très ancien qui a été exploité par de grands joailliers, comme Boucheron et Cartier. J’ai été très surpris de voir une jeune femme aussi entrepreneure, totalement habitée par sa création. Elle est très inspirante. Et elle possède une bonne culture joaillière. »

L’ÉCOLE DES GRANDS

Le processus de création, de la conception à la mise en marché, a duré 18 mois au cours desquels Caroline a fait la route Amos-Montréal une fois par mois (1200 kilomètres aller-retour). M. Bedos l’avait prévenue : « Attention ! Ça ne va pas être facile. Vous allez souffrir ! »

Il avait raison. Le processus a été parfois difficile, voire carrément épuisant, mais le résultat valait tous les efforts.

« Birks m’a aidée à monter mon niveau de qualité, reconnaît-elle. Ç’a été comme aller à l’école des grands. J’ai vraiment beaucoup appris. Ma vie, c’est ça, je m’amuse, je ne prends pas vraiment ça au sérieux, même si je suis complètement investie dans mon travail. Je ne me prends pas la tête. »

Les pièces ont toutes été sculptées à la main avant d’être coulées dans des métaux précieux en fusion. Certaines sont ornées de pierres précieuses, d’autres incorporent de vraies carapaces de coléoptère.

Et chaque bijou porte un nom inspiré de la mythologie : le pendentif Isis, déesse de la féminité et de la maternité, la bague Maïa, déesse de la fertilité, les boucles d’oreilles Athéna, déesse de la sagesse et de la guerre, le pendentif Artémis, déesse de la nature sauvage…

LA CONQUÊTE DE L’EUROPE

Son prochain gros projet est de partir à la conquête de l’Europe avec des bijoux haut de gamme et des pièces sculpturales exclusives ou offertes en série limitée.

« Birks, ce n’était pas dans mes objectifs de vie », précise celle qui a réalisé en 2013 une collection de 15 pièces en or et en argent en hommage au célèbre entomologiste Georges Brossard, qui lui a fourni les spécimens d’insectes ayant le plus marqué sa vie. Des pièces magnifiques qu’elle a elle-même financées et qui ont fait le tour du monde, de Hong Kong à New York en passant par Paris, Londres et Singapour.

« Moi, c’est Boucheron que je vise ! J’aimerais aussi travailler avec le designer Jean Paul Gaultier. J’aime la folie et l’assurance des grands créateurs européens, qui n’ont pas rapport avec nous. Nous autres, on suit les tendances, on ne crée pas les tendances. Moi, j’aime faire mes propres affaires. »

— Caroline Arbour

Comment s’y prendra-t-elle pour séduire Boucheron ?

« Aucune idée ! »

« Habituellement, un bijou, c’est un bijou. Moi, c’est autre chose, précise-t-elle. C’est pour ça que je pense que mon bijou peut être un jour chez Boucheron. Mais ça, c’est un peu prétentieux… Mais bon, j’ai encore beaucoup de trucs à apprendre, mais je pense qu’il pourrait être là. »

Son grand ami, le rappeur hip-hop Steve Jolin, mieux connu sous le nom d’Anodajay, n’en doute pas. « C’est le genre de fille qui est capable de mener ses projets à terme, assure-t-il. Elle est très déterminée et ne va pas prendre un non comme une réponse. Ça fait 15 ans qu’elle roule sa bosse et elle va toujours un peu plus loin. C’est une battante. »

Caroline Arbour participe au Salon des métiers d’art qui a lieu à la Place Bonaventure jusqu’au 16 décembre.

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