Une mission sous le signe de la science

L’astronaute québécois David Saint-Jacques mènera plusieurs expériences lors de sa mission de six mois dans l’espace.

Un an avant son départ pour l’espace, l’astronaute québécois David Saint-Jacques a dévoilé hier les expériences qu’il mènera dans la Station spatiale internationale. Impacts de l’apesanteur sur les os, vieillissement prématuré des artères, effets de l’isolement sur la psychologie : les expériences visent autant à préparer une future mission vers Mars que de mieux comprendre des problèmes bien actuels vécus sur Terre.

La moitié de l’Everest

C’est un David Saint-Jacques affable et détendu qui s’est présenté aux médias, hier. Depuis l’annonce de sa mission spatiale, en mai 2016, l’astronaute partage son temps entre Houston et Moscou, où il enchaîne les entraînements physiques et théoriques. Fébrile à l’idée de s’envoler dans moins d’un an ? « Je ne suis pas rendu là, a-t-il dit à La Presse. Je suis comme un alpiniste qui est à mi-chemin de l’Everest. Je ne suis pas quasiment arrivé, mais ça fait longtemps que je suis parti. » Le plus ardu ? La réponse de ce père de trois enfants fera sourire ceux qui croient que la vie d’astronaute n’a rien à voir avec celle du commun des mortels. « La conciliation travail-famille, répond-il. Être un bon astronaute, je suis capable. Mais il faut aussi rester un bon père et un bon mari. »

Cap sur la médecine

Oubliez les balances et les éprouvettes : c’est la biologie et la médecine qui seront au cœur du programme scientifique de David Saint-Jacques. Ce choix n’est pas celui de l’astronaute, mais bien celui de l’Agence spatiale canadienne. L’organisation plaide que la médecine en régions éloignées, notamment, pourra bénéficier des avancées faites dans un environnement isolé comme la Station spatiale internationale. « C’est un mariage parfait pour le Canada. Et pour moi, ça tombe en plein dans mes intérêts », dit David Saint-Jacques, qui a lui-même pratiqué la médecine dans le Grand Nord canadien (l’homme, en plus d’être médecin, est ingénieur et astrophysicien).

Être cobaye

En flottant à 400 km au-dessus de la Terre, David Saint-Jacques se retrouvera dans une drôle de situation : il sera à la fois le scientifique et le cobaye de plusieurs de ses expériences. Son système immunitaire, par exemple, sera mis à rude épreuve par l’apesanteur et les radiations et sera scruté à la loupe. Après un mois dans l’espace, le natif de Saint-Lambert aura déjà perdu plus de masse osseuse qu’en perd un adulte moyen de 50 ans en un an complet, et son cœur et ses artères auront vieilli de 10 à 20 ans au terme de sa mission de six mois.

« Être astronaute, c’est dangereux, commente le principal intéressé. Non seulement tu risques ta vie, mais en plus, être dans l’espace, ce n’est pas bon pour la santé. Mes os, mon cœur, mon système immunitaire, mes yeux, mon sens de l’équilibre vont souffrir. Mais on apprend énormément de ça. Chacun des problèmes de santé des astronautes correspond à des maladies réelles sur Terre, alors ça vaut la peine. »

Bioanalyseur

Un nouvel instrument canadien appelé « bioanalyseur » permettra à David Saint-Jacques d’analyser la composition de son sang en temps réel, tandis qu’un laboratoire sur puce évaluera à partir d’un simple échantillon de sang ou d’urine autant l’état de son système immunitaire que son inflammation. L’astronaute rêve déjà de voir ces technologies déployées sur Terre. « J’ai vécu ça, en Arctique, de faire une prise de sang, la congeler, l’envoyer à Montréal en espérant qu’elle se rende, puis avoir le résultat deux semaines après alors qu’il est trop tard, raconte-t-il. Avoir les résultats directement sur place, quel avantage pour les patients. »

50 %

Les premiers astronautes qui ont séjourné dans la Station spatiale internationale ont surtout travaillé à construire cet immense laboratoire flottant, si bien que leur temps pour la science était limité. Aujourd’hui, David Saint-Jacques pense pouvoir consacrer la moitié de son temps utile dans les airs à des expériences scientifiques.

Un « maillot intelligent » montréalais

Pendant sa mission, David Saint-Jacques portera un « maillot intelligent » conçu par Carré Technologies, une entreprise en démarrage de Montréal. Il s’agit d’une version améliorée du vêtement Hexoskin qu’elle vend aux athlètes. Battements cardiaques, respiration, mouvement, température, pression sanguine, oxygène dans le sang : le maillot truffé de capteurs enregistrera les moindres signes vitaux de l’astronaute.

« L’objectif est de comprendre le corps humain pour être sûr que les astronautes qui iront vers Mars reviendront en vie et en santé, explique Jean-François Roy, chef des technologies de l’entreprise. On s’en va dans l’espace l’année prochaine ! »

Sonder la psyché des astronautes

Pour la première fois, des sociologues canadiens se pencheront aussi sur la psyché des astronautes pendant leur mission. Ceux-ci rempliront cinq questionnaires – un avant leur départ, deux pendant la mission, et deux autres au retour. Phyllis Johnson, professeure au département de sociologie à l’Université de la Colombie-Britannique, s’intéresse notamment à la cohésion sociale des astronautes canadiens, américains, russes, japonais et européens qui doivent collaborer dans un environnement isolé et à haut risque. Elle veut aussi étudier la façon dont les objets personnels qu’ils emportent de la Terre les aident à vivre la séparation physique, et comment la mission changera leurs perceptions. « On sait que certains astronautes deviennent très spirituels », rappelle-t-elle. La professeure Johnson estime que les résultats aideront autant à planifier une mission vers Mars qu’à comprendre ce que vivent les gens dans des environnements isolés comme les bases scientifiques en Antarctique, les bases militaires et les plateformes de forage en haute mer.

Une autre perspective

Au-delà de la science, David Saint-Jacques a-t-il un objectif plus personnel pour sa mission ? « Les astronautes ont peu de temps libre à bord, mais quand ils en ont, ils aiment regarder par la fenêtre, répond-il. De l’espace, on a une perspective incroyable sur notre planète. Et mon projet le plus personnel et le plus profond est de parvenir à acquérir cette nouvelle perspective et de la partager avec le plus de Canadiens et de Canadiennes possible. »

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