Urbanisme

Bâtir un quartier vert

Deux nouveaux écoquartiers s’annoncent à Montréal. Deux autres se réalisent comme prévu. Regard sur des milieux de vie inspirants, qui gagnent aussi la banlieue.

UN DOSSIER DE DANIELLE BONNEAU

Les attraits de l’écoquartier

Julie Bernard a toujours essayé de demeurer dans un rayon de 1 km de son lieu de travail. Quand elle emménagera dans la deuxième phase du Technopôle Angus, dans Rosemont, elle habitera à quelques mètres de son studio d’entraînement.

« Je n’aurai pratiquement plus besoin d’utiliser une voiture, se réjouit la jeune femme, copropriétaire avec son mari Yan Caron du Studio Locomotion, dans le Technopôle Angus. Je pourrai faire mon épicerie et aller travailler à pied. L’école de notre fils, en plus, devrait mettre en place un Trottibus le printemps prochain. »

La proximité est l’un des facteurs qui ont incité le couple à s’établir dans le futur écoquartier. Ce n’est pas le seul.

« L’efficacité énergétique sera intéressante, tout comme la présence de plein de petits commerces, de restaurants, juste à côté, dit Mme Bernard. Déjà, on n’a pas besoin de sortir d’ici. On peut penser qu’il y aura autre chose dans ce qui s’en vient. »

Elle aura pour voisins trois de ses employés, qui ont aussi réservé un logement. « Cela me rassure d’être près de gens que je connais », souligne la jeune femme, qui a réservé un condo sur deux étages avec trois chambres et une vue sur le parc Jean-Duceppe, qui n’était pas hors de prix.

« C’est dur à trouver à Montréal », note-t-elle.

La seconde phase du Technopôle Angus sera aussi une denrée rare. En mai, son plan d’aménagement a obtenu l’homologation LEED-AQ (aménagement de quartier) v4 niveau Platine. C’est le deuxième au Canada à atteindre un tel échelon.

Or, le chemin pour y arriver a été incroyablement ardu, révèle Christian Yaccarini, fondateur de la Société de développement Angus (SDA), une entreprise d’économie sociale vouée à la revitalisation d’une partie de l’ancien terrain des « Shops Angus ». En 2008, l’organisme avait innové en obtenant la première certification écologique LEED-AQ de niveau Or au pays, pour la planification de son quartier d’affaires.

Cette homologation poursuit plusieurs objectifs : réduire l’étalement urbain, diminuer la dépendance à l’automobile, promouvoir une utilisation efficace de l’énergie et de l’eau, encourager la marche, améliorer la qualité de l’air et protéger l’environnement.

Il y a une dizaine d’années, la première phase du Technopôle Angus était l’un des cinq quartiers au Québec à participer au projet-pilote du Conseil du bâtiment durable des États-Unis. À Montréal, les deux autres étaient Pointe-Nord, à L’Île-des-Sœurs, et Campus Outremont, de l’Université de Montréal. Faubourg Boisbriand, de son côté, a pris vie sur le terrain de l’ancienne usine d’assemblage GM, à Boisbriand. Le cinquième projet se trouvait à Saint-Marc-sur-Richelieu.

Boucle énergétique

L’élaboration de la seconde phase du Technopôle Angus a été compliquée par la nécessité de changer le plan d’urbanisme afin d’intégrer un volet résidentiel dans la zone d’emploi.

« C’est la pierre angulaire, qui permet de transformer le secteur en un écoquartier à la fois socialement, écologiquement et économiquement logique », explique l’architecte agréée LEED Céline Mertenat, coresponsable du développement durable à l’agence Provencher_Roy, qui a participé au projet.

« L’ajout de logements permet de générer de l’argent pour développer le site à 100 %. Il sert à financer le stationnement souterrain et à transformer les espaces extérieurs en un véritable réseau d’espaces publics avec des parcs, des rues partagées, de grands trottoirs. »

— Céline Mertenat

Autre avantage : le mélange d’immeubles avec une diversité d’usages (emplois, logements, commerces, restaurants) favorisera la mise en place d’une boucle énergétique innovatrice, où les surplus des uns répondront aux besoins des autres, selon le moment de la journée.

Dès le départ, Christian Yaccarini a été clair : il voulait faire le meilleur projet possible en matière de développement durable. Il a mis de côté la grille de points LEED pour susciter une véritable réflexion et innover.

« On avait une calculatrice pour que ce soit soutenable financièrement, précise le président et chef de la direction de la Société de développement Angus. Et au bout du compte, on a obtenu une certification LEED-AQ v4 Platine. Je suis fier, parce que c’est la réflexion qui nous a guidés. Ces 15 mois de travail avec des professionnels ont été très stimulants intellectuellement. On s’est cassé la tête pour trouver des solutions avec des technologies qui ne coûtent pas les yeux de la tête. »

Il s’est aussi creusé les méninges pour que les 130 condos destinés majoritairement à des familles, dans le premier immeuble résidentiel, soient le plus abordables possible tout en demeurant attrayants. « On n’essaie pas de concurrencer la banlieue, mais cela prend une deuxième salle de bains », dit-il.

Saint-Laurent en vert

La planification de l’écoquartier Cité Midtown, de son côté, suit son cours dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Visant une certification LEED-AQ v4, ce quartier devrait prendre forme sur le terrain de l’ancienne usine Honeywell, à l’intersection du boulevard Marcel-Laurin et d’une voie ferrée, près de l’autoroute Métropolitaine. Un de ses atouts : la proximité de la station de métro Du Collège.

« Le terrain est vraiment intéressant et il est assez grand pour créer un environnement confortable pour les piétons avec des espaces publics, un grand parc et une rue partagée », indique l’urbaniste agréée LEED-AQ Nadia Richer, chargée de projet chez Fahey et associés. L’agence a entrepris la réflexion avec un premier promoteur, Kilmer Brownfield Equity Fund, et la poursuit avec Urban Capital, qui a pris la relève et entend mener à bien le projet.

Pour cette entreprise établie à Toronto, qui est active partout au pays et a déjà construit un immeuble en copropriété à Montréal, il s’agit d’une première occasion de réaliser un quartier visant une certification LEED-AQ. C’est un défi qu’a le goût de relever David Wex, cofondateur de la société, qui connaît bien Montréal et a engagé des professionnels montréalais (Neuf Architectes, Fahey et Associés, Projet Paysage).

« On pense en fonction de la communauté plutôt que des individus, dit-il. On ne s’occupe pas juste des bâtiments, mais du quartier en entier. Le paysage, qui sera aussi comestible, sera primordial pour créer une oasis et favoriser les rencontres. »

Coup d’œil sur quatre écoquartiers

Technopôle Angus (phase 2)

Le plan d’aménagement de la seconde phase du Technopôle Angus a obtenu la certification LEED-AQ v4 niveau Platine. Quatre bâtiments résidentiels de six étages, avec des logements majoritairement abordables et sociaux, trois immeubles de quatre étages destinés à l’emploi et une école primaire devraient être construits. Cité Angus, qui compte 120 condos, sera le premier immeuble résidentiel à voir le jour (livraison prévue en 2020). Les travaux d’infrastructures commenceront cet automne. Deux places publiques et une rue piétonne seront d’abord réalisées.

Cité Midtown

Le plan d’aménagement de Cité Midtown, dans l’arrondissement de Saint-Laurent, vise une certification LEED-AQ v4 niveau Argent. Sont prévus : quatre bâtiments résidentiels de 8 à 10 étages, abritant 650 condos, ainsi que 90 maisons en rangée et des commerces, pour rendre l’endroit plus agréable pour les piétons. À trois endroits rassembleurs, arbres fruitiers, fines herbes et plantes comestibles se côtoieront. La station de métro Du Collège est à proximité. Le mégaprojet commercial Royalmount se déploiera au sud. Le bureau de vente ouvrira le 10 novembre.

Site Outremont et ses abords/Campus MIL

La Ville de Montréal et l’Université de Montréal aménagent conjointement le Site Outremont et ses abords/Campus MIL. Le plan d’aménagement d’une grande partie du quartier est certifié LEED-AQ niveau Or. L’Université de Montréal supervise la réalisation du campus tandis que la Ville se charge des infrastructures, des voies de circulation, de l’aménagement de lieux publics et de la construction de logements. Environ 1300 logements sont prévus (15 % abordables, 15 % sociocommunautaires). La construction de la première coopérative d’habitation devrait commencer en 2019.

Pointe-Nord

Le plan d’aménagement du quartier Pointe-Nord à L’Île-des-Sœurs a obtenu la certification LEED-AQ niveau Or en 2010. D’ici 2020, une fois Evolo X et Myx Condos érigés, 1400 des 2000 logements prévus auront été construits. À noter : la très grande majorité des immeubles visent ou ont obtenu la certification LEED. Déjà, la communauté riveraine a accès à des commerces, à un vaste parc au bord du fleuve et à une piste cyclable. La future gare du REM sera un atout de plus.

Pointe-Nord

Pointe-Nord
Un milieu de vie pour piétons

Louis-Joseph Papineau récolte ce qu’il a semé. Il habite à L’Île-des-Sœurs, dans Pointe-Nord, un quartier dynamique conçu en pensant aux piétons, qu’il a contribué à créer de toutes pièces.

L’ingénieur agréé LEED fait partie de l’équipe qui a cherché à ce que le secteur soit à la fine pointe du développement urbain et de l’architecture verte, il y a une dizaine d’années. Le plan d’aménagement du quartier a obtenu la certification LEED-AQ (Leadership in Energy and Environmental Design-Aménagement de quartier), de niveau Or, en octobre 2010.

« C’était comme un retour aux sources, en créant une communauté pour les piétons, comme avant l’invention des voitures, indique le vice-président, développement et construction, à la Corporation Proment. On avait tous les ingrédients pour faire un quartier vert. Un employeur important, Bell, venait de s’installer. On construisait déjà des tours d’habitation certifiées LEED, d’une grande efficacité énergétique, dans la portion sud de L’Île-des-Sœurs. On a voulu aller plus loin pour promouvoir un milieu de vie agréable et durable. »

Depuis, fait-il remarquer, le promoteur a gardé le cap sur les objectifs fixés au départ : un aménagement dense, des bâtiments à haute efficacité énergétique certifiés LEED ou Novoclimat, la présence de commerces et de restaurants au rez-de-chaussée de la plupart des immeubles, la réduction des îlots de chaleur, la gestion des déchets, l’aménagement d’un parc et d’une piste cyclable le long du fleuve, etc.

« C’est intéressant d’être si proche du centre-ville et connecté avec le fleuve, dit-il. Je ne me sens pas en banlieue. On a apporté une touche d’urbanité. Et il y a une vie de quartier. Je rencontre toujours du monde que je connais. C’est vraiment agréable. »

Un endroit propice à la marche

Certains éléments font en sorte qu’il est plaisant de marcher, fait-il remarquer. « Le gabarit de certains immeubles, comme les maisons en rangée, est à échelle humaine, ajoutant au bien-être, note-t-il. Il y a rarement de grands murs aveugles. Des commerces bordent les rues. Les habitations sont belles, il y a une certaine cohérence architecturale. Il y a peu de stationnement en surface. Celui du [complexe] Myx sera couvert par un toit vert pour éviter les îlots de chaleur. On pense ainsi au réchauffement climatique et à la vue que les résidants auront d’en haut. Un toit vert est plus beau à voir qu’une mer d’asphalte. C’est un investissement qui vaut la peine. Mais c’est le genre de décision qu’un promoteur doit prendre dès le départ. »

Ayant grandi à Laval près de la rivière des Prairies, M. Papineau ressent le besoin d’être connecté à la nature, au fleuve. Au cours des 36 dernières années, il a résidé dans plusieurs des complexes de la Corporation Proment, à L’Île-des-Sœurs. En 2013, il a fait le saut dans Pointe-Nord. Après avoir habité dans une maison en rangée, il attend que la tour Evolo X soit construite pour y emménager. Celle-ci, en chantier, deviendra la plus haute dans l’île avec ses 36 étages.

« Je serai au 21e étage, face à la ville, dit-il. Ce sera magique le soir. »

La venue d’une future gare du REM apporte certains changements. « Cela nous a forcés à repenser les dernières portions de notre plan, révèle M. Papineau. Avant, nous étions un POD, un Pedestrian-Oriented Development, avec la proximité de commerces et de lieux de travail. On va devenir un TOD, un Transit-Oriented Development ! »

Des quartiers verts en banlieue

Les règles ont changé à Brossard. La venue de trois gares du Réseau électrique métropolitain (REM) et le nouveau pont Champlain n’y sont pas étrangers. Désirant faire un virage vert, la municipalité s’est dotée d’un outil pour mieux encadrer l’impact environnemental des nouveaux projets immobiliers.

Le Système d’évaluation en développement durable (SEDD) est né de la volonté des élus de pouvoir juger de la qualité environnementale des projets qui leur sont soumis, explique Marianne Desfossés, chargée de projet en urbanisme à la Ville de Brossard.

« Ils avaient besoin de références pour pouvoir évaluer les projets et se prononcer, explique-t-elle. On voulait s’inspirer du système LEED-AQ pour l’aménagement des quartiers, mais il n’est pas adapté à notre contexte. »

La Direction de l’urbanisme de la municipalité a donc travaillé avec l’équipe de planification urbaine de l’agence Lemay pour mettre au point un système d’évaluation inédit. « Le fait que plusieurs critères du système LEED-AQ sont difficiles à atteindre en banlieue n’est pas une excuse pour ne pas y intégrer des éléments de développement durable », indique l’urbaniste Marie-Claude Aubin, directrice de la planification urbaine chez Lemay.

Le SEDD s’inspire donc du système LEED-AQ, mais il a été adapté pour mettre en place de bonnes pratiques de développement durable à l’échelle de la banlieue.

« La question du stationnement est un élément majeur. Il est fortement ancré dans les mentalités. Cela n’a rien de stérile de s’en préoccuper. Cela ne rapporte pas de taxes, génère des îlots de chaleur. Un stationnement extérieur ne donne donc pas de points. »

— Marie-Claude Aubin, urbaniste

« Un stationnement intérieur en donnera, tout comme le fait de ne pas juste penser au transport en voiture. La Ville a ciblé ses interventions et laisse de la place aux promoteurs pour présenter des propositions innovantes. »

Certains éléments contribuent à alléger la charge pour la municipalité, fait remarquer Éric Boutet, directeur de l’urbanisme à Brossard. Des mesures, par exemple, permettent de diminuer la pression sur les systèmes d’égout et d’eau, ou réduisent la consommation d’eau potable.

Mark Hutchinson, vice-président des programmes de certification de bâtiments au Conseil du bâtiment durable du Canada, ne s’indigne pas de voir que le système LEED-AQ a été remplacé par un autre, adapté à la réalité de la banlieue.

« Je ne suis pas contre, assure-t-il. À la manière d’un Code du bâtiment, le SEDD établit un seuil de performance minimum pour le développement d’un quartier. C’est le rôle, la responsabilité d’une ville, d’un gouvernement. C’est intéressant. »

Solar Uniquartier

Le mégaprojet Solar Uniquartier, piloté par Devimco, a dû se conformer au SEDD pour aller de l’avant. Il se trouve en effet dans l’une des deux aires TOD (Transit-Oriented Development) ciblées par la municipalité, appelées à se structurer autour des transports collectifs.

Le promoteur a lui aussi voulu sortir de son cadre habituel, en faisant notamment appel à la créativité d’étudiants à la maîtrise à l’École de technologie supérieure (ETS), révèle Marc Melançon, vice-président construction chez Devimco.

« On a cherché des idées de développement durable qui ont un impact environnemental et fonctionnent au point de vue économique, dit l’ingénieur agréé LEED, qui a lui-même étudié à l’ETS. On a cherché un équilibre. »

Il s’agit, pour Devimco, du premier projet où il accorde une aussi grande importance au volet environnemental, précise M. Melançon.

« C’est majeur, poursuit-il. On n’avait pas vraiment le choix. La Ville l’exige, ainsi que l’un de nos partenaires financiers, Fondaction de la CSN. C’est dans sa mission. »

Sur une possibilité de 126 crédits proposés dans le cadre du SEDD, le promoteur pouvait choisir ceux qu’il désirait atteindre. La seule condition : obtenir au moins 60 % d’entre eux.

Devimco a donc récolté des points, entre autres, pour la densité de son aménagement, l’inclusion de commerces au rez-de-chaussée, l’engagement que 25 % des bâtiments visent la certification LEED, l’utilisation de matériaux recyclés, l’installation de bornes de recharge électrique, la grande intégration de cases de stationnement souterrain, la gestion des déchets de construction, une irrigation sensée, la plantation d’arbres entre la rue et le trottoir, l’aménagement d’un parc central, la présence d’un marché local et la promotion de l’utilisation du vélo. Le promoteur veut aussi innover en mettant en place une boucle énergétique.

« Dans un monde compétitif, le SEDD met tout le monde sur un pied d’égalité, estime Marc Melançon. Il permet de rehausser la qualité des projets. »

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