Stratégies

Des pas de géant pour Avril

Avril, c’est l’histoire assez improbable du passe-temps d’un couple de Granby qui s’est transformé en chaîne de supermarchés. Et qui a réussi en deux décennies à devenir l’un des acteurs majeurs dans la vente de produits biologiques et naturels au Québec, même si sa notoriété demeure faible dans l’île de Montréal.

La croissance a été particulièrement vigoureuse depuis quatre ans ; le nombre de succursales a doublé, de quatre à huit, avec des ouvertures coup sur coup à Lévis (2015), Québec (2016), Sherbrooke (2017) et Laval, hier. À cela s’ajoute la construction ces derniers mois d’un centre de distribution à Granby assez vaste pour approvisionner deux fois plus de succursales.

Au total, ce sont plus de 30 millions qu’ont investis les cofondateurs et copropriétaires Sylvie Senay et Rolland Tanguay dans ces projets avec l’appui de la Banque Nationale. Le couple timide et posé, rencontré à Laval quelques heures avant l’inauguration « de la plus grande épicerie bio de la province », semble ébahi par l’envergure de son entreprise. Il admet n’avoir jamais imaginé une telle expansion. Mais il s’en réjouit, car elle facilite le recrutement d’employés compétents pour des postes clés, note M. Tanguay.

Qu’est-ce qui explique une telle accélération ces dernières années ? « Au début, on créait la demande. Et là, on est arrivés à un point de bascule. La demande est en avant de nous. On ouvre un magasin et c’est plein », raconte M. Tanguay, qui était entrepreneur en construction lorsque sa conjointe a ouvert le premier Avril pendant une sabbatique comme passe-temps. Comme le succès était au rendez-vous, elle n’est pas retournée dans le secteur bancaire, et après deux ans, l’entreprise de construction a été vendue.

Pourtant, au milieu des années 90, le bio était loin d’être à la mode. S’approvisionner en fruits et légumes était même un défi de taille. « Au départ, on vendait très peu de frais, raconte Sylvie Senay. On avait à peu près juste des carottes ! »

À l’époque, les clients utilisaient d’ailleurs de petits paniers pour y déposer « trois ou quatre affaires », illustre-t-elle. Au fil des ans, les paniers ont grandi en même temps que l’offre de produits bios et Avril. Aujourd’hui, on peut y faire toute son épicerie dans de grandes surfaces offrant toutes les catégories de produits, y compris la viande et le vin.

Brocoli à 99 cents

« On est l’épicerie qui achète le plus de produits bios au Québec », souligne M. Tanguay. Résultat, les prix sont alléchants, jure sa partenaire en affaires comme dans la vie.

D’ailleurs, Sylvie Senay confie être « tannée d’entendre dire que le bio, c’est cher ».

« Ceux qui disent ça ne sont jamais venus chez Avril. Du brocoli à 99 cents, on en a souvent. Notre acheteur fait des efforts extraordinaires pour obtenir des prix planchers. »

— Sylvie Senay

« Depuis quatre ou cinq ans, les prix du bio ont beaucoup baissé. C’est sûr que dans les petites surfaces, c’est cher, mais nous, on a du volume, et notre but, c’est de démocratiser le bio, de rendre ça accessible au plus grand nombre. »

Selon l’entrepreneure, acheter chez Avril, c’est aussi favoriser la santé économique de la province. « On est une entreprise 100 % québécoise. Bien des gens pensent encore que c’est américain. L’argent dépensé chez nous reste au Québec. C’est important quand on prend une décision comme consommateur. »

Elle vante aussi le service à la clientèle, en rappelant qu’Avril a obtenu le titre d’épicerie préférée des Québécois dans une enquête réalisée par le magazine Protégez-vous en 2016 auprès de milliers de consommateurs, dépassant ainsi Costco et IGA Extra.

Bientôt une cuisine centrale

Après quatre années qu’on devine essoufflantes, le couple de sexagénaires ralentira très légèrement la cadence des ouvertures de magasin, car la prochaine est prévue dans… deux ans ! Quelques emplacements sont étudiés, mais aucun à Montréal. Avril cherche depuis longtemps à s’établir dans l’île. Or, l’adresse idéale n’a pas encore été trouvée…

En attendant, un important projet débutera en septembre à Granby : la construction d’une cuisine centrale dans le nouveau centre de distribution. On y fabriquera les mets préparés vendus dans les succursales, afin d’uniformiser le goût des recettes et surtout de faciliter la tâche des employés attitrés dans les bistros.

Ces bistros, qui ne génèrent pas des marges de profit faramineuses, ont néanmoins un rôle stratégique important. « Ça crée une ambiance, une atmosphère, explique Mme Senay. Il y a du monde dans le stationnement, et le monde, ça attire le monde. »

Le duo prépare aussi la relève « malheureusement » pas familiale. Une équipe de gestionnaires est formée et on envisage de constituer un conseil d’administration.

Avril suscite évidemment de l’intérêt et ses propriétaires ne cachent pas qu’ils ont reçu un certain nombre d’offres d’achat. Mais ils disent ne pas s’en soucier, ne pas parler aux acheteurs potentiels, même. « On ne veut pas avoir ça dans la tête », résume M. Tanguay, qui préfère se concentrer sur ses nombreux projets avec sa femme des 20 dernières années.

Avril en bref

Fondation : 1995

Siège social : Granby

Principaux actionnaires : Sylvie Senay et son conjoint Rolland Tanguay

Employés : 1000, dont 81 au siège social et 53 au centre de distribution

Succursales : 8 (Granby, Magog, Longueuil, Brossard, Québec, Lévis, Sherbrooke, Laval)

Superficie moyenne : 20 000 pi2 (44 000 pi2 à Laval)

Centre de distribution : 1 (120 000 pi2)

Site transactionnel  : 100 000 visiteurs par mois

Forces

• Service à la clientèle de haut niveau reconnu par des prix et lors d’enquêtes auprès des consommateurs

• Bien en selle pour profiter de la croissance de la demande des consommateurs pour les aliments biologiques, évaluée à 10 % par année par le MAPAQ

• Pouvoir d’achat important permettant d’offrir des prix de détail compétitifs

Faiblesses

• Faible notoriété dans la région de Montréal

• Pas encore présent dans toutes les régions du Québec ni dans l’île de Montréal

• Petit acteur dans un milieu dominé par des géants aux ressources financières gigantesques

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