Phénomène

Bollywood à Montréal

Scènes exotiques de danse sous la pluie. Saris éclatants et bijoux dorés. Héros moustachus qui courtisent des créatures de rêve. Chorégraphies enlevantes. Aussi populaire qu’éclectique, le cinéma de Bollywood attire chaque semaine en salle des centaines de cinéphiles montréalais. La Presse a cherché à connaître le public qui affectionne ce genre et à comprendre pourquoi le cinéma de Bombay a conquis la planète.

Ces jours-ci, au Cineplex Forum, les fans de cinéma indien ont le choix entre Jagga Jasoos, exubérante comédie musicale de presque trois heures en hindi avec sous-titres anglais, Mom, un thriller en hindi (également sous-titré), Channa Mereya, une romance en punjabi, et The Big Sick, comédie hybride entre Hollywood et Bollywood. 

Si l’ancien Forum est plutôt désert en ce lundi soir de juillet, c’est simplement parce que c’est la semaine des examens de mi-session, explique Dhawal Khakhar, employé de 26 ans d’un dépanneur de la rue De Bleury, à Montréal.

« Tous mes amis adorent les films de Bollywood ! En Inde, les films sortent en salle les vendredis et nous pouvons les voir quelques semaines plus tard, au Cineplex Forum. Ce sont les têtes d’affiche qui motivent nos choix. » 

Deepika Padukone, Priyanka Chopra, Salman Khan… Tous ces noms ravissent les oreilles des amoureux de Bollywood, comme Véronic Morin. 

« Dans le Bollywood, il y a toujours une histoire d’amour semée d’obstacles comme un conflit familial, de religions ou de castes », évoque Véronic, alias « Véro Bollywood », qui enseigne la danse bollywoodienne à des aspirantes déesses montréalaises de tous les âges qui veulent imiter les mouvements gracieux de Deepika, Priyanka et les autres. 

Véronic Morin est tombée dans la potion bollywoodienne alors qu’elle étudiait la danse classique indienne à Toronto. « C’était l’époque de Slumdog Millionaire », évoque celle qui a eu un gros coup de cœur, cette année, pour Bajirao Mastani, romance historique signée Sanjay Leela Bhansali, qui a récolté 54 millions US au box-office. 

Quand Bollywood passe à l’Ouest 

« Les films de Bollywood sont populaires, parce qu’ils sont fun à regarder ! », concède Dipti Gupta, qui donne à l’Université Concordia un cours sur le cinéma de Bollywood.

« En moins d’un an, le nombre d’étudiants inscrits à mon cours est passé de 65 à 90. Les étudiants ont la perception que ce sera un cours facile, parce que les films indiens sont associés aux chansons, à la danse. Mais s’il est vrai que les films faits à Bombay sont des fantaisies fabuleuses et des mélanges d’absolument tout, il est aussi intéressant de s’attarder à la représentation de genres, à la construction de la féminité et de la masculinité et à la misogynie de ces films », explique Dipti Gupta. 

Elle invite aussi ses étudiants à analyser la vision du mariage, de la maternité, des relations mère-fils et des références mythologiques véhiculées dans les productions bollywoodiennes. Directrice d’un festival annuel consacré au cinéma indien, Dipti Gupta a d’ailleurs réalisé (avec Adam Singh) en 2013 un documentaire sur les 100 ans de Bollywood.

Ne boudant pas son plaisir, Mme Gupta s’offre parfois une soirée de film indien au Cineplex Forum. Dans l’obscurité de la salle, elle repère plusieurs membres de la diaspora montréalaise, des gens qui ont immigré dans les années 60 et 70, et garde une part de nostalgie pour le pays laissé derrière. Mais bien que les spectateurs sud-asiatiques composent la majorité du public de Bollywood, ces films attirent aussi une diversité de spectateurs. 

« Je croise souvent plusieurs Blancs québécois et quelques Noirs. Et je connais plusieurs personnes de la communauté arabe qui adorent ces films », précise Dipti Gupta. 

Porte ouverte sur l’inconscient collectif indien, le cinéma de l’Inde (celui de Bombay, comme celui de Calcutta et de Delhi) permet de comprendre les tensions culturelles qui existent dans ce pays, souligne Dipti Gupta. 

« À travers plusieurs voies comme l’espoir, la peur, la fierté, le glamour, on a accès aux aspirations contemporaines de la société. Ce qui m’intéresse, c’est de voir comment les spectateurs engagent le dialogue avec ce qui est démontré sur ces écrans. » 

Distribution mondiale

Et plus que jamais, les cinéphiles sont au rendez-vous dans les salles qui diffusent du Bollywood, confirme Manmord Sidhu, directeur des studios White Hill, qui distribuent partout dans le monde des films en langues hindi et punjabi. 

« La qualité des productions s’est améliorée, si bien que les studios arrivent facilement à faire rayonner leurs films partout dans le monde, témoigne Manmord Sidhu, en entretien téléphonique, alors qu’il était de passage en Inde. Et il y a Netflix qui a commencé à diffuser des films indiens. »

« À l’heure actuelle, c’est en Amérique du Nord que le cinéma indien attire le plus de spectateurs en dehors de l’Inde. »

— Manmord Sidhu, directeur des studios White Hill

La frontière entre Bollywood et Hollywood est d’ailleurs de plus en plus poreuse, avec comme exemples les plus flagrants les productions Slumdog Millionaire, Lion et The Big Sick

Sony et Fox ont ouvert des studios au pays de Gandhi. Et les stars de Bollywood comme Priyanka Chopra (l’une des vedettes du récent Baywatch) font des percées sur les écrans américains. 

Pendant ce temps, le grand public réclame lui aussi sa juste part de la plus grosse industrie cinématographique au monde, qui chaque année donne vie à plus de 1000 productions. C’est ce qu’ont démontré les colorés foulards et tuniques des danseurs bollywoodiens, qui ont pris l’air de Montréal ces derniers jours dans le grand « flashmob » MoW du chorégraphe Roger Sinha.

Explosif, irréaliste, un peu fou, exubérant, Bollywood ne regarde pas à la dépense et le public lui rend sa générosité. « Je pense qu’on peut dire que le genre vit un âge d’or », conclut Manmord Sidhu. 

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