Chronique

Lynchage et réseaux sociaux

En anglais, on appelle ce genre de phénomène « mobbing », mal traduit par les expressions françaises « persécution collective » ou « attaque collective ».

Le mobbing, c’est ce qui arrive quand un groupe s’en prend à un individu, quand les membres de ce regroupement croient perdre leur responsabilité pour se fondre dans un geste de masse.

Je tape, tu tapes, mais surtout, nous tapons tous ensemble, comme si le « nous » retirait au « je » toute imputabilité le temps de cette charge.

Le mobbing, c’est une variante du lynchage et ce phénomène, on le voit régulièrement sur les réseaux sociaux.

Ce sont des mouvements de masse imprévisibles, souvent sortis un peu de nulle part. Une personne écrit quelque chose et puis une autre répond, ou critique. Et puis d’autres s’en mêlent. On dénonce encore un peu plus, on fait du sarcasme. Et là où pourrait avoir lieu un échange intelligent, juste normal, d’arguments sur un sujet quelconque, apparaît plutôt une chaîne délirante de propos en escalade où la mesquinerie prend le pas sur tout. C’est à qui aura le commentaire le plus piquant, qui se fera le plus remarquer, sans égard à la raison du lancement – un tweet ou un statut Facebook, par exemple – de la déferlante.

Que les railleries montrent encore bien plus de manque de sensibilité ou d’intelligence ou d’à-propos ou de véracité que le point de départ du mouvement n’a aucune importance aux yeux des participants à la vague.

L’attaque collective roule et roule toujours, sans regarder en arrière, sans la moindre considération pour ses victimes.

Ça m’est arrivé cette semaine. Un tweet qui se voulait généreux à l’égard des réfugiés m’a été rejeté au visage comme insensible. J’ai eu beau clarifier mes intentions, rien n’y fit. Une vaste machine carburant à beaucoup de mesquinerie et de mauvaise foi était en marche, heureusement ralentie par des lecteurs ayant vu mes intentions bienveillantes à travers mon propos et apportant leur solidarité.

Je ne suis pas la première à qui ça arrive. C’est un des fléaux pénibles des réseaux sociaux.

« Au début, on voit quelques commentaires et on se dit que c’est normal qu’il y en ait qui veuillent exprimer un désaccord. Mais quand les gens continuent de taper sur le gars qui est déjà à terre et qu’on est rendu au dix-huitième ou au trentième commentaire, c’est là qu’on le voit clairement : on est rendu dans le lynchage », explique mon collègue de La Presse Patrick Lagacé, qui a goûté à ce genre de traitement.

« Les gens se servent de Twitter pour se sortir de la masse. Ce qui se déclenche, ce ne sont pas des discussions, ce sont des attaques, et des attaques personnelles », ajoute la chroniqueuse Thérèse Parisien, du 98,5 FM, qui s’est retrouvée elle aussi dans la ligne de mire d’internautes agressifs. « On finit par mettre ça derrière soi, mais c’est toujours blessant, surtout si ce qui a déclenché le mouvement contre soi n'était, lui, aucunement mal intentionné. »

« C’est une méchanceté froide déstabilisante », ajoute la chroniqueuse du Journal de Montréal Lise Ravary. « Tu te dis que tu te fais une carapace, mais ça nous affecte toujours dans le fin fond du fond. Il faudrait être fait de granit pour que ça ne nous dérange pas. »

Les gens qui attaquent ne forment pas un groupe homogène, explique-t-elle. Il y a une part de jalousie, une part d’incompréhension et de bêtise, il y a pour beaucoup de ces commentateurs du dimanche le simple désir d’être entendus, de se faire remarquer à travers l’attaque. Les remarques valides et pertinentes d’internautes de bonne foi se perdent dans le reste et dans la masse ne subsiste qu’un relent général agressif. « C’est parfois plutôt douloureux. Mais ça ne m’empêche pas de continuer à écrire, de continuer à me remettre les pieds dans les plats », ajoute Lise Savary en riant.

Comment passer par-dessus ?

« Moi, je prends congé des réseaux sociaux pendant un moment. Et quand je reviens, je ne regarde pas en arrière », explique Patrick Lagacé. La vie continue.

L’animateur de 98,5 FM Paul Houde, lui, a décidé de se retirer de Twitter. « Il n’y a rien à faire pour raisonner avec ces gens », dit-il. L’animatrice de TVA Julie Bélanger, quant à elle, cette semaine, a pris le taureau par les cornes et a décidé de parler à ses détracteurs. « Des commentaires blessants, j’en reçois tout le temps. On me parle de ma bouche, de mon rire, de qui je suis. Comme si je pouvais le changer. Ma réaction d’habitude, c’est de me dire que ça fait partie du métier et de passer par-dessus. Mais là, j’ai décidé que j’étais tannée d’être gentille », explique-t-elle en entrevue.

Un matin cette semaine, elle s’est donc installée devant son ordi et a écrit un statut Facebook où elle parle de ses défauts, affirme qu’elle les assume et conclut ainsi : « Alors voilà un peu le portrait. Si y’a qqchose qui te déplaît, te dérange de moi, c’est ben correct. Mais t’as pas besoin de m’écrire pour me le dire, je sais très bien qui je suis, merci. Et je te souhaite surtout d’apprendre à t’aimer aussi. Tu vas voir, la vie est pas mal plus cool. »

Résultat ? Elle a été inondée de messages d’appui.

Au point où, selon l’animatrice, ceci indique peut-être qu’on est rendus à un point tournant de révolte contre l’amertume des internautes. Comme si on avait été trop longtemps impressionnés, intimidés par les « bullys » du web et que collectivement, une nouvelle liberté et une nouvelle force pour rétorquer aux pisse-vinaigre étaient en train de prendre forme.

On se le souhaite.

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