Ça n’arrivera pas en 2020

Des écoles privées gratuites partout

Après avoir lu bien des trucs sur ce qui arrivera en 2020, voici notre série de cinq idées – radicales aux yeux de certains – qui ne se concrétiseront pas… du moins, pas cette année. Mais il peut être bon d’en débattre.

L’idée

Permettre aux parents d’envoyer leurs enfants gratuitement à l’école secondaire de leur choix, publique ou privée, ce qui coûterait 375 millions au gouvernement.

La situation actuelle

Les parents doivent obligatoirement inscrire leurs enfants à l’école secondaire du quartier, sauf exception, à moins de choisir une école privée, à 4000 $ par année. Environ 84 000 élèves fréquentent le privé au secondaire au Québec, soit 21 % des élèves.

Le débat

Faisons table rase, voulez-vous. Et imaginons un système où toutes les écoles secondaires du Québec seraient gratuites, qu’elles soient privées ou publiques.

Après tout, en Ontario, l’essentiel des écoles sont gratuites et le réseau fonctionne bien. Et avec nos surplus budgétaires, la gratuité n’est plus hors de portée.

De fait, il en coûterait 375 millions par année au gouvernement du Québec pour rendre gratuites les écoles privées subventionnées du secondaire, selon l’économiste Pierre-Emmanuel Paradis, de la firme Appeco. La somme est importante, mais le surplus du Québec a atteint 1,4 milliard en 2019-2020*.

On pourrait étatiser les écoles privées, mais je préfère l’inverse, c’est-à-dire laisser aux écoles privées leur pleine autonomie, sachant que plusieurs gèrent très bien leurs ressources depuis des décennies.

Les parents pourraient envoyer leurs enfants à l’école de leur choix, et non obligatoirement à l’école de quartier. Les frais de transport seraient à la charge des parents, sauf pour les moins nantis (par un système de déduction fiscale ou autre).

Cette combinaison gratuité et libre choix provoquerait une transformation majeure. Selon plusieurs économistes, elle forcerait notamment les écoles publiques de quartier à améliorer la qualité ou la diversité de leurs services pour maintenir leur clientèle. Ou encore, elle en pousserait certaines à se spécialiser.

Aux États-Unis, des études ont démontré qu’une telle concurrence accrue a amélioré les écoles des secteurs défavorisés, mais n’a eu guère d’impact sur les écoles de quartiers mieux nantis, selon l’économiste Michel Poitevin, de l’Université de Montréal.

Évidemment, pour que les directions d’écoles publiques puissent librement améliorer la qualité, il leur faudrait avoir les coudées franches. Actuellement, les conventions collectives restreignent sérieusement les établissements dans le choix des enseignants, entre autres. C’est le principe d’ancienneté appliqué à toute la commission scolaire qui prévaut.

De plus, il leur est impossible de récompenser les meilleurs enseignants et très difficile de remercier les moins bons, ce qui a des effets sur la motivation du personnel et les services aux élèves. Et oubliez le versement de meilleurs salaires ou d’autres avantages aux enseignants performants.

Compte tenu de ces rigidités, entre autres, une telle réforme paraît difficilement réalisable. Elle permet néanmoins de réfléchir sur ses avantages et ses inconvénients.

La première question qui se pose, une fois le principe établi, c’est comment gérer le libre choix des parents ? Le mode de sélection pourrait ressembler à celui des cégeps, avec des choix de premier et de deuxième tour. Par exemple, les parents devraient faire trois choix d’écoles, avec obligatoirement un choix d’une école traditionnelle (publique) située près de leur quartier.

On imagine bien que les écoles privées réputées, pensons aux collèges Jean-de-Brébeuf ou Regina Assumpta, verraient bondir les demandes d’admission, puisque la gratuité ouvrirait l’accès aux moins fortunés dont les enfants réussissent bien.

Actuellement, 10 % des écoles privées subventionnées effectuent une sélection sur la base des résultats scolaires ou de tests, selon la Fédération des écoles privées du Québec. La proportion des élèves touchés par cette sélection, compte tenu de la taille de ces écoles, est probablement plus proche de 15-20 %, mais tout de même, cette part n’est pas majoritaire, contrairement à la croyance répandue.

Avec l’afflux de nouvelles demandes, peut-être que d’autres écoles devraient réintroduire la sélection. On pourrait aussi imaginer un double mode d’admission, dit l’économiste Catherine Haeck, de l’UQAM.

Ainsi, dans toutes les écoles, une partie des élèves serait sélectionnée avec des tests et une autre, avec une loterie (pour tous les élèves qui n’ont pas été choisis ou encore pour tous ceux qui ont plus de 65 % aux tests). Le double mode d’admission pourrait être imposé par le gouvernement, question d’avoir une meilleure mixité intellectuelle et sociale. Le système permettrait de conserver des écoles avec des élèves plus forts, soumis à des programmes plus exigeants.

Au cours des premières années, les écoles privées n’auraient guère plus d’élèves, étant donné leur capacité d’accueil limitée. Par la suite, elles pourraient agrandir et en accueillir davantage, en supposant, bien sûr, qu’elles veuillent le faire et que, par ailleurs, des écoles publiques traditionnelles n’aient pas réussi à les rattraper dans la faveur populaire entre-temps.

Oui, mais qu’arriverait-il aux élèves refusés ? Ils seraient placés dans les écoles de leur deuxième ou troisième choix et probablement dans les écoles de quartier, comme c’est le cas actuellement (ou une école publique réputée d’un autre quartier).

Au bout du compte, les écoles qui accueilleraient davantage d’élèves en difficulté, par choix ou par effet de ces tours, recevraient un financement plus grand de l’État.

Une telle réforme aurait plusieurs avantages. Elle donnerait un accès équitable aux écoles indépendamment du revenu des parents et de leur code postal, favoriserait la mixité sociale et dynamiserait les écoles publiques.

Elle aurait aussi bien des inconvénients. Outre la complexité de la répartition des élèves, il y a le risque d’écrémage accru entre les forts et les faibles, selon le mode d’admission choisi.

À cela s’ajoute, bien sûr, le fait que la gratuité profiterait davantage aux parents qui envoient actuellement leurs enfants au privé, souvent mieux nantis, fait valoir l’économiste Pierre Lefebvre, de l’UQAM. Il s’agit tout de même d’une facture de 375 millions par année (4400 $ en moyenne par élève, essentiellement assumée par les parents actuellement). Le professeur juge qu’il serait préférable de consacrer cet argent à l’amélioration des écoles moins performantes.

Le professeur en éducation Guy Pelletier, de l’Université de Sherbrooke, note que la participation des parents à la gestion des établissements est bien moins grande au privé qu’au public. De plus, le privé est moins transparent, notamment quant aux salaires de la direction.

Bref, des plus, des moins et bien des interrogations, mais l’idée est lancée.

* Quelques rares écoles sont totalement privées et non subventionnées, mais elles ne seraient pas visées par une telle réforme.

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