Décryptage

La douteuse théorie de la mise en scène

Le 4 avril 2017, quand une attaque au gaz sarin a fait plus de 80 morts dans la petite ville syrienne de Khan Cheikhoun, le régime de Bachar al-Assad et son allié russe ont commencé par nier son authenticité. Avant de soutenir que l’aviation syrienne avait frappé un entrepôt de gaz toxiques appartenant aux rebelles syriens, et que c’était donc par leur faute que des dizaines de civils avaient été tués, ce jour-là.

Six mois plus tard, les enquêteurs de l’ONU et de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) concluaient que « le gaz sarin a été le résultat d’une bombe larguée par un avion ». Or, aucune des organisations d’insurgés anti-Assad ne possède de moyens aériens. C’est donc bel et bien le régime syrien qui a réalisé l’attaque, ont tranché les enquêteurs. Conclusions qui ont été immédiatement rejetées par Moscou et Damas.

Un an presque jour pour jour après l’attaque de Khan Cheikhoun, des images de civils asphyxiés ont documenté ce qui apparaît comme une nouvelle attaque chimique, prenant cette fois pour cible la ville de Douma, près de la capitale syrienne, où s’étaient alors repliés les derniers insurgés de la Ghouta orientale.

Des images captées il y a 10 jours par les secours civils syriens, les fameux « Casques blancs » qui viennent en aide aux blessés dans les zones contrôlées par les rebelles, montrent des cadavres affichant des signes de suffocation, des cylindres que des experts reconnaissent comme des contenants de chlore – gaz potentiellement mortel que le régime syrien a déjà utilisé de nombreuses fois contre ses opposants.

Cette fois, Damas et Moscou crient carrément à la mise en scène. L’évènement de Douma n’a pas eu lieu, prétendent-ils. Ce n’est qu’une mise en scène orchestrée par les Casques blancs pour accuser faussement Bachar al-Assad de gazer ses propres citoyens.

Tant que les inspecteurs de l’OIAC, qui viennent de recevoir le feu vert de Damas pour se rendre à Douma, n’auront pas terminé leur enquête, les détails de l’attaque survenue il y a 10 jours resteront incertains.

Mais dès maintenant, l’hypothèse de la mise en scène paraît hautement improbable.

D’abord, parce que de nombreux témoignages provenant de civils présents sur les lieux de l’attaque évoquent des bombardements aériens traditionnels particulièrement intenses, suivis du largage de gros cylindres jaunes. Un de ces cylindres est tombé sur un immeuble résidentiel où l’on a compté le plus grand nombre de victimes.

Dans un témoignage recueilli par le magazine The New Yorker, un habitant de Douma, Moaed Doumane, évoque les signes de suffocation et l’odeur caractéristique du chlore. Dans une vidéo diffusée par la BBC, une fillette qui a survécu à l’attaque reproduit le sifflement qu’ont émis les gaz s’échappant des cylindres.

Le site d’enquête Bellingcat, qui se spécialise dans l’analyse de données, corrobore ces témoignages. Selon lui, un grand cylindre d’un type ayant déjà été utilisé lors d’attaques au chlore antérieures a été photographié sur le toit de l’immeuble où l’on a compté le plus grand nombre de morts, le 7 avril dernier.

Bellingcat rapporte aussi que deux hélicoptères Mi-8 Hip, qui avaient été utilisés dans le passé lors d’attaques au chlore contre des bastions rebelles, avaient quitté la base aérienne de Doumair en direction de Douma, 30 minutes avant l’attaque.

Quelques jours après cette première analyse, Bellingcat scrute un reportage diffusé par la première chaîne de la télévision russe. Celui-ci prétend montrer les « studios » où auraient été tournées les prétendues fausses scènes de massacre.

En réalité, démontre Bellingcat, il s’agit de photos tirées de la page Facebook du tournage de Revolution Man, film syrien racontant l’histoire d’un journaliste qui entre en Syrie à la recherche de sensations fortes et de gloire. On y voit effectivement de fausses jambes et de faux bras maculés de faux sang. Mais c’était pour les fins d’un vrai film. Pas pour induire la planète en erreur !

Mais pourquoi donc le régime syrien aurait-il utilisé du chlore contre l’ultime poche de résistance de la Ghouta orientale, qui allait forcément finir par tomber ?

Il avait en fait d’excellentes raisons de se livrer à cette attaque, écrit le spécialiste de la Syrie Gilles Dorronsoro dans Le Monde. Car ce faisant, Bachar al-Assad « a envoyé un message à sa propre société et aux Occidentaux ».

Ces derniers se sont retrouvés dans une situation impossible. S’ils laissaient faire les attaques sans réagir, ils se discréditaient. S’ils réagissaient, comme ils l’ont fait samedi dernier, ils ne feraient que souder les liens entre Moscou, Téhéran et Damas. Dans les deux cas de figure, le régime syrien sort politiquement gagnant.

Enfin, si elle se confirme, l’attaque au gaz a quand même précipité la victoire du régime dans une région rebelle aux portes de la capitale. Bachar al-Assad peut dorénavant se targuer d’avoir mis à l’abri les habitants de la capitale, qui essuyaient régulièrement des tirs d’obus des rebelles de la Ghouta.

Dimanche, les médias syriens le montraient entrant triomphalement au palais présidentiel, relate l’ex-émissaire de l’ONU à Damas, Mokhtar Lamani.

Selon ce Montréalais qui a rencontré de hauts dirigeants syriens lors de sa mission, le régime de Bachar al-Assad ne veut pas de solution politique, et est prêt à recourir à tous les moyens, « incluant le mensonge », pour gagner cette guerre militairement.

« Si la présence d’armes chimiques est confirmée à Douma, c’est sûr que le responsable, c’est le régime syrien », tranche-t-il.

Et Moscou dans tout cela ? Il aura fallu 10 jours pour que les inspecteurs de l’OIAC soient autorisés à entrer à Douma. Entre-temps, des enquêteurs russes ont eu le temps d’aller inspecter les lieux. Les experts n’excluent pas qu’ils aient pu effacer les preuves de l’éventuelle attaque au chlore…

La Russie, qui s’était engagée, en 2013, à chapeauter l’opération de retrait de toutes les armes chimiques du territoire syrien, a de bonnes raisons de présenter les images du 7 avril comme une mascarade. Elle ne veut pas montrer à quel point elle a manqué à ses engagements, souligne Mokhtar Lamani.

Mais même si tous les indices pointent vers une attaque réelle attribuable au régime syrien, cela ne signifie pas que les frappes internationales de samedi dernier seront suffisantes pour décourager Damas de ressortir ses bonbonnes de gaz lors de sa prochaine offensive contre les rebelles.

Selon Mokhtar Lamani, à moins d’un développement diplomatique majeur, les trois frappes contre autant d’installations chimiques syriennes présumées sont l’équivalent d’une tape sur les doigts.

Dans l’immédiat, aucun développement diplomatique majeur n’apparaît à l’horizon…

Syrie

La défense aérienne abat des missiles au-dessus de Homs

La défense aérienne syrienne « a abattu des missiles qui étaient entrés dans l’espace aérien au-dessus de la province de Homs » qui couvre le centre de la Syrie, a annoncé ce matin (heure locale) l’agence de presse officielle Sana. La télévision officielle syrienne n’a pas identifié l’origine des missiles, mais a dénoncé une « agression ». « Je ne suis pas au courant d’un tel incident », a affirmé un porte-parole de l’armée israélienne, interrogé par l’AFP sur des rumeurs selon lesquelles il pourrait s’agir d’une attaque israélienne. Israël a déjà mené dans le passé des frappes en Syrie. À Washington, le Pentagone a démenti toute implication des États-Unis ou de la coalition qu’ils dirigent dans la région. — Agence France-Presse

Macron et May défendent l’intervention militaire

Les gouvernements d’Emmanuel Macron et de Theresa May ont défendu hier devant leurs Parlements les frappes occidentales en Syrie, un sujet plus délicat pour la première ministre britannique que pour le président français. « Notre riposte était amplement justifiée dans ses causes. Dans ses modalités, elle a été soigneusement proportionnée », a vanté le premier ministre français Édouard Philippe. Son homologue Theresa May, a quant à elle assuré que le Royaume-Uni n’avait pas lancé les frappes « parce que le président [américain Donald] Trump nous l’a demandé », a-t-elle tranché au palais de Westminster, où le souvenir de la polémique intervention militaire britannique en Irak de 2003 reste très vif. — Agence France-Presse

La France veut retirer la Légion d’honneur à Assad

La France a engagé une procédure de retrait de la Légion d’honneur attribuée au président syrien Bachar al-Assad, a déclaré hier soir l’entourage du président Emmanuel Macron. « L’Élysée confirme qu’une procédure disciplinaire de retrait de la Légion d’honneur » – la plus haute distinction française, créée par Napoléon Ier – « à l’endroit de Bachar al-Assad a bien été engagée » par le président Emmanuel Macron, a indiqué la présidence de la République. Le président syrien avait été fait grand-croix (le plus haut grade) de la Légion d’honneur par le président Jacques Chirac en 2001, peu après avoir succédé à son père Hafez al-Assad à la tête du pays.

— Agence France-Presse

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