OPINION

Frontières murées, frontières violentes

Les murs ne sont qu’une réponse à court terme aux défis engendrés par la mondialisation

Alors que Donald Trump en a fait son credo pour la frontière mexicaine, chaque semaine amène l’annonce de la construction d’un nouveau mur frontalier.

Au cours des 12 derniers mois, l’Autriche, la Slovénie, l’Estonie, la Hongrie, le Kenya et la Tunisie ont annoncé la réalisation de murs ou de barrières le long de leurs frontières, tandis que la Bulgarie, l’Arabie saoudite et la Turquie ont opté pour la rénovation ou le rehaussement de celles qu’elles avaient déjà érigées. La Hongrie est déjà en train de renforcer celle (insuffisante) qu’elle avait mise en place il y a moins d’un an.

Désormais et alors qu’une dizaine de murs subsistait à l’issue de la guerre froide, ils sont près de 70 construits ou en voie de l’être, le long de 40 000 km de frontières, et pour les trois quarts érigés au cours des deux dernières décennies.

Barbelés ourlés de rasoirs tranchants, murs bétonnés dont les fondations s’enfoncent profondément dans le sol pour prévenir (en vain) la réalisation de tunnels, caméras infrarouges ou simples clôtures de barbelés tissés autour de piliers en ciment, la sécurisation des frontières par les États représente maintenant une réponse ordinaire de gouvernements désireux de répondre rapidement et de manière visible aux menaces internationales – perçues ou réelles.

Aujourd’hui, une minorité de murs sert à démarquer des frontières de fait, gelant un conflit à défaut de pouvoir le résoudre (à Chypre, entre les deux Corées, entre l’Inde et le Pakistan) ; la majorité d’entre eux sont l’initiative unilatérale d’un État vis-à-vis des enjeux de sécurité nationale : les murs servent tour à tour à lutter contre le terrorisme (Turquie-Syrie, Thaïlande-Malaisie, Ouzbékistan-Kirghizstan), contre l’immigration illégale (États-Unis-Mexique, Bulgarie-Turquie, Grèce-Turquie) et la contrebande (Iran-Pakistan), voire les trois simultanément (Inde-Bangladesh). Ce faisant, ils induisent plus de violence aux frontières.

En effet, loin de régler les problèmes pour lesquels ils ont été érigés, les murs génèrent des logiques de contournement : avec des tunnels pour acheminer combattants, drogues et humains (le 21 avril dernier à San Diego, les gardes-frontières américains ont découvert un tunnel de 800 m de long passant sous la frontière), des rampes déployées par-dessus les barrières, des sous-marins lorsqu’un espace maritime permet de contourner la frontière, ou simplement des canons à air comprimé pour propulser des marchandises de l’autre côté.

Plus encore, les murs sont contreproductifs, puisque les migrants clandestins demeurent sur le territoire plutôt que de retourner ponctuellement chez eux par peur de devoir affronter de nouveau les affres du passage de la frontière. Pour ceux qui cherchent à entrer sur le territoire muré, les murs frontaliers représentent un obstacle additionnel, mais ne dissuadent pas le passage : les murs déplacent les flux migratoires vers des zones plus dangereuses (déserts, mers, zones de conflits), mais le flot ne se tarit pas.

Les murs invitent également les groupes criminels à s’emparer du processus de franchissement de la ligne frontalière : extorsions, agressions, etc. Les migrants deviennent des objets dans un marché toujours plus lucratif au fur et à mesure que la dangerosité de la frontière s’accroît.

Ce ne sont plus seulement des hommes venus chercher un revenu pour une famille restée derrière, mais des femmes (qui, dans certaines zones, prennent des contraceptifs avant de partir, le viol étant intégré comme composante du processus migratoire), mais aussi, et de plus en plus, des enfants non accompagnés – Europol évoque 10 000 mineurs disparus.

Dès lors, devant les passeurs et les groupes criminels désormais assis à la table de la frontière, les États entrent dans une spirale inflationniste de sécurité, ajoutant aux murs plus de gardes-frontières, de technologie, de surveillance.

Ainsi, le marché de la sécurisation des frontières a été évalué à 16 milliards pour la seule année 2015, tandis que les problèmes auxquels les murs tentent de remédier perdurent. Les murs ne sont qu’une réponse à court terme aux défis engendrés par la mondialisation, comme les disparités économiques ou encore les effets des changements climatiques. Sous-estimer le désespoir des populations touchées en érigeant des murs n’y changera rien.

* Les auteures organisent demain et après-demain à l’UQAM un colloque sur les murs frontaliers et leurs impacts.

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