Vins

Bienvenue aux vinfluenceurs !

Ils sont, pour la plupart, très nouveaux dans le milieu. Ils ont tous vécu une épiphanie en goûtant des vins d’artisans et ont décidé de communiquer leur passion sous forme de compte Instagram, d’infolettre, de balado, de groupe de dégustation, etc. Bienvenue chez les « vinfluenceurs » et autres nouveaux acteurs du monde vinicole !

Vincent Laniel, mieux connu sous le nom de « Vincent Sulfite », faisait une maîtrise en études urbaines lorsqu’il a vécu la révélation du vin naturel, dans une dégustation animée par la sommelière, chroniqueuse et vigneronne en devenir Emily Campeau (restaurant Candide). Celle-ci l’a ensuite pris sous son aile.

« Au lieu d’écrire mon mémoire, j’ai décidé d’en apprendre le plus possible sur le vin », raconte le jeune homme de 27 ans. Deux ans plus tard, il envoie une infolettre hebdomadaire à 2400 personnes, intitulée « Qu’est-ce qu’on boit ? », il travaille en salle au Candide, a planté 800 vignes avec un ami pour se faire la main et participe à une nouvelle émission sur le vin qui sera diffusée au printemps 2020. Sur Instagram, près de 6000 personnes reluquent ses bouteilles.

Nous sommes attablés au café-buvette Monopole, avec le couple du compte Instagram Beau Joe, formé par Julien Nolin et Bianca Farinacci, et une bouteille de 1.21 Gigawatt, grüner veltliner du jeune vigneron tchèque Milan Nestarec. Voilà un vin de « vinfluenceur » s’il en est ! Les bouteilles de Nestarec sont très colorées, pop et « instagramables » ; leur contenu est festif à souhait !

Le but de notre rencontre à quatre est de discuter du phénomène des néophytes qui font le grand plongeon dans le vin. Pour Vincent, Julien et Bianca, tout est parti d’une simple envie de communiquer ses coups de cœur, comme c’est souvent le cas sur Instagram dans une foule de domaines.

Vincent est actif sur Instagram, mais il a surtout choisi le bon vieux courriel pour joindre sa « gang », avec une infolettre hebdomadaire où il décrit les arrivages de la SAQ dignes d’intérêt selon lui, parce qu’issus d’une agriculture respectueuse de l’environnement et vinifiés avec le moins d’intervention possible. Il aime ce format pour sa capacité d’archivage. Tant qu’elle n’est pas envoyée à la corbeille, l’infolettre reste dans la boîte courriel des abonnés, qui peuvent s’y référer quand bon leur semble.

Cela dit, Instagram a joué un rôle-clé dans sa découverte du vin. « M’abonner au compte de la sommelière Emily Campeau avant même de la connaître a été extrêmement puissant. Ses récits sur le vin ont influencé ma façon d’écrire », avoue Vincent. Un grand nombre de sommeliers certifiés et d’agents en représentation de vin sont aussi très actifs sur les réseaux sociaux. Mais, à l’exception d’On décante, qui publie une infolettre chaque semaine pour guider ses abonnés dans leurs achats à la société d’État, ils ne recensent pas les arrivages de la SAQ comme peuvent le faire Vincent Sulfite, Beau Joe et Olivier Rioux, par exemple.

Un milieu ouvert ?

« On peut exister parce que les gens comprennent de plus en plus qu’il ne faut pas nécessairement passer par les chemins classiques pour arriver à quelque chose. Dans le vin naturel, il y a de la place pour la passion et pour les autodidactes », croit Julien Nolin, de Beau Joe.

Sa femme et lui ne prétendent pas être des spécialistes du vin nature, ne l’ayant découvert qu’assez récemment. Julien est employé chez Sid Lee Architecture et Bianca travaille en relations publiques. Ils veulent simplement rendre les vins d’artisans plus accessibles et attrayants par le commun des mortels, avec un compte ludique et coloré. Leur intention, avec Beau Joe, est d’ailleurs de déborder de cet univers liquide pour proposer plus de contenu « art de vivre », dès qu’ils auront eux-mêmes un peu plus de temps pour profiter de la vie.

« Le milieu du vin est très exigeant. Plus encore dans le vin nature, je pense, où tout ce que t’as, c’est ta crédibilité. »

— Vincent Laniel

« Quand je fais des erreurs, on me le dit assez vite ! Et si je commençais à faire des publications sponsorisées, j’aurais tout de suite l’air d’un vendu. On m’a d’ailleurs déjà proposé de m’habiller, ha ha ! Non, merci ! », ajoute Vincent.

Enseignant en arts plastiques, ébéniste et directeur de tournée dans le milieu musical, Olivier Rioux a converti son compte Instagram en mosaïque de bouteilles, il y a environ un an. Et déjà, une galerie d’art lui a demandé de choisir les vins pour ses vernissages. Nous lui avons parlé au téléphone.

Celui qui se voit comme un « Bob le chef » du vin se rend bien compte du fait que « plus t’en sais sur le vin, plus tu réalises que tu ne sais rien ». Mais il ne voit aucun mal à documenter ses avancées sur Instagram, en donnant de plus en plus d’informations à mesure que son savoir s’approfondit. Comme pour les autres, Olivier cherche avant tout à répondre au meilleur de ses connaissances à la grande question du consommateur lambda : « Qu’est-ce que j’achète ? »

L’envers du (beau) décor

Hugo Rolland a lancé les dégustations « On décante » il y a deux ans. Depuis quelques semaines, la plateforme propose aussi une infolettre d’arrivages de la SAQ, rédigée par son partenaire d’affaires François Bisson. Hugo travaillait en placement média lorsqu’il a décidé de miser plutôt sur une carrière dans le vin, il y a sept ans. Il a fait son cours de sommellerie à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ) et les certifications Wine & Spirit Education Trust (WSET) niveaux 2 et 3. De jour, il travaille à l’agence AOC.

« J’ai commencé On décante parce que je voulais transmettre les connaissances que j’avais acquises sur le vin, mais sans travailler en restauration. J’aime l’idée de démocratiser le monde du vin en proposant aux gens d’avoir un sommelier pas snob dans leur salon ! » Hugo estime que ses dégustations à domicile et en milieu de travail auront touché environ 500 personnes en 2019.

Ayant lui-même fait les démarches nécessaires pour se sentir à l’aise dans le monde du vin et asseoir sa crédibilité, il est, comme bon nombre de sommeliers professionnels, assez ambivalent devant la montée des « vinfluenceurs ».

« Tant mieux si on boit de plus en plus de produits d’artisans, si toute cette activité des réseaux sociaux attire une nouvelle clientèle et a un effet positif sur notre consommation de vin nature. Mais l’engouement a aussi des effets indésirables. Au salon Raw, par exemple, j’ai vu des gens se jeter sur un vin dont l’étiquette était intrigante, il y a quelques semaines. Ça ressemblait à du yogourt aux fraises tellement c’était trouble. Quand j’ai goûté, j’avais l’impression de croquer dans un bloc de levure. C’était pas buvable. Mais en 30 secondes, tout était vendu ! »

« Il y a des gens qui sont convaincus, en ce moment, que plus c’est funky, plus c’est bon, poursuit Hugo Rolland. Des vins nature faits dans des garages qui réussissent à se vendre 40 $ parce qu’ils ont une belle étiquette instagramable et qui peuvent donner un mauvais nom à une catégorie en entier ou laisser croire à certains vignerons que c’est OK de faire des vins tout croche. C’est un des dangers de toute cette tendance. »

La majorité des agents en représentation de vin interrogés n’ont pas voulu être cités sur le phénomène des « vinfluenceurs ». L’un d’entre eux nous a écrit : « Certains sont des passionnés bien intentionnés, mais peu rigoureux, sans formation, qui transmettent des informations parfois erronées, parlent de vins qu’ils n’ont jamais goûtés. C’est un intermédiaire de plus dans le “téléphone arabe” du vin. »

Alexandre Boily, de Ward & Associés, a pour sa part une opinion favorable de la plupart de ces nouveaux passionnés du vin naturel. L’agence collabore, par exemple, avec Déserteur, un club de vin qui organise des dégustations dans des contextes sympathiques et qui aide les particuliers à faire des commandes privées (lire le portrait de la fondatrice dans la rubrique « À la recherche du bonheur » de la section Arts et être, dimanche).

« Ces nouveaux acteurs créent un pont entre les vignerons, les agences et les particuliers, avec un langage souvent plus accessible et un beau visuel. On a vendu pas mal de vin grâce à eux. Ça fait connaître Ward & Associés et ça fait connaître les vins d’artisans en général, ce qui est une bonne nouvelle. »

En balado

Pour en savoir plus sur Vincent Laniel et Asma Ben Tanfous (fondatrice de Déserteur), on peut écouter les épisodes de l’émission balado L’appel du nature qui leurs sont consacrés. Valérie Lefebvre, une autre mordue des vins d’artisans et de tout ce qui les entoure, a lancé en septembre une série d’entrevues d’environ 30 minutes, sur CHOQ.ca. L’appel du nature traite de la scène du vin (nature, s’entend !) principalement montréalaise, avec des entrevues de gens qui occupent diverses fonctions dans le domaine.

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