Chronique

J’aime Christine, Hydro un peu moins

Je connais peu de gens qui se lèvent le matin en pensant à Hydro-Québec. Hormis une facture particulièrement salée reçue au creux de l’hiver, on se fout tous un peu d’Hydro. Ou du moins, on tient ce fleuron national pour acquis. Hydro fait tellement partie de nos vies depuis tellement longtemps qu’on ne s’en soucie guère, sauf quand on est touché personnellement par ses hausses de tarifs ou l’apparition de ses pylônes dans sa cour.

C’est pourquoi l’idée de m’asseoir dans un théâtre pendant trois heures pour écouter Christine Beaulieu me raconter, au milieu d’une scène vide, l’enquête qu’elle a menée sur Hydro n’était pas nécessairement mon idée du bonheur. D’autant plus que Christine n’est pas Marie-Maude Denis et que son théâtre documentaire aux apparences didactiques, monté avec trois bouts de chandelles, un seul autre acteur (Mathieu Gosselin) et un technicien informatique, porte un titre – J’aime Hydro – qui ne rend pas nécessairement heureux.

Or, croyez-le ou non, pendant trois heures, J’aime Hydro m’a procuré un pur et prodigieux bonheur. Le bonheur d’être dans un théâtre devant une actrice drôle, attachante, engageante et follement pertinente et de la voir se démêler avec ses peurs, ses contradictions, ses névroses, ses amours foireuses, sa vie échevelée, sa curiosité, sa soif d’apprendre sur Hydro et sa soif de nous communiquer ce qu’elle apprend.

On n’a qu’un corps, et le mien au théâtre me trahit tout le temps. Dès qu’une pièce m’emmerde ou du moins exige de moi des réserves de patience que je n’ai pas, je me mets à bouger, à me trémousser sur mon siège, à avoir chaud, froid, à bâiller et à implorer Dieu pour que ça finisse au plus sacrant.

Rien de tout cela ne m’est arrivé pendant cette pièce qui, en même temps qu’elle nous amuse, nous fait réfléchir et voir autrement ce fleuron glorieux qu’est Hydro et dont on a oublié l’Histoire.

J’imagine ne pas être la seule à ignorer que la nationalisation de l’électricité s’est faite en deux temps. D’abord en 1944 sous Adélard Godbout, puis dans les années 60 grâce au ministre des Richesses naturelles du gouvernement Lesage, un certain René Lévesque.

Ce qui est ingénieux dans la mécanique de cette pièce, c’est que d’entrée de jeu, Christine Beaulieu – qui joue son propre rôle (et qui est l’auteure du texte) – est aussi peu intéressée par Hydro et aussi peu informée que nous.

Mais l’orgueil, une certaine culpabilité nationaliste et un engagement citoyen certain vont peu à peu l’amener, non sans résistance, à répondre à la commande que lui a lancée Annabel Soutar, la mère du théâtre documentaire au Québec, pour le compte de Porte-Parole, sa compagnie de théâtre documentaire.

Avec une belle dose de naïveté et toute la bonne volonté du monde, Christine va donc entreprendre une enquête citoyenne sur ce qu’Hydro est devenue au fil du temps. Elle va notamment chercher à savoir pourquoi les Québécois, qui ont tant aimé Hydro, l’aiment de moins en moins.

En cours de route, Christine va faire face à ses peurs : peur de ne pas être à la hauteur du projet, peur de vivre intellectuellement au-dessus de ses moyens d’actrice, mais peur aussi de faire mal à sa carrière en posant trop de questions au sujet d’un des plus grands commanditaires du milieu théâtral. 

Tous les théâtres à Montréal sont effectivement commandités par Hydro. Et quand ce n’est pas le théâtre, c’est le milieu des médias qui est indirectement lié à Hydro. Lors d’une journée de consultation publique, Christine apprend de l’attaché de presse du ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Pierre Arcand, que ce dernier adore le monde culturel. « Vous devez connaître sa femme. C’est Dominique Chaloult [la directrice générale de la Télévision de Radio-Canada] », lance l’attaché de presse à une Christine déconfite.

À travers cette scène qui est plus drôle qu’autre chose, c’est toute la difficulté, en tant qu’artiste, de prendre la parole et de poser des questions que personne ne pose.

Est-ce que ça vaut vraiment la peine de compromettre une carrière pour ça ? se demande Christine à plusieurs reprises avant de poursuivre son enquête envers et contre tous, mais surtout contre elle-même.

Ce qu’elle va découvrir, c’est qu’Hydro, née d’un mouvement d’affirmation national, fut le symbole glorieux du désir d’indépendance des Québécois qui en étaient tous actionnaires au départ. Devenue propriété du gouvernement en 1980 sous René Lévesque, Hydro semble s’être muée en instrument politique des gouvernements qui, animés par le complexe du castor, poussent Hydro à construire des barrages inutiles et à produire, à perte, des millions de kilowattheures.

Dans le troisième et dernier épisode de J’aime Hydro, Christine comprend qu’en lieu et place de cette surproduction, une politique de récupération énergétique sauverait des milliards en fonds publics, mais elle se demande pourquoi personne n’en prend l’initiative.

Le spectacle se termine avec Christine qui monte dans l’hélico d’Hydro pour aller voir de ses yeux les barrages de la Baie-James. C’est une drôle de fin qui n’en est pas une. En réalité, il manque encore deux épisodes aux aventures de Christine et d’Hydro. Ceux-ci seront présentés à l’Usine C en avril prochain.

En attendant, ceux qui ont manqué les trois seules représentations de J’aime Hydro au FTA (la dernière est ce soir) pourront se rattraper dès septembre à la Licorne. Pour ma part, je réserve tout de suite mes billets. Réfléchir à l’avenir d’Hydro avec Christine au théâtre est un bonheur que je répéterais volontiers.

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