Effondrement du pont Morandi

La course aux coupables est commencée

« Tous ceux qui ont fait des erreurs devront payer », a clamé le ministre des Infrastructures et des Transports de l’Italie, Danilo Toninelli, réagissant avec fougue à l’effondrement du pont Morandi, à Gênes.

En réalité, cet élu et ses collègues du Mouvement 5 Étoiles (M5S) risquent d’être les premiers à payer la note politique de cette tragédie.

Car ce parti populiste qui fait partie de la coalition gouvernementale issue des législatives de mars dernier a longtemps pourfendu tous les grands projets d’infrastructures. Notamment celui de la Gronda, bretelle de contournement censée offrir une voie de rechange aux 25 millions d’autos qui empruntaient chaque année le pont Morandi.

Depuis que celui-ci s’est écroulé, ces prises de position passées reviennent hanter les élus du Mouvement 5 Étoiles.

« L’embarras s’insinue au sein du M5S », affirme le journal La Stampa. Ce dernier a retracé une entrée du blogue où le cofondateur du parti, Beppe Grillo, minimisait les problèmes structurels du pont Morandi et qualifiait les risques d’effondrement imminent de « fable. » La page a depuis été retirée du site du parti.

Au sein même du parti, on sent bien que l’effondrement du pont prépare la voie aux critiques. Un député de M5S cité par La Stampa décrit l’accident du 14 août comme un double désastre : « D’une part, pour les victimes et leurs familles. De l’autre, parce que dans les prochaines semaines, on nous clouera au pilori en invoquant nos batailles sur le territoire. »

Aux yeux du M5S, les grands projets de construction sont des sources de corruption, de gaspillage et de problèmes écologiques. En campagne électorale, le parti s’est opposé au projet de train à grande vitesse dans le Piémont, à la construction d’un incinérateur à Parme et… au projet Gronda.

Dès 2014, Beppe Grillo a fustigé ce projet qu’il jugeait inutilement coûteux. « Combien d’argent dépense-t-on pour la Gronda ? Il faut arrêter ces gens ! Il faut les arrêter avec l’armée », avait-il tonné.

Quatre ans plus tard, en pleine campagne électorale à Gênes, ville qui constitue l’un des bastions du M5S, le leader du parti Luigi di Maio, aujourd’hui ministre du Travail, s’est officiellement engagé à mettre fin au projet Gronda.

Perdre des plumes

Mais dans quelle mesure ce rejet d’un projet qui aurait pu alléger la charge supportée par le pont Morandi fera-t-il perdre des plumes aux populistes du M5S ? C’est loin d’être clair, croit Frédéric Mérand, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal.

D’abord, parce que dans le climat post-effondrement, celui-ci n’est pas le seul à être montré du doigt. La Ligue, partenaire du M5S au sein du gouvernement, dirige plutôt ses salves contre… l’Union européenne, qu’elle accuse d’avoir freiné les investissements publics italiens par sa politique d’austérité.

Or, ce parti d’extrême droite qui a fait sa marque en fermant les portes de l’Italie aux migrants a aujourd’hui le vent dans les voiles. Même si sa théorie ne tient pas la route, selon Frédéric Mérand, elle pourrait bien réussir à faire passer l’UE pour une « victime expiatoire ».

La coalition au pouvoir a aussi choisi de montrer du doigt la société Atlantia, qui administre les autoroutes italiennes – et a annoncé hier son intention de reprendre le contrôle du réseau routier.

Cette décision a été annoncée à la hâte, sans attendre le résultat d’une enquête, dénonce Franco Pavoncello, professeur à l’Université John Cabot à Rome. « En une nuit, ils ont fait le procès, ils ont jugé et ils ont prononcé la sentence », s’indigne l’analyste.

Le gouvernement n’a même pas l’intention d’honorer les clauses du contrat qui le lient à Atlantia, ajoute Franco Pavoncello, pour qui cette attitude digne du « Far West » risque d’avoir des répercussions désastreuses sur l’économie italienne.

Et puis, le M5S n’avait pas besoin d’un pont écroulé pour voir pâlir son aura. Ce parti antisystème peine à s’imposer, maintenant qu’il n’est plus dans l’opposition, mais au pouvoir.

En outre, les critiques contre son blocage du projet de voie de contournement restent bien théoriques. Frédéric Mérand imagine une situation où un pont s’écroulerait entre Québec et Lévis. « Va-t-on rendre les opposants au projet d’un troisième lien responsable de cet effondrement ? »

Et enfin, dans son opposition aux grands travaux, le M5S ne fait que refléter l’opinion générale « d’un pays qui a été contre tous les projets d’infrastructures depuis les années 40 », fait valoir Franco Pavoncello.

« C’est un pays qui est en vacances depuis 40 ans », ajoute-t-il. Et qui vit un réveil brutal depuis trois jours.

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