Éditorial : Commissaire à l’éthique et à la déontologie

À quoi sert-il ?

Dans les controverses éthiques à Québec, la voix la plus discrète est celle qui devrait compter le plus : celle du commissaire à l’éthique et à la déontologie, Jacques Saint-Laurent. L’arbitre pourrait chuchoter un peu plus fort. Car depuis quelques mois, les élus se tapent sur la gueule sans trop porter attention à son timide sifflet.

Le Code d’éthique ainsi que le poste de commissaire ont été créés en 2011. Le Québec était alors la seule province canadienne à ne pas posséder une telle institution.

Le commissaire joue deux grands rôles. En amont, il rédige sur demande un avis à ceux qui veulent vérifier s’ils se placent en conflit d’intérêts. Et en aval, il peut déclencher une enquête, à sa propre initiative ou à la demande d’un député.

Après cinq années, un bilan s’impose. Des ajustements sont requis autant dans le travail du commissaire que dans l’utilisation qu’en font les députés.

Son travail de prévention, loin des caméras, a été utile. Mais un certain flou demeure, comme le démontre le cas de Laurent Lessard.

En 2014, le ministre libéral avait demandé au commissaire un avis sur un possible conflit d’intérêts à propos d’Yvon Nadeau, à la fois employé du bureau de circonscription et entrepreneur qui sollicitait une subvention de l’État. Le commissaire a fourni un avis… à l’oral, et non à l’écrit. Ces paroles se sont envolées, et l’opposition demande une enquête.

Tout cela aurait dû être évité à la source. Il faudrait exiger au minimum une formation obligatoire aux élus.

Quant au travail d’enquête, le commissaire peut recommander une sanction, qui doit ensuite être approuvée par les deux tiers des députés. Dans son rapport de fin de mandat, M. Saint-Laurent a proposé que les sanctions deviennent exécutoires. L’idée est étrange. Avant de renforcer la loi, il faudrait d’abord la tester ! Or, après huit enquêtes, M. Saint-Laurent n’a proposé aucune punition ou « réprimande ». Y compris pour Sam Hamad, qu’il a pourtant accusé d’avoir contrevenu « aux principes éthiques de base dans la gestion des fonds publics ».

Les recommandations du commissaire seraient-elles bloquées par le parti au pouvoir ? Si c’était le cas, le prix politique à payer serait immense.

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Certes, la prudence du commissaire s’explique en partie, car il a été confronté très tôt à des dossiers politiquement explosifs. Et puisqu’il a été la première personne à appliquer le Code, chacune de ces décisions faisait jurisprudence. Le premier commissaire au lobbyisme avait lui aussi d’abord misé sur la sensibilisation, avant que son successeur devienne plus proactif. Il n’est pas trop tard pour passer à cette étape.

Cela passe par le choix d’un bon successeur. Malheureusement, même si le mandat de M. Saint-Laurent devait se terminer l’hiver dernier, son remplaçant n’a pas encore été trouvé.

Les députés des différents partis doivent s’entendre rapidement pour le nommer. Et ils devront mieux travailler avec lui. Pour le gouvernement, cela signifie de ne pas banaliser les critiques du commissaire sous prétexte qu’il ne réclame pas une démission. Et pour l’opposition, cela signifie de se rappeler qu’une personne qui fait l’objet d’une enquête n’est pas présumée coupable. Mais, on insiste, le nouveau commissaire devra s’aider.

Une phrase prononcée l’année dernière par M. Saint-Laurent laisse songeur.

« Je m’inquiète de l’isolement dans lequel le commissaire est placé », a dit M. Saint-Laurent à son propre sujet. Il était pourtant bien placé pour se convaincre d’agir autrement. Ses décisions ressemblaient à des bouteilles lancées à la mer, longtemps après la fin du procès populaire, et sans service d’après-vente pour expliquer le contenu du parchemin.

S’il veut assainir le climat politique, le commissaire ne peut plus attendre que l’orage passe.

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