Science

Dangereux, les réseaux sociaux ?

Des actionnaires d’Apple qui demandent à la multinationale de protéger les enfants contre ses produits. D’anciens dirigeants de Facebook qui affirment que les réseaux sociaux exploitent des vulnérabilités de la psychologie humaine. Des citoyens de tous âges qui se questionnent sur leur utilisation du téléphone portable. Nos écrans et les mondes virtuels auxquels ils donnent accès sont-ils vraiment en train de nous rendre fous ? Voici l’état de la science sur le sujet.

Dopamine

Les révélations de l’ancien président de Facebook, Sean Parker, ont fait grand bruit. Le réseau social, dit-il, a été conçu pour « exploiter une vulnérabilité de la psychologie humaine ». Les boutons « J’aime », par exemple, ont été créés pour donner aux utilisateurs une « petite dose de dopamine » afin qu’ils passent le plus de temps possible sur Facebook.

Laurence D’Arcy, spécialiste en dépendance à l’Institut universitaire sur les dépendances, le confirme : quand quelqu’un apprécie ce que nous publions sur un réseau social, notre système de récompense est stimulé et nous sécrétons de la dopamine. Ce mot fait peur, car la dopamine est le neurotransmetteur avec lequel jouent des drogues comme la cocaïne. « Mais manger et faire l’amour, ça nous donne aussi un hit de dopamine », tempère Mme D’Arcy.

Une autre raison pour laquelle on sent le besoin de retourner vers les réseaux sociaux est l’imprévisibilité. On ne sait jamais quelles photos ou quels commentaires on y verra, et rien ne garantit qu’on obtiendra des mentions « J’aime » quand on publie quelque chose. Cette imprévisibilité crée des attentes qui jouent aussi avec notre circuit de récompense – les jeux de hasard exploitent les mêmes mécanismes. C’est aussi la raison pour laquelle on consulte compulsivement sa boîte de courriel – on entretient l’espoir d’y découvrir une surprise.

Dépendance

Le fait que les réseaux sociaux exploitent notre circuit de récompense veut-il dire qu’ils peuvent créer une dépendance ? La réponse simple est que cela peut arriver. Mais il faut éviter de paniquer.

Des expressions comme « trouble de la dépendance à Facebook » sont déjà utilisées dans certaines recherches scientifiques. Le DSM-5, la bible de la psychiatrie, ne reconnaît toutefois pas ces diagnostics, pas plus que la cyberdépendance en général. Cela ne veut pas dire que ces conditions n’existent pas. Mais il faut des preuves scientifiques solides pour inclure un nouveau diagnostic dans le DSM, et les développements technologiques semblent ici aller plus vite que la science.

Dans sa pratique, Laurence D’Arcy commence à voir débarquer des gens dépendants aux réseaux sociaux. « Cela touche des gens avec des prédispositions, précise-t-elle. Comme toutes les dépendances, c’est une combinaison du produit, de la personnalité et du contexte. »

Un usage pathologique de l’internet n’est pas caractérisé par le nombre d’heures qu’on y passe, mais bien par les impacts qu’il provoque. Si vous vous sentez incapable de décrocher du monde virtuel, si votre usage vous fait manquer le travail ou s’il nuit à vos relations avec vos proches, c’est signe que vous avez besoin d’aide.

Humeur

Les réseaux sociaux nous rendent-ils déprimés, désabusés, narcissiques ? Plusieurs recherches ont tenté d’y voir clair. Et elles sont contradictoires.

Il est démontré que les gens se montrent généralement sous un meilleur jour sur les réseaux sociaux et qu’on y trouve plus de contenu lié à des émotions positives que négatives. En 2015, des chercheurs du Knowledge Media Research Center de Tübingen, en Allemagne, ont montré que lire des messages sur Facebook pendant une courte période est généralement bénéfique pour l’humeur. « Les utilisateurs sont heureux de lire des publications positives de leurs amis Facebook, et sont encore plus heureux si les bonnes nouvelles proviennent d’une connaissance proche », écrivent les auteurs après avoir sondé 207 participants. En 2014, des chercheurs autrichiens avaient plutôt relevé que des participants qui passent 20 minutes sur Facebook voient leur humeur se dégrader… tout simplement parce qu’ils ont l’impression d’avoir perdu leur temps.

Des études ont noté une corrélation entre l’usage des réseaux sociaux et la dépression chez les adolescents. Mais on ne sait pas si ce sont les réseaux sociaux qui causent la dépression ou si les ados déprimés ont plus tendance à s’y réfugier. De façon générale, on observe que les utilisateurs de Facebook sont plus narcissiques, plus extravertis et ont une meilleure estime d’eux-mêmes que les non-utilisateurs, et qu’ils se déclarent généralement plus heureux. L’intervenante Laurence D’Arcy incite toutefois à prendre ces analyses avec un grain de sel.

« Les réseaux sociaux sont complexes, souligne-t-elle. On y trouve toutes sortes de choses, on ne les consulte pas tous de la même façon, et la relation que chaque personne établit avec le contenu diffère d’un individu à l’autre et [en fonction] du contexte dans lequel il consulte. Il y a tellement de variables qui peuvent moduler l’humeur que ça me semble un peu simpliste d’essayer de tirer de grandes conclusions. »

Envie

Les photos de sourires étincelants, de vacances idylliques et de repas parfaits qui pullulent sur les réseaux sociaux semblent avoir un revers : l’envie qu’elles génèrent. Cette envie n’est pas toujours négative et peut pousser à améliorer sa propre vie. Mais elle peut aussi conduire à de l’insatisfaction. Une étude de l’Université Humbolt, à Berlin, a montré que cela peut provoquer une « spirale de l’envie ». La personne envieuse est tentée d’embellir son propre profil, générant encore plus d’envie à la ronde et provoquant un cercle vicieux. Des études ont montré que les photos de vacances sont celles qui suscitent le plus d’envie. Certains scientifiques estiment toutefois que l’envie ressentie dépend beaucoup plus de la personnalité de l’internaute que du contenu auquel il est exposé.

Et avis à ceux qui embellissent leur vie sur Facebook : une synthèse de 21 études regroupant 7573 sujets effectuée par des chercheurs de l’University College Dublin, en Irlande, a montré que les profils qui manquent d’authenticité sont générés par des individus qui ont une faible confiance en eux, qui souffrent d’anxiété sociale ou qui présentent des traits narcissiques.

Sommeil

S’il y a un effet néfaste des réseaux sociaux qui semble bien documenté, c’est les heures de sommeil qu’ils nous grugent. L’an dernier, la chercheuse en psychologie Jean Twenge, de l’Université de San Diego, a analysé les résultats d’un sondage mené auprès de 370 000 adolescents américains et montré que la proportion d’entre eux qui dorment moins de 7 heures par nuit a bondi de 17 % entre 2009 et 2015. La chercheuse souligne que cette augmentation correspond à l’arrivée massive des appareils portables, comme les téléphones intelligents, dans la vie des adolescents. Comme les principales autres activités qui influent sur la durée du sommeil des adolescents n’ont pas subi de tendance à la hausse pendant cette période (devoirs, travail rémunéré et télévision), elle estime qu’on peut conclure à une relation de cause à effet entre l’usage des appareils électroniques et les nuits plus courtes. Ici, deux facteurs semblent être en jeu. Le premier est le désir de ne rien manquer de ce qui se passe en ligne. L’autre est la lumière bleue émise par les écrans, qui supprime la sécrétion de la mélatonine – une substance appelée « hormone du sommeil » qui régule notre horloge biologique.

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