Science

Une nouvelle venue dans le golfe du Saint-Laurent

Moira Brown a grandi à Lachine, mais elle travaille depuis plus de 20 ans dans une petite île du Nouveau-Brunswick, Campobello, qui n’est reliée à la terre ferme que par le Maine. Elle étudie, pour l’aquarium de Boston, les baleines franches, qui traditionnellement passent l’été dans la baie de Fundy. Mais depuis quelques années, son travail l’a ramenée au Québec. Les baleines franches semblent avoir changé leurs habitudes et se retrouvent maintenant par dizaines dans l’ouest du golfe du Saint-Laurent.

« Les eaux du golfe du Maine sont celles qui se réchauffent le plus au monde », explique la biologiste montréalaise en entrevue téléphonique. « Il se peut que ça ait un impact sur les baleines franches. On en a vu dans la baie des Chaleurs et près des îles Mingan, deux endroits où il y a de la navigation touristique, et donc où ça semble vraiment être une nouveauté. À Mingan, il y a des excréments, donc vraisemblablement, il s’agit d’une aire d’alimentation. L’an dernier, on a envoyé un drone planeur de l’Université Dalhousie dans le banc des Orphelins, en face de la péninsule gaspésienne, et on a observé une douzaine de baleines franches. »

Cristian Ramp, biologiste d’origine allemande qui travaille depuis 20 ans près des îles Mingan, confirme avoir vu une vingtaine de baleines franches l’année dernière. « Je soupçonne qu’il y en a d’autres près de l’île d’Anticosti, là où il y a très peu de navigation », dit M. Ramp, qui travaille à la Station de recherche des îles Mingan depuis son doctorat sur les amitiés à long terme entre les mères chez les baleines franches. « Il se peut que ça ait un lien avec les changements climatiques, ou alors avec la pression de l’industrie de la pêche sur une espèce en particulier. Il y a 30 ans, la baleine bleue a disparu du golfe, probablement à cause de l’effondrement des stocks de morue. La morue mangeait le capelan, qui mange le zooplancton dont se nourrissent les baleines. »

Grande zone de recherche

La taille du golfe rend les recherches dispendieuses. Pour mieux cibler les endroits où pourraient se retrouver les baleines franches pendant l’été, le biologiste Stéphane Plourde, de l’Institut Maurice-Lamontagne, est en train de dresser une carte des endroits où pourraient s’accumuler les copépodes, leur nourriture de prédilection.  « Les baleines dépensent de l'énergie pour plonger, donc plus c'est profond, plus il faut de copépodes pour que ça vaille la peine », explique M. Plourde depuis Mont-Joli.

« On a de bonnes données historiques sur les baleines franches depuis 1980, et on n’a jamais vu un changement aussi important dans leurs habitudes que celui qu’on voit dans la baie de Fundy. » 

— Phil Hamilton, qui dirige la recherche sur cette espèce à l’aquarium de la Nouvelle-Angleterre, à Boston

« On en a vu 45 chaque année en 2015 et en 2016 à trois endroits différents, c’est très excitant, poursuit M. Hamilton. On a notamment observé cinq bébés, qui sont particulièrement fragiles. Nous espérons en trouver beaucoup d’autres, parce que la diminution du nombre de baleines dans les aires d’alimentation habituelles signifie qu’on devrait voir de 200 à 300 individus dans le golfe. »

La recherche sur les baleines franches a commencé il y a près de 40 ans à Campobello dans le cadre des études d’impact environnemental d’un projet de raffinerie. « L’Aquarium de Lubec, dans le Maine, de l’autre côté du pont, s’est chargé de l’observation et s’est rendu compte qu’il y avait de 100 à 200 baleines franches dans la baie de Fundy », dit Moira Brown.

Protection complexe

Ce changement d’habitudes complique la protection des baleines. « On a ciblé des corridors que les pêcheurs et les navires commerciaux doivent éviter, mais il faut les mettre à jour, dit Mme Brown. La migration d’autres espèces peut aussi poser des problèmes. L’an dernier, par exemple, la pêche d’une nouvelle espèce de crabe a commencé dans la baie de Fundy, et les équipements ne sont pas adéquats pour les baleines franches. Une baleine franche s’y est empêtrée. Heureusement, nous avons pu la libérer. »

Les baleines franches sont presque disparues à cause de la chasse basque aux XVe et XVI siècles. « On pense qu’il y avait à peine 50 individus il y a 200 ans, dit M. Hamilton. Toute la population actuelle de 524 individus descend d’une demi-douzaine de femelles. »

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