OPINION PASCALE NAVARRO

PRÉVENTION DES AGRESSIONS SEXUELLES
Changer de l’intérieur

La semaine dernière, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a décidé d’interrompre sa distribution de brochures sur lesquelles paraissaient une série de mises en garde pour les jeunes filles.

On leur recommandait, entre autres, de surveiller leur consommation d’alcool, sinon elles augmenteraient les risques de devenir plus vulnérables à des agresseurs potentiels. Les femmes ont vite fait savoir à la police que cette mise en garde sortait d’un autre âge, et la police a fait son mea culpa.

Ce qui est intéressant dans cet épisode, c’est de mesurer la réception sociale de l’opération : les mêmes mises en garde ont été faites en 2012, mais depuis un certain mouvement #moiaussi, ces pratiques sont désormais irrecevables.

L’autre réflexion à faire à la suite de cet épisode, c’est que les institutions et, à plus forte raison, celles qui exercent l’autorité (corps de police ou d’armée) ont un rôle de premier plan à jouer sur le front de la prévention. Et ce que révèle l’histoire qui nous occupe, c’est qu’adresser des mises en garde à des jeunes filles est tout à fait symbolique d’une vision sociale du corps des femmes. À savoir qu’il est à risque, et que c’est aux femmes d’assurer elles-mêmes leur protection.

Certes, la police a retiré les documents, mais quelqu’un, quelque part, a trouvé que ces mises en garde étaient encore appropriées.

Responsabiliser, encore et encore

S’il est normal que des parents disent à leurs enfants de se protéger, on attend autre chose d’un service de police, qui doit plutôt veiller au respect des lois et responsabiliser le public. En matière d’agressions sexuelles, la police devrait plutôt prévenir des risques encourus lorsqu’on commet des méfaits, qu’on soit sous l’emprise ou non de quelque substance que ce soit.

Rachel Chagnon, professeure au département de sciences juridiques de l’UQAM et directrice de l’IREF (Institut de recherches et d’études féministes), interviewée sur le sujet par Le Devoir, fait remarquer que si l’on enjoint aux conducteurs de voiture de ne pas texter au volant sous peine d’amende, on n’a pas du tout le même réflexe pour les agressions sexuelles. Mais plutôt celui de blâmer les victimes. On leur demande de se surveiller, de porter un soutien-gorge, de ne pas boire, de bien se tenir.

Encore la semaine dernière, la presse relatait l’histoire d’un jeune Irlandais innocenté d’une agression sur une mineure, parce que, plaidait son avocate, elle portait un string. Les jurés ont unanimement disculpé le jeune homme. Et, puisque nous avons socialement progressé, cette décision a semé l’indignation. Mais il faut se poser la question : quelle vision des femmes se cache derrière ces interprétations obscurantistes ?

Arriver au XXIe siècle

Au Canada, il ne serait plus possible d’invoquer ce genre de défense, parce que le droit criminel a évolué sur ce sujet grâce, entre autres, au mouvement des femmes. 

Désormais, les personnes en autorité, ou même en autorité « morale » (les enseignants, notamment) doivent s’adapter : ce n’est pas spécifiquement les filles qu’il faut obliger à se surveiller, mais toute la société à se responsabiliser.

Quant aux adolescentes, elles ont le droit de vivre leur vie, de porter les sous-vêtements qui leur chantent ou de boire de l’alcool si elles le veulent. Que ça nous plaise ou non, elles ont le droit d’expérimenter, de chercher qui elles sont, et la consommation d’alcool, comme pour les garçons, fait partie des expériences de l’adolescence.

Je ne suis pas en train de prôner la vie de débauche, seulement de dire qu’on n’a rien compris des dénonciations des femmes si on leur remet encore la faute sur le dos.

Analyse différenciée selon le sexe

Les services de police, de Montréal, de Val-d’Or, de Sherbrooke et de partout devraient s’inspirer d’un projet pilote que vient de lancer l’administration Plante. En effet, deux arrondissements appliqueront dans leurs décisions une analyse différenciée selon le sexe (ADS+, le « plus » indiquant le souci d’intégrer la diversité dans la démarche). Cet outil permet d’évaluer et de mesurer les impacts qu’auront leurs politiques, notamment sur les femmes.

C’est tout un travail que de décortiquer les règlements et de voir où se cachent les biais inconscients dans les structures, dans les projets proposés, et leurs effets sur la vie des citoyens et citoyennes. Mais le SPVM, qui a d’ailleurs reconnu son retard en matière de discours sur la prévention des agressions sexuelles, est mûr pour ce changement, et nous aussi.

On attend la suite.

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