Mon clin d'œil STÉPHANE LAPORTE

Stéphane Laporte

Jacques Villeneuve est aussi heureux du succès de Lance Stroll que Jean-François Lisée l’est de celui de Gabriel Nadeau-Dubois.

Mon clin d'œil

Stéphane Laporte

Jacques Villeneuve est aussi heureux du succès de Lance Stroll que Jean-François Lisée l’est de celui de Gabriel Nadeau-Dubois.

CHRONIQUE : Technologies de l'information

La recette est-elle encore gagnante ?

Il y a une semaine, j’ai écrit une chronique dont le point de départ était le cri du cœur de deux patrons d’entreprises dans le domaine des technologies de l’information (TI), Louis Têtu de Coveo et Eric Boyko de Stingray, qui annonçaient des investissements de leur entreprise. Sans se concerter, ils ont tous les deux dit qu’ils allaient chercher des employés ailleurs, parce que le secteur est en pénurie de main-d’œuvre. Tous deux dénonçaient les effets pervers du crédit d’impôt à l’emploi dont profite le multimédia, l’industrie du jeu vidéo.

Les réactions ont été vives. On a pu lire trois textes dans la section Débats, signés Yannis Mallat, PDG d’Ubisoft Montréal, Québec et Toronto, Hubert Bolduc, PDG de Montréal International, et Catherine Émond, directrice générale de l’Alliance numérique (association de l’industrie du jeu vidéo).

Ces réactions, auxquelles ma chronique « Les voleurs de jobs » n’est sans doute pas étrangère, montrent que j’ai touché un nerf sensible. Si le questionnement sur la pertinence du crédit d’impôt – où le gouvernement rembourse jusqu’à 37,5 % des coûts salariaux pour les emplois du multimédia – était complètement dans le champ, personne n’aurait réagi comme ça.

Cela suggère qu’une réflexion sur ce programme n’est pas inutile. Mais une telle réflexion exige du recul.

Il faut aller au-delà de l’irritation des autres secteurs des TI non subventionnés. Il faut aussi dépasser les défenses intéressées.

Ubisoft, plus important acteur de l’industrie, a touché, comme l’a montré mon collègue Jean-François Coderre, 781 millions en subventions au Canada de 2005 à 2015. Montréal International compte sur ce crédit pour attirer des investissements internationaux. L’Alliance numérique représente l’industrie des jeux vidéo bénéficiaire de cette mesure.

Il ne s’agit pas de nier le succès de ce programme, sa contribution à la naissance et à l’essor d’une industrie qui compte environ 11 000 emplois, qui a attiré des entreprises étrangères, qui fait de Montréal un acteur mondial dans le domaine, qui a modifié le tissu urbain. Mais plutôt de faire le point de façon raisonnée.

Le PDG de Montréal International se demandait : « Pourquoi changer une recette gagnante ? » Parce qu’après 20 ans, une recette n’est plus nécessairement gagnante.

La vérité, c’est que le principal argument à la défense de ce crédit d’impôt, c’est qu’on n’a pas le choix. On est dans un cercle vicieux. La surenchère est telle entre gouvernements pour attirer ces entreprises à coups de cadeaux fiscaux que si le Québec touche à ses crédits, il risque de voir des entreprises partir vers des cieux plus généreux. Ce qui est moins clair, et ce qu’il faudrait éclaircir, c’est quelle serait l’ampleur du phénomène.

Mais surtout, il y a un élément nouveau, qui doit changer la réflexion. Catherine Émond, de l’Alliance technologique, a tout à fait raison de dire qu’il s’agit d’abord d’un enjeu de rareté de main-d’œuvre. À terme, la solution passe par la stimulation de la relève et par la valorisation des sciences. En n’oubliant pas que les TI, ce n’est pas seulement quelques industries de pointe, mais bien un ensemble de compétences, de pratiques et de connaissances vitales pour l’ensemble des activités économiques.

Tous les intervenants qui se sont portés à la défense de ce crédit d’impôt font référence à la caution morale que lui a donnée la Commission sur la fiscalité, présidée par Luc Godbout, qui a recommandé son maintien. Cela mérite deux remarques.

La première, c’est qu’avec la rareté de la main-d’œuvre, les calculs qui ont servi à démontrer la rentabilité de la mesure sont à refaire. Un rapport de E & B Data, par exemple, réalisé pour la Commission, a calculé qu’en 2011, la mesure fiscale, avec un coût de 106 millions, avec les emplois qu’elle avait créés, avait permis à Québec de toucher des revenus fiscaux de 148 millions. Un gain de 42 millions qui permet de conclure que la mesure était rentable.

Mais si ces spécialistes peuvent se trouver un emploi de toute façon, dans le multimédia ou ailleurs, parce qu’il y a pénurie, le raisonnement ne tient plus.

Parce que le gouvernement aurait pu toucher tous ces revenus fiscaux sans dépenser un sou.

L’autre remarque, c’est qu’on fait une lecture sélective du rapport de la commission Godbout. Celui-ci appuyait le maintien du crédit, en raison des pressions de la concurrence, mais avec deux nuances. D’abord, il recommandait de plafonner ce crédit à 25 000 $ par emploi, ce qui n’a pas été retenu. Mais surtout, il contenait une autre recommandation, qui s’appliquait à tous les crédits d’impôt, mais qui aurait touché de façon significative celui du multimédia.

Cette mesure phare de la Commission, qui n’a pas été retenue par le gouvernement Couillard, consistait à mettre fin au volet remboursable des crédits d’impôt, surtout pour les grandes entreprises. Pour la Commission, ces crédits n’auraient dû servir qu’à réduire ou éliminer la facture d’impôt d’une entreprise. Cela aurait mis fin à la situation où une entreprise qui fait peu ou pas de profits se retrouve à recevoir un gros chèque du gouvernement, comme c’est le cas pour Ubisoft.

Bref, si les recommandations de la commission Godbout avaient été appliquées, le crédit d’impôt pour les jeux vidéo aurait été beaucoup moins généreux qu’il ne l’est actuellement.

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