Agruculture

Génération de locataires

La hausse du prix des terres ne facilite pas l’accès à l’agriculture pour la relève qui se tourne de plus en plus vers la location. À l’Union des producteurs agricoles (UPA), où l’on a toujours défendu le modèle de fermes entrepreneuriales, le concept choque un peu.

Au Québec, entre 65 % et 70 % des agriculteurs sont propriétaires de leurs terres, selon les estimations de l’UPA.

« Ça veut dire que 30 % des terres appartiennent à d’autres personnes que des agriculteurs et ce phénomène-là va en s’accentuant. On va de plus en plus vers le modèle américain où, à plusieurs endroits, ce sont des fonds d’investissement qui possèdent les terres », prévoit l’économiste Charles-Félix Ross, nouveau directeur général de l’UPA.

« Au Québec, on a réussi, avec notre modèle de fermes familiales, à maintenir des fermes ancrées sur le territoire avec beaucoup de propriétaires d’entreprise. C’est ce qu’on veut conserver, mais c’est en train de changer. La tendance des terres louées est à la hausse. »

L’UPA s’inquiète ouvertement de la popularité croissante des firmes d’investissement en terres agricoles. Toutefois, une terre louée ne veut pas nécessairement dire qu’elle n’appartient pas à un agriculteur. Certains producteurs qui quittent l’agriculture, souvent ceux qui n’ont pas de relève, décident de conserver la terre et de la louer à un exploitant.

L’UPA, habituellement très précise et documentée sur les enjeux qui touchent l’agriculture, affirme manquer de données dans ce dossier et presse Québec de faire une compilation des transactions sur les terres agricoles afin de surveiller le phénomène et d’avoir une liste des propriétaires. Le syndicat demande aussi à Québec d’imposer une limite de superficie de terres agricoles qui peut être vendue à l’extérieur d’un transfert de ferme.

ENCADREMENT ET CONTRAINTES

« Les terres agricoles, c’est une ressource collective », plaide Charles-Félix Ross.

« Dans la région de Montréal, 50 % des terres exploitées sont louées et on ne sait pas à qui elles appartiennent. Je soupçonne qu’il y a un grand nombre de promoteurs immobiliers qui espèrent que ça soit dézoné. »

— Charles-Félix Ross, nouveau directeur général de l’UPA

C’est dans la région montréalaise que le prix des terres agricoles québécoises est le plus élevé.

« Je ne suis pas contre le principe de la location, estime le directeur général de l’UPA. En France, environ 70 % des fermes sont en location, mais une loi encadre le fermage. […] On demande au gouvernement, pour régler le problème d’accaparement des terres, d’encadrer la location pour que les producteurs puissent être protégés à long terme. »

Évidemment, les agriculteurs qui démarrent leur entreprise sont plus locataires que leurs aînés. « Ce n’est pas par choix que les agriculteurs se tournent vers la location, c’est une contrainte », dit Michèle Lalancette, nouvelle présidente de la Fédération de la relève agricole du Québec (FRAQ).

La FRAQ préfère des formules « louer pour acheter » comme celle du Fonds d’investissement pour la relève agricole qui plafonne le taux d’inflation de la valeur de la terre durant le bail. La relève demande aussi la mise en place, dès cette année, d’une banque de terres pour l’ensemble du Québec qui ferait « un croisement entre les fermes sans relève et les relèves sans ferme ».

HAUSSES DE PRIX : GAGNANTS ET PERDANTS

En 2013, la valeur des terres agricoles a augmenté de 22 % au Canada. En 2014, de 14 %. L’année dernière, Financement agricole Canada (FAC) évalue la hausse à 10 %. Plusieurs facteurs expliquent ces hausses continues et vertigineuses, dont les faibles taux d’intérêt et l’excellent rendement des dernières années, explique Jean-Philippe Gervais, de la FAC.

Car dans plusieurs secteurs, l’agriculture se porte très bien au Canada, comme au Québec. « La majorité des producteurs ont vécu de très bonnes années », confirme Charles-Félix Ross, qui ajoute que certains ont profité de l’occasion pour grossir leur entreprise, particulièrement dans le lait et les grains.

« Les producteurs sont en expansion. La conjoncture est favorable aux investissements et au maintien des entreprises et il y a une demande supplémentaire pour acquérir des terres. »

— Charles-Félix Ross

Inévitablement, cela crée une pression sur le prix des terres et les rend difficilement accessibles pour la relève. « C’est certain que c’est plus simple pour quelqu’un qui a déjà un actif d’acheter des terres qui coûtent cher », rappelle l’économiste Jean-Philippe Gervais.

« Il y a deux gagnants à l’augmentation du prix des terres, dit Charles-Félix Ross : ceux qui sortent de l’agriculture, qui n’ont pas de relève. Ils font un encan, vendent leurs quotas et leurs terres. Les autres grands gagnants sont les propriétaires qui travaillent depuis 20 ou 30 ans et qui ont une relève. L’entreprise est payée et la hausse du prix des terres leur donne un levier pour agrandir. »

Mais il y a aussi des perdants, dit-il : ceux qui démarrent en agriculture ou qui souhaitent transférer à leur relève.

Car ce n’est plus possible. Les revenus ne permettent pas de financer l’achat de la ferme. « En agriculture, ça prend en moyenne 8 $ d’investissements pour générer 1 $ de revenu, explique Charles-Félix Ross. Dans les grandes cultures, dans Lanaudière ou en Montérégie, c’est rendu à 16 $ pour 1 $. La valeur marchande est complètement déconnectée de la valeur économique. »

EN CHIFFRES

50 %

Proportion des terres exploitées de la région de Montréal qui sont en location

Source : Union des producteurs agricoles

12 113 $

Valeur d’un hectare de terre agricole aujourd’hui. Le même hectare valait 1620 $ en 1990. 

Source : Statistique Canada

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