Patrice Robitaille

Gars-gars de service

Patrice Robitaille sera, avec Anne-Élisabeth Bossé, en tête d’affiche de la pièce Unité modèle de Guillaume Corbeil, au Théâtre d’Aujourd’hui à compter de mardi. Après son rôle mémorable de macho fini dans Les beaux malaises à TVA, il sera bientôt de la distribution de la suite des Trois p’tits cochons au cinéma. Discussion sur les rôles stéréotypés avec un gars-gars de service.

J’ai écrit une chronique en 2005 dont le titre était « Je m’inquiète pour Patrice Robitaille ». Ça faisait référence…

…à mes rôles de gars-gars ; je m’en souviens !

C’était à l’époque de la première saison des Invincibles. Onze ans plus tard, je m’inquiète encore plus pour toi. Et pour l’image que tu peux projeter à travers tes personnages…

Je te dirais que c’est parfaitement normal.

As-tu l’impression qu’on t’offre de plus en plus ces rôles-là ?

C’est drôle parce que Sylvain Bélanger, qui fait la mise en scène de la pièce au Théâtre d’Aujourd’hui, me disait récemment que c’était rare des gars-gars parmi les acteurs de théâtre. Il m’a dit : dans une catégorie d’âge, il y a Raymond Bouchard, dans une autre, Normand D’Amour, et puis dans la tienne, il y a toi. Il parlait d’une stature et d’une énergie de gars. Il semble que c’est ce que je dégage. C’est pas moi qui le dis, je te rapporte ses propos !

Ça ne te dérange pas qu’on pense surtout à toi pour camper ça ?

C’est sûr que j’aimerais faire autre chose, mais, en même temps, j’ai un typecast et c’est ça qui m’est pratiquement toujours offert. Bientôt, je vais jouer une police pour une des premières fois alors qu’au Conservatoire, on me disait : « Toi, tu vas faire beaucoup de polices ! » Tu ne peux pas être autre chose que ce que tu es physiquement. Ceci dit, je ne me plains pas. J’espère qu’il ne m’en voudra pas, mais je me souviens qu’à un moment donné, Martin Drainville m’a dit : « Je suis tanné de faire le petit pas fin qui fourre pas. » C’était ça son casting…

Quand tu es dans une série aussi populaire que Les beaux malaises, est-ce qu’il y a des gens qui finissent par confondre l’acteur et son personnage ?

Sincèrement, je m’en fous. Mais ma mère me dit souvent qu’elle est contente d’être à la retraite. Pour ne plus avoir à aller au bureau le lendemain d’une scène où je dis des niaiseries. Et ma belle-mère me dit que les gens lui demandent si je suis vraiment comme dans l’émission. C’est parfait.

Ça veut dire que tu es crédible ?

J’imagine. Je suis assez secret par rapport à ma vie privée. Mais j’aimerais ça aussi jouer une folle comme dans Hosanna. Qu’on pense à moi pour quelque chose de très éclaté. Il n’y a rien de plus flatteur que des gens qui ont envie de travailler avec toi. Comme Serge [Denoncourt] qui m’a offert Cyrano. C’est un gars-gars lui aussi, juste un peu plus distingué que ceux que je joue d’habitude ! Honnêtement, je n’ai jamais eu de plan de carrière. Je ne sais pas ce que l’avenir me réserve. Peut-être une série de rôles de polices ou de bandits ; je n’en sais trop rien.

Dans le rôle du macho un peu gnochon, tu as donné…

Je pense que je pourrais donner des cours dans les écoles pour en former de nouveaux parmi les jeunes ! (Rires)

Est-ce qu’une proposition comme Cyrano, ça te rassure sur la perception que les gens ont de toi ? Il est possible de penser à toi pour autre chose que ces rôles stéréotypés…

C’est pour ça aussi que je fais du théâtre. Pour me rappeler que j’ai été formé. C’est sûr qu’il y a là un statement : des fois, tu fais des choses pour toi, et des fois, c’est pour les pairs et ceux qui suivent de près notre milieu. Quand tu te fais proposer Cyrano, tu ne peux pas refuser. Mais ça peut être un cadeau de Grec. Je l’ai fait pour me prouver que je pouvais le faire, mais aussi pour prouver à d’autres que j’étais capable de jouer autre chose que le gars sympathique ou le colon de service. Je le referais demain matin, même si, sur scène, je n’éprouve pas tant de plaisir que ça…

Tu dis souvent ça. C’est parce que c’est toujours aussi stressant ?

Oui. Je ne dis pas ça pour faire mon smatte, mais c’est vraiment le truc qui me rend le plus fier de moi. C’est dur, mais j’ai besoin de me reprouver constamment que je suis capable de le faire. Parce que sinon, j’ai un peu du mal avec mon métier. Je trouve qu’on ne sert pas à grand-chose. Il y a plein d’acteurs et d’actrices qui trouvent que c’est donc important ce qu’on fait, mais pas moi. Je trouvais déjà ça à l’école de théâtre. Au moins, quand je fais du théâtre, je me dis que c’est pour ça qu’on m’a formé. De la télévision, pas mal n’importe quel acteur est capable d’en faire. Le théâtre, c’est autre chose. C’est ce que je sais faire. Comme Martin dans Les beaux malaises, je suis nul avec des outils. Je suis un gars urbain – pas vraiment, parce que j’habite en banlieue –, je suis un gars moderne qui ne sait rien faire de ses 10 doigts.

T’es pas vraiment un gars-gars, finalement…

Dans Pour Sarah à TVA, je jouais un carrossier. Je connais rien aux chars ! Dans Les beaux malaises, je joue un entrepreneur en construction. Je sais absolument rien faire ! Je prends des outils et j’ai juste envie de les ciboirer au bout de mes bras. Ça me fait rire de toujours jouer le gars-gars. J’aime beaucoup le sport, mais, si tu me donnes le choix entre aller au Jean Coutu ou au Canadian Tire, je choisis le Jean Coutu… Checker des tapis de char, ça ne m’intéresse pas.

Tu ne t’es pas toujours donné le beau rôle. Je pense à Québec-Montréal et à Horloge biologique, que tu as coscénarisé. Le gars qui dilue en cachette les pilules contraceptives de sa blonde dans son jus d’orange…

Il y a une parenté avec Les beaux malaises, c’est sûr.

Et Le mirage.

Le mirage ? Ouais. C’est vrai. Il y avait un gag un peu gras dans le bain-tourbillon. Je suis capable d’être bien gras. J’aime ça mordre dans de bonnes lignes ! Mais dans Les trois p’tits cochons, je ne trouve pas que c’est un gars-gars tant que ça. Il est en couple et il a des difficultés érectiles. C’est de la drôlerie, de la franche comédie. Je n’ai pas l’impression de jouer un colon. Si les gens trouvent que je joue encore un colon, je vais me dire que c’est ma nature profonde !

La dernière fois que je t’ai interviewé, en 2009, tu semblais préoccupé par le danger d’être cantonné à des rôles stéréotypés. Tu sembles avoir fait la paix avec ça…

Tu dis « faire la paix »… Des fois, je vois des acteurs faire de la composition et je trouve ça mauvais. Je n’en vois pas tant que ça, des gars comme des filles qui, d’un rôle à l’autre, sont tant que ça métamorphosés. J’ai une théorie un peu farfelue là-dessus. Je ne sais pas si je te l’avais déjà exposée en 2009 ! Ce que j’aime beaucoup chez les acteurs et les actrices, c’est qu’ils ont une saveur. J’appelle ça le médicament alors qu’à côté, il y a des génériques. Anne-Élisabeth Bossé, c’est un vrai médicament. D’autres pourraient faire la même chose, en offrant le service de base, en étant très justes, mais sans la couleur d’Anne-Élisabeth. On trimballe ce que l’on est. Et c’est le principe de la saucisse : plus t’en fais, plus on t’appelle. Si on continue de m’appeler à la télé, au cinéma, au théâtre, comme Normand D’Amour ou Raymond Bouchard, je serai très très content.

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